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Politique

  • Le précurseur inconnu de Dada (2012)

    Extrait de La Fin du Monde (prologue), texte écrit en 2012 :

     

    Vous connaissez DADA ? Vous savez, ces poèmes qui ne veulent rien dire, bon c’est sympa deux secondes mais au-delà on se fait chier. Vous savez, des suites de mots qu’ont rien à foutre ensemble et qu’on a pour ça foutus ensemble, juste après l’absurdité des boucheries 14-18.
    Eh bien, DADA a un grand précurseur. Un inconnu total.
    Auteur d’un grand poème en 17 points.
    Il s’appelle Jérôme Marie Champion de Cicé mais personne ne le connaît.
    Son poème en revanche est très célèbre. Surtout son titre. Il a colonisé le monde entier, ravagé des civilisations complètes et grande est sa puissance !
    Il est de fait la supériorité DADA de notre civilisation. Il est très DADA par son idiotie technique sous-jacente et sa répétitivité sans comique ; il dit en gros :

    Tous les hommes
    Ont droit
    A tel machin abstrait
    Sauf s’ils n’y ont pas droit

    Et ça se décline

    Tous les hommes
    Ont aussi droit
    A tel aut’ machin abstrait
    Sauf si que non

    C’est une logique DADA très séduisante et tout le monde y trouve son compte
    Certains disent

    Voilà vous l’avez votre machin abstrait bande de peuple

    Et les autres répondent

    Tu rigoles on n’en a pas assez

    Alors les autres disent

    Mais on ne peut pas faire plus c’est vrai les gens

    Et puis les autres y redisent

    Ah mais oh nous on veut plus de plus
    Et votre machin abstrait
    D’abord c’est même pas l’ vrai

    Alors les autres y disent

    C’est ça plains-toi et tiens vas-y fais encore un pas de plus et je te transforme en guacamole

    Alors les aut’ défois y foncent
    Et çui qui gagne (on s’en fout lequel) alors y dit

    Voilà ça y est maintenant
    On l’a
    Le machin abstrait

    Et puis bien sûr après, un peu plus tard ça recommence
    Et ça c’est formidable, merci Jérôme Marie Champion de Cicé. Ah oui, qui c’était ce type, en vrai ?C’était un petiot gars nobliau que la noblesse n’aimait guère et que Louis XVI en 1789, juste après la Nuit du 4 août abolissant les privilèges, avait nommé Garde des Sceaux – et puis alors il a écrit, un peu aidé par les copains
    Cette très pratique pour tous

    Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

    17 points votés un à un par la toute neuve Assemblée
    Et tous ensemble promulgués par le Roi de France himself
    Et puis quoi ? Ah oui, Jérôme Marie Champion de Cicé, en même temps, il était archevêque de Bordeaux – alors, c’est pas DADA tout ça ? Hue !

  • Deux cons (tiers inclus)

    Certains dialogues de Platon, c'est connu, sont de véritables pièces de théâtre. Dans les plus courts, je tiens Ion et Eutyphron pour deux des plus drôles. Ce n'est pas seulement parce que ces deux baudruches, le rhapsode et le prêtre, se font copieusement massacrer par Socrate. Non, c'est surtout parce qu'ils sont tous deux cons, mais alors merveilleusement cons. Ce sont des cons mieux qu'on en rêve. Ils sont encore mieux que ceux qui passent à la télé tous les jours. Ils seraient indifféremment ou presque acteur et journaliste, ou humoriste et philosophe. Quand j'avais lu Ion, il y a quelques années, j'avais eu l'idée d'en faire une adaptation libre ; je m'en étais ouvert à un collègue, qui peu après a eu exactement la même idée et l'a réalisée. Une idée semblable m'est venue à la relecture, récemment, d'Eutyphron. Mais ce dont j'aurais le plus envie, ce n'est pas d'adapter l'un ou l'autre des deux petits livres de Platon, mais de faire se rencontrer ces deux personnages-là, véritables Bouvard et Pécuchet de la Grèce Antique. Le titre pourrait être tout simplement :
    Deux cons.
    Avec un point à la fin, contre l'usage typographique.


    26 février 2025

  • Le Carré contre le Carré

    A Pierre Paté (en souvenir d'une conversation)***

    Il m'a toujours semblé qu'il y avait deux périodes (au moins) dans la production romanesque de John le Carré. 
    Une période de la Guerre froide où le monde est complexe, la morale ambivalente, la langue riche (la période qui culmine avec la trilogie de Karla : La Taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley) à laquelle a succédé, après la Guerre froide aussi, une période en quelque sorte où le Carré se doit à son public (succès oblige, au moins depuis, disons, la Constance du jardinier) et raconte un monde apparemment aussi complexe, mais avec une morale plus évidente (et un peu plus démagogique), et une langue simplifiée, lisible donc par les générations moins cultivées.  Le Carré a quelque peu perdu à gagner tant. Il est tout de même resté intéressant, mais par comparaison.

    (Le portrait que fait de lui Salman Rushdie dans sa magnifique autobiographie Joseph Anton peut être compris comme allant dans ce sens également. Le Carré attaque et critique les puissants qu'il est convenu de pouvoir attaquer et critiquer, mais se couche mollement devant ceux qui ne se laissent pas critiquer sans recourir en retour à la plus grande violence (les islamistes, par exemple).)

    20 juillet 2024

    *** Ajout du 30 septembre 2024



  • 11

    J'écris désormais pour atteindre ces fameux onze lecteurs dont parlait Joyce.

    Quand je m'échinais encore, assez bêtement, inutilement, à la critique des basses œuvres culturelles de mon temps, j'avais davantage de lecteurs. Cette critique un peu verte, qui ne me coûtait pas tant parce que réussir n'avait jamais fait partie de mes projets (et que les projets mêmes faisaient le moins possible partie de ma vie), m'agrégeait deux types de lecteurs (sinon de rieurs) : ceux pour qui ma critique était juste, puisqu'ils étaient partisans eux aussi d'une culture moins idéologisée et plus haute ; et ceux, plus nombreux, pour qui toute culture était de toute façon à bannir.

    Il était donc grand temps que je m'attelasse (de mon matelas) à une production plus positive (non pas au sens où elle ferait la promotion de je ne sais quelles valeurs, mais au sens où elle s'élèverait au-dessus de la critique, vers l'œuvre).

    5 février 2025

     

  • L'homme configuré

    Norbert Wiener dans Cybernétique et société en 1954 :

    « Il n'y a pas de distinction absolue entre les types de transmission que nous utilisons pour envoyer un télégramme d'un pays à un autre et ceux qui sont du moins théoriquement possibles pour transmettre un organisme vivant tel un être humain. Admettons donc l'idée selon laquelle nous puissions voyager par le télégraphe, outre le train et l'avion, n'est pas intrinsèquement absurde, aussi lointaine que puisse être sa réalisation. »

    Internet a évidemment succédé au télégraphe. 

    Wiener, auquel la bombe atomique a posé quelques soucis éthiques, a fini par comprendre que celle-ci n'était rien en comparaison des affres qu'ouvrait ce qu'il a nommé cybernétique. Je cite ci-dessous (comme d'ailleurs ci-dessus) le remarquable texte de 2014 de Cassou-Noguès, Les rêves cybernétiques de Norbert Wiener :

    «Wiener commence par opposer la mécanisation de l'humain, avec l'usine automatique, et l'humanisation de la machine, avec l'image de la prothèse. La machine doit se soumettre à la volonté humaine. La machine ne doit pas être usine mais prothèse. Seulement les prothèses ont, pour ainsi dire, mangé le corps humain. Elles en ont remplacé toutes les parties, de sorte que c'est finalement dans une machine que l'humain prétend s'incarner. Et justement, que reste-t-il d'humain dans le dispositif ? »

     

    22 janvier 2025