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Ciels de synthèse - Page 3

  • Après la finitude

    Meillassoux enfonce toute la philosophie depuis Kant (si l'on excepte une concession de complaisance universitaire à Badiou). Ce monsieur est décidément le saboteur de la Continentale !
    Prenons une métaphore imbécile : dans un exercice de peinture de plafond, les mathématiciens ont enlevé l'échelle il y a bientôt 400 ans, et les philosophes continuent de prétendre qu'ils sont quand même accrochés au pinceau. (Sans s'apercevoir jamais que plus personne, sauf eux-mêmes, ne peut les prendre au sérieux.)


    En somme, depuis Galilée et Copernic et la mathématisation de la nature, qui permet que soient pensées des choses en soi, parfaitement indifférentes à l'existence même d'êtres humains, et partant des temps mêmes d'avant l'apparition de la vie (sans parler de celle de la conscience), les philosophes n'ont pas cessé de développer des pensées nécessitant de conserver ce sujet sans lequel aucun étant ne pourrait vraiment être ; c'est à-dire que leur pensée suppose toujours, d'une façon ou d'une autre, que les choses ne peuvent être que pour le bonhomme qui les pense. (Meillassoux dit en somme qu'au moment où les scientifiques élargissaient considérablement le cadre, les philosophes, voulant les dépasser plus encore que leur emboîter le pas, en sont revenus à Ptolémée ! Et tout ça en déployant des trésors d'intelligence et d'inventivité !)
    400 ans de ratage ; 1900 ans de retard.
    Sa démonstration est des plus importantes, mais il faut 115 pages serrées à Meillassoux pour en arriver à ce que chacun sait, sauf les philosophes : que les choses existent en-dehors de nous et de notre perception ; mais au moins, c'est fait.


    Le livre de Meillassoux propose donc de repartir de Descartes (puis de Hume), de maintenir l'absolu qui ne sera plus ici Dieu ni rien de métaphysique, mais la contingence elle-même (je résume à la machette).
    L'erreur logique des philosophes fut donc de supprimer l'absolu au motif que la métaphysique en supposait un (Dieu par exemple), sans comprendre que cela ne signifiait pas nécessairement que tout absolu fût métaphysique. Et de bâtir là-dessus tout l'édifice, soutenu toujours de cette prétention démesurée qui ricane une manière de oui, oui, les mathématiciens ont bien raison à leur niveau mais nous, les philosophes de droit divin malgré nous, nous savons parfaitement en déduire exactement l'inverse !

    Après la finitude demanderait sans doute à ce que la suite véritable ne consiste pas surtout en une réfutation interminable des erreurs du passé, mais je crois que personne ne parviendra à lâcher complètement l'universitaire pinceau continental pour se jeter ainsi dans le vide (si je file un peu ma métaphore). 

    8 mars 2025

    Quentin Meillassoux, Après la finitude, Seuil, 2006

  • Deux cons (tiers inclus)

    Certains dialogues de Platon, c'est connu, sont de véritables pièces de théâtre. Dans les plus courts, je tiens Ion et Eutyphron pour deux des plus drôles. Ce n'est pas seulement parce que ces deux baudruches, le rhapsode et le prêtre, se font copieusement massacrer par Socrate. Non, c'est surtout parce qu'ils sont tous deux cons, mais alors merveilleusement cons. Ce sont des cons mieux qu'on en rêve. Ils sont encore mieux que ceux qui passent à la télé tous les jours. Ils seraient indifféremment ou presque acteur et journaliste, ou humoriste et philosophe. Quand j'avais lu Ion, il y a quelques années, j'avais eu l'idée d'en faire une adaptation libre ; je m'en étais ouvert à un collègue, qui peu après a eu exactement la même idée et l'a réalisée. Une idée semblable m'est venue à la relecture, récemment, d'Eutyphron. Mais ce dont j'aurais le plus envie, ce n'est pas d'adapter l'un ou l'autre des deux petits livres de Platon, mais de faire se rencontrer ces deux personnages-là, véritables Bouvard et Pécuchet de la Grèce Antique. Le titre pourrait être tout simplement :
    Deux cons.
    Avec un point à la fin, contre l'usage typographique.


    26 février 2025

  • Koyré

    J'ai fermé le livre en disant à voix haute : merci, monsieur. C'était les trois Entretiens sur Descartes d'Alexandre Koyré. Une telle intelligence, une telle clarté ne se retrouvent pas fréquemment. Surtout chez les philosophes ou prétendus tels (la dernière rinçure d'Université se complaisant au titre). La dette que nous avons tous envers Descartes, et qui n'est pas celle du tout, je crois, qu'on s'imagine, est très clairement exposée ; non moins que le fait qu'elle n'a pas fini du tout de courir, et que Descartes permet en effet, et beaucoup mieux que l'œuvre à la fin confuse du moustachu de Sils-Maria, de détruire les idoles, toutes. Ce qui est assez dangereux. Ces trois Entretiens forment la fin d'un livre consacré à l'Introduction à la lecture de Platon (que j'ai lu ensuite, procédant à rebours). Les deux opus se complètent et dialoguent. Ils remettent silencieusement de l'ordre. 

    5 février 2025

  • Le Carré contre le Carré

    A Pierre Paté (en souvenir d'une conversation)***

    Il m'a toujours semblé qu'il y avait deux périodes (au moins) dans la production romanesque de John le Carré. 
    Une période de la Guerre froide où le monde est complexe, la morale ambivalente, la langue riche (la période qui culmine avec la trilogie de Karla : La Taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley) à laquelle a succédé, après la Guerre froide aussi, une période en quelque sorte où le Carré se doit à son public (succès oblige, au moins depuis, disons, la Constance du jardinier) et raconte un monde apparemment aussi complexe, mais avec une morale plus évidente (et un peu plus démagogique), et une langue simplifiée, lisible donc par les générations moins cultivées.  Le Carré a quelque peu perdu à gagner tant. Il est tout de même resté intéressant, mais par comparaison.

    (Le portrait que fait de lui Salman Rushdie dans sa magnifique autobiographie Joseph Anton peut être compris comme allant dans ce sens également. Le Carré attaque et critique les puissants qu'il est convenu de pouvoir attaquer et critiquer, mais se couche mollement devant ceux qui ne se laissent pas critiquer sans recourir en retour à la plus grande violence (les islamistes, par exemple).)

    20 juillet 2024

    *** Ajout du 30 septembre 2024



  • Tout le mal

    Je ne pensais pas relire ce livre, je voulais juste y jeter un œil, mais le livre m'a happé. C'est le genre de livre dont j'aimerais retenir tout (et je suis très loin de pouvoir ça, évidemment, saisir un livre comme un aigle sa proie, dans l'ensemble et dans les détails, dans l'explicite et dans l'implicite). Une amie m'a demandé ce que je lisais, et je lui ai répondu que je lisais ce livre pour la quatrième fois parce que, ai-je dit sans préméditation, il y a tout. Oh, ça a l'air idiot, comme ça, je sais. Or non, il n'y a pas tout ; mais il y a, pour ainsi dire, et je sais déjà que les chipoteurs chipoteront, tout le mal ; et le bien même est en creux indiqué, hélas inaccessible. Je ne sais pas ce que Conrad a vu et dont il nous préserve encore, nous donnant l'idée des voix dans les ténèbres, mais non encore ce que disent ces voix (que l'on devine, entrant ainsi dans la confidence abjecte). Aucun livre, ou très peu, décidément, ne porte son titre aussi bien que ce Cœur des ténèbres. Même l'amour est considérablement pourri, horriblement pourri, pour être plus précis (les lecteurs du livre comprendront). L'amour ou ce qui passe pour lui ; ce qui enverrait le véritable, sans doute aussi qui est la vérité, très loin là-haut, dans le ciel même, dans l'au-delà, s'ils existent.

    5 février 2025