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Ciels de synthèse

  • Vinci trouvé, Vinci perdu

    J'ai revu il y a quelques semaines l'excellent documentaire d'Antoine Vitkine consacré au Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, qui raconte comment un tableau découvert par hasard en 2005 et vendu 1175 $ frais d'adjudication compris est devenu en 2017 le tableau le plus cher du monde, vendu au prince d'Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane (MBS) pour la somme de 400.000.000 $. Un vendeur en Louisiane, une acheteur new yorkais, la National Gallery de Londres, le Louvre, un oligarque russe, un arnaqueur d'art suisse, des entrepôts à Singapour, et le prince arabe convaincu par les voleurs de chez Christie's d'acheter un authentique Vinci (l'équivalent masculin de la Joconde et non une œuvre d'atelier). Tableau que nul n'a revu depuis son acquisition ; et dont nul ne sait avec certitude où il se trouve. Roulé, le prince musulman aurait emprisonné son Christ, sauveur du monde et faux vrai Vinci.

    En refermant la passionnante et très riche biographie de Léonard par Serge Bramly (Lattès, 1982), je m'aperçois qu'il n'a été question à aucun moment (sauf erreur de ma part) de ces Salvator Mundi d'atelier (quelques historiens, manifestement depuis 1982, ont lancé l'idée qu'il existerait peut-être un original de la seule main du Maître ; original qui a fini par être inventé dans les fascinantes années 2000-1010). Et pourtant Bramly ne fait pas mystère de la prodigieuse incapacité (il est également parfois empêché par les évènements politiques) de Vinci à finir ce qu'il a commencé. 

    18 septembre 2024

  • Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse

    Terre !
    Christophe Colomb

    1 Prédiction

    « … c’est à la cime du particulier qu’éclot le général », écrit Proust à Halévy.
    Je ne connais pas Thierry Marchaisse. Mais il est tranquille, à présent. Il a publié son livre, à ses conditions, dans sa propre maison d’édition. (Qui d’autre l’aurait fait ?) Il sait que c’est un livre important. Sans précédent. Il sait qu’il sera lu. Un jour. Il sait que tout travail universitaire sur Proust verra son livre figurer dans la bibliographie (ce qui n’a aucune espèce d’importance). Il sait que la plupart des gens qui le feront figurer là ne l’auront pas lu, pas vraiment lu, au mieux l’auront survolé (pfiou, la logique). Jusqu’au jour, Dieu sait quand, où quelqu’un le lira. Et mieux encore, s’en servira. Et se plantera (au moins littérairement — je peux expliquer ça, mais je n’ai pas le temps). Il sait que son livre un jour pourra être à l’origine de choses nouvelles et extraordinaires (et de pléthore de pénibles imitations), ce qui en fait au sens propre un livre génial, étant lui aussi tout à fait neuf et extraordinaire.
    Le livre est si dense, excède tant mes capacités, que je suis obligé pour en parler de prendre ce ton par-dessus la jambe, seul susceptible de me mener où je vais.

     

     2 Double vocation

    « Enfin un lecteur qui devine que mon livre est un ouvrage dogmatique et une construction ! » écrit Proust à Rivière en 1914.
    Le théorème de Proust n’est pas un livre, pour une fois, qui a l’air d’avoir été écrit par un descendant de personnages de Proust, en général le sentencieux bâtard d’une Verdurin de compète et d’un Charlus qu’elle aurait un soir d’ivresse un peu forcé. D’ailleurs, à la différence de tant d’autres ouvrages sur La Recherche, auxquels on ne comprend rien si on n’a pas lu Proust, perdu que l’on est dans les entrelacs des relations entre de trop nombreux personnages inconnus, le livre de Marchaisse (synthèse de trente ans de travail et de cinquante ans de lecture de la Recherche), pourrait être tout à fait lisible à qui n’a pas lu de Proust une ligne ; ce qui pourrait même ensuite créer une nouvelle sorte de lecteurs de Proust, qui se croiraient en quelque sorte dispensés de la lecture naïve (comme si cela se pouvait).
    L’auteur tient pour acquis le génie littéraire exceptionnel de Proust et, en quelque sorte, n’y revient pas : son but unique est de montrer, avec les outils de la logique, et eux seuls, que La Recherche est également une démonstration logique cryptée, le mot de démonstration étant de Proust (qui ne s’en explique guère) ; que Proust est en somme deux fois un génie ; d’où le sous-titre de l’ouvrage, à prendre au premier degré et avec le plus grand sérieux : Une cryptanalyse de la Recherche. Par quoi la Recherche n’est pas seulement le livre d’une vocation littéraire, mais d’une vocation double, littéraire et logique.
    Je ne suis pas logicien (ni universitaire ni critique, d’ailleurs) et tiens pour justes tous les raisonnements de l’auteur ; ce qui m’intéresse, ce sont leurs conséquences éventuelles. Je laisse donc tout lecteur intéressé se reporter à ce que Marchaisse établit des idées infiniment fécondes, infiniment puissantes ; et même doublement infinies.

     

    3 Sans entrer dans aucun détail technique

    « […] le décryptage de la démonstration de Proust repose sur l’analyse logique de ses allusions, type de signal complexe qui appartient à la catégorie des « signaux faibles ». » (p. 273)
    « Dès lors, une fois mises de côté toutes les allusions cryptologiques non essentielles de Proust, on s’aperçoit alors qu’il n’en existe en fait que très peu qui soient réellement décisives et, pour ma part, je n’en ai repéré que trois dans toute la Recherche. » (p. 212)
    « Car, en parvenant à être aussi rigoureuse que cryptée, la démonstration proustienne réussit le tour de force de se passer de tout appareil théorique. » (p. 39)
    La clé du Je proustien (des « Je »), décryptée dans son premier chapitre par Marchaisse, lui  est donnée au volume III de la Recherche (Le côté de Guermantes) lorsqu’il est question « de la vocation invisible dont cet ouvrage est l’histoire. » Partant, il s’achemine à prouver que c’est bien le « je » auteur de la Recherche qui dit « je » ici, et non pas son narrateur semi-fictif, qui n’a justement lui encore entrepris aucun ouvrage !

     

    4 Au passage

    « On remarquera que l’on vient de réfuter, au passage, une idée largement reçue, à savoir qu’on ne saurait trouver de véritables démonstrations qu’en mathématiques. Ou tout au plus dans les sciences dites « dures », parce qu’elles sont justement plus ou moins mathématisées. »
    […] « Il en résulte donc bien, plus généralement, que les mathématiques n’ont aucun monopole en matière de démonstration ou de théorème. Car, d’un point de vue logique, l’ensemble des démonstrations mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des démonstrations possibles. Comme l’ensemble des théorèmes mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des théorèmes possibles. »
    Au passage, dit Marchaisse. Ben voyons.

     

    5 Théorèmes de Marchaisse

    Les lemmes, axiomes et théorèmes que Marchaisse décrypte de la Recherche n’ont jamais été écrits par Proust, pour l’excellente raison qu’il les a cachés dans son grand œuvre.
    Les théorèmes de Proust sont les théorèmes de Marchaisse.
    Si ces théorèmes de Marchaisse sont vrais, ils sont vrais pour d’autres œuvres que celles de Proust, qu’elles existent ou non à ce jour.
    Le livre de Marchaisse n’est donc pas seulement un livre tourné vers Proust et sa Recherche, au sens où ce qu’il contient donne accès à des connaissances concernant l’œuvre littéraire singulière de Proust et partant, non-transposables à un autre auteur singulier ; c’est également un livre qui quitte Proust et la Recherche, ayant déduit de cette dernière une série de théorèmes valables universellement pour toute œuvre qui serait donc logico-littéraire.
    (La question du pluriel. Marchaisse décrypte neuf théorèmes et intitule son livre Le Théorème de Proust. Ce ne peut être un hasard.)

     

    6 Möbius toi-même

    Les œuvres de Proust antérieures à la Recherche sont ou littéraires ou théoriques et n’auraient presque aucune importance si elles n’avaient été suivies du grand roman ; seule la Recherche, avec l’invention par Proust de son double sujet (lisez Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse), permettra la coexistence en une seule œuvre de deux œuvres, l’une littéraire et obvie, l’autre logique et cryptée, selon le modèle du ruban de Möbius — à la différence toutefois que l’on n’accède à l’œuvre nécessairement par une seule face du ruban, la littéraire, qui oblige à une lecture naïve, le lecteur croyant que le ruban a une seule face (le livre ne se présentant pas physiquement comme un ruban. Je plaisante.)
    « Il se trouve que le premier livre de Proust fut pendant longtemps son seul et unique livre, si longtemps que cela aurait pu aussi bien être le dernier, malade comme il l’était. Proust est resté, en effet, pendant dix-sept ans, « l’auteur de Les Plaisirs et les Jours », puisqu’il a publié ce premier livre à 25 ans (en 1896) et qu’il n’en a pas publié d’autres avant 1913, c’est-à-dire avant le premier volume de la Recherche. »
    Il en va sans doute de même pour les ouvrages précryptanalytiques de Marchaisse consacrés à Proust (de 1990 à 2020), ce que l’auteur laisse entendre dans son Avant-Propos. Il reste à se demander, du coup (car je suis sous le choc), si le livre de Marchaisse, se présentant lui par la face logique du ruban n’a pas une forte dimension littéraire cachée (cryptée ou non).

     

    7  Colombus Marchaisse

    La phrase de Proust à Halévy donnée en exergue à mon premier point peut certainement être retournée (un ruban, après tout…) et l’on peut alors voir éclore le particulier à la cime du général.
    L’auteur n’est sans doute pas sans y penser, à la fin réelle de sa démonstration (juste avant les Annexes) : « Car il y a au moins un certain type d’esprits que la logique de la Recherche ne peut laisser indifférent, à savoir ceux qui sont tournés, comme son auteur, vers la recherche et la création. »
    Et encore, à la même page : « [ …] tous les vieux apprentis créateurs qui partagent l’idéal transgenre de Proust1, et sont donc suffisamment artistes et théoriciens pour être doublement exigeants avec eux-mêmes. Car un tel idéal voue nécessairement tous ses chevaliers servants à expérimenter eux aussi très longuement la stérilité, le doute et l’échec dans leurs « recherches de l’esprit » pascaliennes. »
    Les neuf théorèmes de Marchaisse, après tout, tiennent sur une demi-page. Mais la démonstration logique de l’auteur (les 290 pages du livre) ne serait-elle pas aussi une création littéraire pure ? (Tiens, les Indes…) A moins qu’il ne soit question bien sûr, « d’une œuvre théorique relative à un domaine nouveau. »
     

    Pascal Adam, 30-31 août 2024

    Thierry Marchaisse, Le théorème de Proust, éditions Thierry Marchaisse, 2022

     

     

  • Machine (1)

    Je me suis envoyé un courriel avec plusieurs fichiers du texte en cours.

    Au moment d'écrire l'objet du courriel, je n'ai pu écrire "roman".

    J'ai écrit "machine".

    C'était d'ailleurs le titre d'un des fichiers.

    Dans le livre de Serge Bramly sur Léonard de Vinci (Lattès, 1988), j'ai lu :

    « Dans l'Italie du XVème siècle, les mots machine et édifice sont à peu près interchangeables. »

    Cristina Campo parlait du poème de Proust, d'aucuns parlent de sa cathédrale, il est aussi possible de parler de sa machine.

    9 septembre 2024 

     

     

  • La Lucia Joyce d'Eugène Durif

    C'est elle, Lucia, Livia, l'écho vivant du Wake.

    « Tu es tellement dans ce livre, ma chérie. » Dit Babbo, Jim Joyce. Le père tant aimé (alors que la mère, non ; c'est entre ces deux femmes la guerre, et Gorgio, le frère tant aimé de l'enfance, a pris le parti de la mère).

    « L'écrivain avait voulu penser aussi que lorsqu'il en aurait fini avec cette œuvre "in progress" (c'était le nom qu'il lui donnait avant qu'elle ne devienne Finnegans Wake), sa fille irait bien, irait beaucoup mieux ! »

    O.

    Et puis il y a le parpaillot Sam Beckett, écho inverse et dont le nom varie parfois, mangé par le silence. 

    « Gardez le silence, gardez le bien, avec vous il ne risque pas de s'échapper. »

    Je ne croyais pas que Durif réussirait sa Lucia Joyce, qu'il serait possible qu'elle nous parvienne en français et seulement en français, mais il y réussit (peut-être même parce qu'elle est devenue pour lui un pur personnage de fiction) : on la voit et on pleure. D'internement en internement. Tellement d'amour, de douleur. De ressassement. Et de beauté enfin.

    « Tout cela simplement parce que j'éprouvais des sentiments trop forts au moment où l'autre ne les éprouvait pas tout à fait comme moi ! Et j'en pleurais ou j'en criais d'un coup, quoi de plus normal après tout ! Oui, une agitée... »

    Je me suis glissé dans la peau de cette femme, avoue Durif à la fin. Dans celle de Sam Beckett aussi, et même de Joyce, et des cousines Schaureck qui témoignent... La plus maltraitée, c'est tout de même Nora. Mais la fiction est vraie. C'est fou à ce point : à travers l'invention avouée et malgré la langue française, sans doute grâce à cette façon chapitre après chapitre d'« approximer » différemment personnages et situations, on aperçoit Lucia. Chapeau. 

    21 août 2024

    Eugène Durif, Lucia Joyce, folle fille de son père, Editions du Canoé, 2022

     

  • Affabulations, tutoiements & repentirs

    Où il est prouvé que je suis l'abbé Sieyès, Voltaire, et, ô influence inconnue, Jacques Stephen Alexis. Et finalement, non. Ce jeu potache n'a sans doute pu avoir lieu que par l'utilisation des versions gratuites des intelligences artificielles Chat GPT et Claude. N'empêche, cette manie d'affabuler est ce que je rencontre de plus humain dans la machine, la langue me paraissant parfaitement plate.

     

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