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  • Le Carré contre le Carré

    A Pierre Paté (en souvenir d'une conversation)***

    Il m'a toujours semblé qu'il y avait deux périodes (au moins) dans la production romanesque de John le Carré. 
    Une période de la Guerre froide où le monde est complexe, la morale ambivalente, la langue riche (la période qui culmine avec la trilogie de Karla : La Taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley) à laquelle a succédé, après la Guerre froide aussi, une période en quelque sorte où le Carré se doit à son public (succès oblige, au moins depuis, disons, la Constance du jardinier) et raconte un monde apparemment aussi complexe, mais avec une morale plus évidente (et un peu plus démagogique), et une langue simplifiée, lisible donc par les générations moins cultivées.  Le Carré a quelque peu perdu à gagner tant. Il est tout de même resté intéressant, mais par comparaison.

    (Le portrait que fait de lui Salman Rushdie dans sa magnifique autobiographie Joseph Anton peut être compris comme allant dans ce sens également. Le Carré attaque et critique les puissants qu'il est convenu de pouvoir attaquer et critiquer, mais se couche mollement devant ceux qui ne se laissent pas critiquer sans recourir en retour à la plus grande violence (les islamistes, par exemple).)

    20 juillet 2024

    *** Ajout du 30 septembre 2024



  • Tout le mal

    Je ne pensais pas relire ce livre, je voulais juste y jeter un œil, mais le livre m'a happé. C'est le genre de livre dont j'aimerais retenir tout (et je suis très loin de pouvoir ça, évidemment, saisir un livre comme un aigle sa proie, dans l'ensemble et dans les détails, dans l'explicite et dans l'implicite). Une amie m'a demandé ce que je lisais, et je lui ai répondu que je lisais ce livre pour la quatrième fois parce que, ai-je dit sans préméditation, il y a tout. Oh, ça a l'air idiot, comme ça, je sais. Or non, il n'y a pas tout ; mais il y a, pour ainsi dire, et je sais déjà que les chipoteurs chipoteront, tout le mal ; et le bien même est en creux indiqué, hélas inaccessible. Je ne sais pas ce que Conrad a vu et dont il nous préserve encore, nous donnant l'idée des voix dans les ténèbres, mais non encore ce que disent ces voix (que l'on devine, entrant ainsi dans la confidence abjecte). Aucun livre, ou très peu, décidément, ne porte son titre aussi bien que ce Cœur des ténèbres. Même l'amour est considérablement pourri, horriblement pourri, pour être plus précis (les lecteurs du livre comprendront). L'amour ou ce qui passe pour lui ; ce qui enverrait le véritable, sans doute aussi qui est la vérité, très loin là-haut, dans le ciel même, dans l'au-delà, s'ils existent.

    5 février 2025

  • 11

    J'écris désormais pour atteindre ces fameux onze lecteurs dont parlait Joyce.

    Quand je m'échinais encore, assez bêtement, inutilement, à la critique des basses œuvres culturelles de mon temps, j'avais davantage de lecteurs. Cette critique un peu verte, qui ne me coûtait pas tant parce que réussir n'avait jamais fait partie de mes projets (et que les projets mêmes faisaient le moins possible partie de ma vie), m'agrégeait deux types de lecteurs (sinon de rieurs) : ceux pour qui ma critique était juste, puisqu'ils étaient partisans eux aussi d'une culture moins idéologisée et plus haute ; et ceux, plus nombreux, pour qui toute culture était de toute façon à bannir.

    Il était donc grand temps que je m'attelasse (de mon matelas) à une production plus positive (non pas au sens où elle ferait la promotion de je ne sais quelles valeurs, mais au sens où elle s'élèverait au-dessus de la critique, vers l'œuvre).

    5 février 2025

     

  • Maxime 127

    Je prends le vieux Folio de La Rochefoucauld et (re)commence à lire ses Maximes dans l'ordre.

    Je constate que je n'ai rien souligné ni noté dans ce livre que j'ai lu plusieurs fois.

    Tout à coup, je découvre le nombre 127 entouré au crayon.

    127

    Le vrai moyen d'être trompé, c'est de se croire plus fin que les autres.

    En effet. C'est tout moi.

    Je m'étais bien reconnu, alors. 

    Le nombre 149 aussi est entouré (je m'en avise à l'instant) :

    Le refus des louanges est un désir d'être loué deux fois.

    Très bien, d'accord, je refuse les louanges.

    30 janvier 2025

     

  • Un peu d'espoir

    J'ai souvent eu envie de poser cette question à des gens qui écrivent de la « poésie » : Qu'est-ce qui, dans ce que vous écrivez, vous permet de dire que c'est de la poésie ?

    Je crois que très / souvent la réponse serait / qu'on revient à la / ligne quand on veut / (s'il existe des po / étonètes). Les poétenproses écrivent quant à eux des textes courts, pas très réalistes et dans lesquels l'auteur fait montre de sa pensée et de ce qu'il aurait pu, s'il avait voulu et suivi quelques fastidieuses années d'étude, enseigner la philosophie au lycée public de Saint-Cucufin.

    Il est évident que ce n'est pas suffisant, et que la plupart du temps ce qui fait que les gens disent qu'ils écrivent de la poésie est une croyance, la croyance qu'ils écrivent de la poésie. On n'aurait pas le cœur de leur ôter leur croyance, qui doit bien servir à leur psychique équilibre. Il y a déjà beaucoup trop de gens sous anti-dépresseurs dans ce pays (et cela même alors que presque personne, Dieu merci, ne lit les productions des poètes.)

    Une question comparable peut être posée à des romanciers. Pour les dramaturges, ou produits dérivés, en tant qu'ils ne prétendent plus écrire une vieillerie comme du théâtre, la question ne se pose plus vraiment. Ces gens admettent ne pas faire ce qu'ils disent faire, et l'honnêteté a moins de rang là que la simple bêtise.

    Il faut bien admettre que toutes les définitions jamais données ne sont pas satisfaisantes ; et c'est pour cela que ma question était d'abord personnelle. L'idéal serait que chaque poète ait (au moins) une réponse technique. Mais j'en doute. Il y a chez le poète un sentiment de poésie comme selon l'Education Nationale il y a un sentiment de passé simple chez qui écrit : il prena ses jambes à son cou et courit à perdre la laine. Cette comparaison me paraît assez juste hélas.

    Les romanciers contemporains, eux, ont arrêté d'avoir tout rapport (narratif ou stylistique) avec leurs prédécesseurs. Ils racontent leur vie en espérant qu'elle pourra émouvoir des gens qui ont la même, ce qui n'arrivera pas. Les plus cyniques parmi eux, qui font de l'argent, ne sont jamais que de féroces naïfs qui se trouvent intelligents. Quand par extraordinaire ils ont de la littérature une idée précise, comme Patrice Jean, elle a deux siècles, est capable de comprendre quelques romanciers du XXème siècle, ressemble à ce qu'on enseignait dans les années 1980. Candy au Kafka-shop eût été un meilleur titre.

    Ce qui saute à la gueule, c'est que personne ne comprend rien au monde qui arrive et préfère parler d'autre chose en regardant le ciel, ses pieds, son sexe.

    Tous ces gens, dont je suis d'évidence, écrivent de toute façon pour personne, puisque personne ne lit rien ; et qu'il suffit de fréquenter quelques lycéens pour constater l'effondrement général du QI de la jeunesse. Une nation d'abrutis est en cours de fabrication ; et par bonheur, elle va s'éteindre.

    30 janvier 2025