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philosophie

  • Après la finitude

    Meillassoux enfonce toute la philosophie depuis Kant (si l'on excepte une concession de complaisance universitaire à Badiou). Ce monsieur est décidément le saboteur de la Continentale !
    Prenons une métaphore imbécile : dans un exercice de peinture de plafond, les mathématiciens ont enlevé l'échelle il y a bientôt 400 ans, et les philosophes continuent de prétendre qu'ils sont quand même accrochés au pinceau. (Sans s'apercevoir jamais que plus personne, sauf eux-mêmes, ne peut les prendre au sérieux.)


    En somme, depuis Galilée et Copernic et la mathématisation de la nature, qui permet que soient pensées des choses en soi, parfaitement indifférentes à l'existence même d'êtres humains, et partant des temps mêmes d'avant l'apparition de la vie (sans parler de celle de la conscience), les philosophes n'ont pas cessé de développer des pensées nécessitant de conserver ce sujet sans lequel aucun étant ne pourrait vraiment être ; c'est à-dire que leur pensée suppose toujours, d'une façon ou d'une autre, que les choses ne peuvent être que pour le bonhomme qui les pense. (Meillassoux dit en somme qu'au moment où les scientifiques élargissaient considérablement le cadre, les philosophes, voulant les dépasser plus encore que leur emboîter le pas, en sont revenus à Ptolémée ! Et tout ça en déployant des trésors d'intelligence et d'inventivité !)
    400 ans de ratage ; 1900 ans de retard.
    Sa démonstration est des plus importantes, mais il faut 115 pages serrées à Meillassoux pour en arriver à ce que chacun sait, sauf les philosophes : que les choses existent en-dehors de nous et de notre perception ; mais au moins, c'est fait.


    Le livre de Meillassoux propose donc de repartir de Descartes (puis de Hume), de maintenir l'absolu qui ne sera plus ici Dieu ni rien de métaphysique, mais la contingence elle-même (je résume à la machette).
    L'erreur logique des philosophes fut donc de supprimer l'absolu au motif que la métaphysique en supposait un (Dieu par exemple), sans comprendre que cela ne signifiait pas nécessairement que tout absolu fût métaphysique. Et de bâtir là-dessus tout l'édifice, soutenu toujours de cette prétention démesurée qui ricane une manière de oui, oui, les mathématiciens ont bien raison à leur niveau mais nous, les philosophes de droit divin malgré nous, nous savons parfaitement en déduire exactement l'inverse !

    Après la finitude demanderait sans doute à ce que la suite véritable ne consiste pas surtout en une réfutation interminable des erreurs du passé, mais je crois que personne ne parviendra à lâcher complètement l'universitaire pinceau continental pour se jeter ainsi dans le vide (si je file un peu ma métaphore). 

    8 mars 2025

    Quentin Meillassoux, Après la finitude, Seuil, 2006

  • Lettre

    La lettre a débarqué soudain en plein dans la rédaction (où elle s'insère) d'un chapitre qui prenait la forme, combien parodique, d'un essai philosophique.

    Quand la lettre débute, on ne sait pas à qui elle est adressée et celui qui la lit, et à qui elle n'est pas nécessairement adressée, ne sait pas qui l'a écrite ; c'est à la lettre elle-même, dans le cours de sa génération (si l'expression vaut) de déterminer où elle va et d'où elle vient. Mais je ne suis pas certain qu'elle veuille vraiment se découvrir ainsi.

     

    25 novembre 2024

  • Machine (3) la place de Paris

    Il m'est nécessaire d'inventer ce que je veux voir exister. Le plus grand écueil est sans doute de vouloir que ce que je fais ressemble à ce qui existe déjà. Le mot roman ne convient pas et celui de machine, qui me vient, ne dit rien à personne. Ce qui est tout de même à se tordre. Souvent je suis perdu, sans plan, puisque cela ne ressemble à rien de connu. Alors je fais taire en moi le critique, esprit du dernier ordre, et continue d'avancer. On verra. Ce sera de toute façon tout à fait impubliable.
    Ce qui est rassurant, quand on voit ce qui est publié en France sous le nom de littérature.
    Côté philosophie par exemple, on ne se donne même plus vraiment la peine de traduire les livres anglais ou américains intéressants ; on sait que les gens que ça intéresse les liront dans le texte. Côté sciences, il y a lurette que les Français écrivent directement en anglais (sans se préoccuper même de fournir une version française à l'Université). La place de Paris is a godforsaken place.

    18 novembre 2024

  • Deux éducations

    Je lis, pour la troisième fois ces dernières années, le De la Tyrannie de Leo Strauss consacré à l'Hiéron, dialogue d'une trentaine de pages de Xénophon. Et comme chaque fois, dans la dernière partie du livre de Strauss, ce passage où apparaissent tout à coup, comme inopinément, deux romanciers, m'épate (oui, m'épate) :

    « Le caractère particulier de l'Hiéron ne se découvre pas à la première lecture, ni même à la dixième, quelle que soit la peine que l'on se donne, si la lecture ne provoque chez le lecteur un changement d'orientation. Ce changement était beaucoup plus facile pour le lecteur du XVIIIème siècle que pour le lecteur moderne qui a été formé par la littérature brutale ou sentimentale des cinq dernières générations. Une deuxième éducation nous est nécessaire pour nous accoutumer à la noble réserve et à la calme grandeur des classiques. Xénophon se bornait à cultiver exclusivement cet aspect des écrits classiques qui est complètement étranger au goût moderne. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit, de nos jours, méprisé ou ignoré. Un critique, inconnu de l'antiquité, qui fut sans nul doute un psychologue perspicace, le jugeait des plus modestes. Les lecteurs modernes qui ont la chance d'avoir une préférence naturelle pour Jane Austen plutôt que pour Dostoïewsky, en particulier, comprennent Xénophon plus aisément que les autres. Pour comprendre Xénophon, il leur suffit de combiner l'amour de la philosophie avec leur préférence naturelle. »

    Le livre de Strauss est publié en 1954. Il dit que la littérature brutale ou sentimentale en vigueur aujourd'hui a débuté voici cinq générations, soit environ 125 ans, c'est-à-dire vers 1820. Il désigne sans doute le mouvement romantique (dont Dostoïevski serait une manière d'avatar russe, extrême et terminal). La remarque de Strauss n'est cependant pas une charge contre cette littérature. L'idéal est donc bien de pouvoir lire Austen et Dostoïevski. 

    Je n'ai pas lu Jane Austen. Mais j'ai lu Marcel Proust. Et si, quoiqu'indigne et quitte à faire râler les cons, je m'amusais à déplacer temporellement et géographiquement les références straussiennes, je dirais volontiers qu'il faut tenir ensemble Proust et Dantec (par exemple). 

    22 janvier 2024

  • Le principe de cruauté, de Clément Rosset

    Premier livre (et dernier, peut-être) de Clément Rosset que je lis. Très clair, pas dénué d'humour. Pas si manifestement schopenhauerisé que je ne le craignais. Très intelligent, intelligible et concis. 50 pages. Suivies de trois Appendices intéressants.

    Les deux principes (réalité suffisante, incertitude) sont très justes et très bien expliqués et devraient constituer un minimum pour tout écrivain.

    C'est dans le Post-Scriptum à son essai (avant donc les trois Appendices) que Rosset manque quelque chose, et c'est évidemment, comme pour tout philosophe, à propos de l'amour "dans son sens le plus étendu" (même s'il est drôle lorsqu'il qualifie d'irréel l'amour du prochain) : "Car il entre dans l'essence de l'amour de prétendre aimer toujours, mais dans son fait de n'aimer qu'un temps. En sorte que la vérité de l'amour ne s'accorde pas avec l'expérience de l'amour."

    Il me semble que l'amour entre enfants et parents (dans un sens et dans l'autre) peut ne pas finir, et je tiens même que la mort peut ne pas le clore***. Il n'est pas anecdotique sans doute que ce soit cet amour sur lequel principalement s'est bâti l'édifice chrétien ; et que cet amour-là aussi soit au point de crever.

    6 novembre 2023

    ***Post-scriptum (c'est mon tour) : Je viens de lire sur son blog un beau texte de Georges de La Fuly, Altération (le rêve et les adieux), où l'auteur parle, à propos de sa défunte mère, de "cet amour inconditionnel pour celle qui m'a aimé durant quarante-sept ans". (6 novembre 2023)