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Livre

  • Le sonnet du prince

    Le poème trahit ; et dit la vérité.

    Giuseppe Tomasi di Lampedusa est mort en 1957, un an avant que Le Guépard, son unique roman, ne soit publié. Le célèbre film de Luchino Visconti sort en 1963.

    En 1998, on retrouve un fragment dont on ne sait où l'auteur l'aurait pu vouloir intercaler. Ce fragment a pour titre Le « Canzoniere » de la maison Salina. Ce fragment explique en somme que le prince Salina s'était laissé aller à écrire des sonnets (vingt-sept), qui permettent de comprendre qu'il était amoureux d'Angelica (la femme de son neveu Tancredi, qu'il considère comme son fils).

    Un seul sonnet, ajouté au roman, change complètement sa signification d'ensemble.

    Notons que l'auteur de l'édition, Giocchino Lanza Tomasi, est le fils adoptif de l'auteur, et qu'il a le tact (lui) de ne pas faire remarquer l'identité de situation du prince Salina et de son père, l'auteur du livre (probablement amoureux de la femme... de son fils adoptif). 

    Des vingt-sept sonnets du prince, le narrateur n'en conserve que deux pour la publication. Tout le fragment, ayant trait à la poésie, mériterait d'être cité ; je ne donne ici que la justification du narrateur, au-delà de l'éloge :

    « Puisque nous estimerions irrévérencieux d'exposer une figure respectable à tant de titres aux moqueries d'un public qui préfère l'obscurité dans la poésie seulement quand elle est préméditée et non pas, comme dans ce cas, lorsqu'elle vient d'une pathétique difficulté d'expression, nous avons préféré exercer une sévère censure et présenter seulement les quelques poésies les moins gâtées de tares ; elles révéleront un aspect inattendu de la personnalité de Don Fabrizio, qui, on l'espère, le fera aimer davantage à ceux qui ont pérégriné à travers les landes stériles de ces pages. »

    21 octobre 2024

    Giuseppe Tomas di Lampedusa, Le Guépard, traduction de Jean-Paul Manganaro, Seuil

  • Le repos du logicien

    Comme bien d'autres avant lui, il végéta longtemps dans quelque manuscrit, avant de finir inédit, grignoté par des rats de bibliothèque. « Tombeau d'un Je », Monsieur Hopop


    J'ai parlé ici-même il n'y a pas longtemps du formidable Théorème de Proust, de Thierry Marchaisse, grenade cryptologique jetée dans le champ de la critique proustienne (je tiens l'expression de l'auteur).
    Voici à présent, du même (si ce mot a un sens), 
    Monsieur Hopop. 

    Hopop, donc, c'est en quelque sorte le logicien au repos, amusé de lui-même et de l'absurdité de tout. Il a la légèreté profonde ; la mort fait mine de passer en souriant, et l'amour même a la douleur amortie.
    Il faut dire que ce Hopop est souventefois flanqué d'une Ziche plus ou moins sienne, qui vaut le détour et ne cède en rien au logicien, planquant ses espagnoles sous le joug des terroristes, code dont le pauvre Hopop n'a précisément pas la clé.

    Le nom du cher Hopop, houblonné malgré lui et fantasque à la Gide, prête à sourire, légèreté pulsée d'un petit restant de stress.
    Il semblerait même que les sérieux travaux du logicien Marchaisse sur l'œuvre double de Marcel Proust soient deux fois évoqués (mais j'ai pu en rater), une fois par cette expression : les phases de la consolidation mnésique chez le poussin ; une autre, à l'occasion d'ailleurs d'une erreur dans les principes (ce qui est sans doute plus grave que ça n'en a l'air), par celle-ci : traité sur la protomnèse des poussins. Le poussin vaudrait pour le proustien. Voilà qui semblera peut-être prouster le bouchon un peu trop loin pour les amateurs de sérieux (et qui ne veulent pas savoir (sont-ils bouchés !) de quoi celui-là (le sérieux, pas le bouchon) est fait, en vérité je vous le dis).

    Enfin, comme dit Monsieur Hopop, bernanosant à l'occasion, ce n'est pas toujours évident d'avoir une vie intérieure. Heureusement, après les extraits choisis des carnets dudit Hopop, les « Paraboles en kit » occupant le milieu de l'ouvrage, peuvent aider :
    « Axiome du sujet : Où qu'il aille avec sa tête, son cul suit. » 

    L'ouvrage se clôt sur six fantaisies charmantes, logiques ou grivoises ou parodiant Diderot, dont le magnifique « Koan du petit peintre », qui éclaire tout. Ou pas. Ou presque. Mais qui éclaire. Et qui est clair. Si.

    4 décembre 2024

    Thierry Marchaisse, Monsieur Hopop, éditions Thierry Marchaisse 2024 

  • Feindre donc, Descartes

    I could be bounded in a nutshell and count myself a king of infinite space.
    Hamlet, dans Hamlet, de Shakespeare

    Il m'a pris cet été, disons début juillet, de lire Le discours de la méthode. Je pourrais dire relire, mais comme il ne m'en restait rien, hors le célèbre mot, je crois que lire est plus juste. 

    Je me suis aperçu fin août que beaucoup de ce qui y est dit était déjà tombé dans un relatif oubli et qu'il me fallait faire un effort important pour me ressouvenir de certains détails ; ces souvenirs à leur tour me semblent mal formulés, puisqu'ils le sont à ma sauce (et non point dans la langue si belle, à y bien regarder, de Descartes).

    Depuis deux semaines, je promène le livre dans la poche intérieure de ma veste. Je relis souvent les trois ou quatre premières parties. M'a frappé l'autre jour à quel point dans la quatrième partie, celle du fameux cogito en français, qui commence comme commencerait une lettre, le verbe feindre était important.

    Et si je résume d'un arc étrange la chose, c'est à cause que nos sens nous trompent, que Descartes se résout de feindre que toutes choses qui lui étaient jamais entrées dans l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de ses songes. Puis l'auteur entre dans la clairière du premier principe de sa philosophie : Je pense, donc je suis.

    Il faut feindre pour n'être point trompé. (Feindre n'est pas réduire, suspendre, moins encore... l'épochè.) Le bretteur Descartes a-t-il jamais hésité entre feindre et feinter ?

    Il est certes, mais cet être non parfait se sait tel parce que l'idée de perfection, rien ne venant de rien (comme dit aussi le roi Lear), a été mise en lui une nature qui fût véritablement plus parfaite : mesdames et messieurs, sous vos applaudissements : Dieu.

    Amo ergo sum, and in just that proportion. Dit Ezra Pound au Canto LXXX. 

    18 octobre 2024

     

     

     

     

  • La nuit

    J'écris la nuit dans le noir, sans doute même en dormant.
    Je développe des textes dans au moins trois chapitres en cours de la enihcam, dont un qui tisse quatre trames différentes.
    J'écris aussi de petits billets pour ce carnet, dont celui-ci, un autre sur Culture du vide de Dalrymple, un autre autour de Descartes.
    Sans compter diverses bricoles pour le travail (alimentaire).
    J'ai l'impression que mon cerveau, qui n'avait pas été d'abord, formé à cela, s'est très bien adapté à la fragmentation moderne.
    Le problème est que je n'ai pas le temps d'écrire physiquement le jour ce que j'ai écrit mentalement la nuit.
    Il y a un reste, qui évolue constamment d'ailleurs, perte incluse.

    18 octobre 2024

  • Ordonnancement chaotique

    Le mal consiste aussi à ne pas voir le bien. Je me suis levé en pleine nuit, il y a quelques semaines, avec cette phrase à écrire. Cette phrase se trouve être (techniquement) un alexandrin. Un vers transparent, au sens de T.S. Eliot (qui définit cela très bien dans son essai Les buts du drame poétique) : « Quand on écoute la première scène d'Hamlet, on ne s'arrête pas à considérer si les personnages parlent en vers ou en prose. »

     

    Ce que j'ai écrit, ce que j'ai pensé écrire, ce que j'ai rêvé, séparés qu'ils étaient, se confondent bientôt, disparaissent bientôt de ma mémoire (au fil des mois).
    Au début de la plage d'écriture (plage ?), le fichier du chapitre titrait ses 80.000 mots ; et à la fin, 13.000. J'en ai pourtant ajouté (ajôté) des choses...
    Ainsi, je puis faire référence manifeste, dans la suite de l'écriture, à des épisodes évacués ou pire, modifiés. D'autant que la chose ne s'écrit pas dans l'ordre de lecture. Par exemple, le personnage de MC a disparu, fondu dans RH, mais je retrouve une référence à Santa Fe (Nouveau Mexique) où vivait le premier, alors que RH, lui, ne quitte pas la Californie. Je laisse en l'état (pour l'heure).
    Palimpseste et métalepse sont sur un bateau...


    Il manque le paragraphe sur Goldorak. 

     

    Si je l'avais vu en septembre, j'aurais demandé à P. de lire tout ce fatras, de me faire un retour sur l'ordonnancement chaotique volontaire (ou plutôt : assumé) des choses, chaque chose étant claire et l'ensemble incompréhensible, et de souligner les bizarreries dont il aurait l'impression qu'elles ne sont pas volontaires. Mais au lieu de cela, P. est mort le 9 septembre, juste avant d'entrer dans sa quarante-quatrième année.

    8 octobre 2024