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rushdie

  • Le Carré contre le Carré

    A Pierre Paté (en souvenir d'une conversation)***

    Il m'a toujours semblé qu'il y avait deux périodes (au moins) dans la production romanesque de John le Carré. 
    Une période de la Guerre froide où le monde est complexe, la morale ambivalente, la langue riche (la période qui culmine avec la trilogie de Karla : La Taupe, Comme un collégien, Les gens de Smiley) à laquelle a succédé, après la Guerre froide aussi, une période en quelque sorte où le Carré se doit à son public (succès oblige, au moins depuis, disons, la Constance du jardinier) et raconte un monde apparemment aussi complexe, mais avec une morale plus évidente (et un peu plus démagogique), et une langue simplifiée, lisible donc par les générations moins cultivées.  Le Carré a quelque peu perdu à gagner tant. Il est tout de même resté intéressant, mais par comparaison.

    (Le portrait que fait de lui Salman Rushdie dans sa magnifique autobiographie Joseph Anton peut être compris comme allant dans ce sens également. Le Carré attaque et critique les puissants qu'il est convenu de pouvoir attaquer et critiquer, mais se couche mollement devant ceux qui ne se laissent pas critiquer sans recourir en retour à la plus grande violence (les islamistes, par exemple).)

    20 juillet 2024

    *** Ajout du 30 septembre 2024



  • Rushdie sur l'art de raconter

    « Dans le Kerala il put voir un conteur réputé exercer son art. Ce qui était intéressant dans sa façon de faire, c'était qu'il procédait à l'inverse de toutes les règles. «Commence au commencement » avait conseillé le Roi de cœur au Lapin Blanc tout ému dans les Aventures d'Alice au pays des merveilles. « Et continue jusqu'à la fin et arrête-toi. » Ainsi fallait-il raconter les histoires selon tous les rois de cœur qui avaient établi les règles, et pourtant ce n'est pas ainsi que cela se passait dans ce théâtre en plein air du Kerala. Le conteur mêlait les histoires les unes aux autres, se lançait dans de fréquentes digressions loin du récit principal, faisait des blagues, chantait des chansons, faisait le lien entre son histoire politique et les récits anciens, donnait dans des apartés personnels et, dans l'ensemble, faisait tout de travers. Et pourtant le public ne se levait pour quitter le théâtre écœuré. Bien au contraire, il hurlait de rire, pleurait de désespoir et restait assis au bord de son siège jusqu'à la fin. Se comportait-il ainsi en dépit des jongleries compliquées du conteur ou à cause d'elles ? Et si cette manière pyrotechnique de raconter était en fait plus captivante que la version préconisée par le Roi de cœur, si le récit oral, la plus ancienne des formes narratives, avait survécu justement parce qu'il avait adopté la complexité et l'espièglerie et rejeté la forme linéaire ? »

    Salman Rushdie, Joseph Anton, traduit de l'anglais par Gérard Meudal, Plon 2012

    30 novembre 2024