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machine

  • La nuit

    J'écris la nuit dans le noir, sans doute même en dormant.
    Je développe des textes dans au moins trois chapitres en cours de la enihcam, dont un qui tisse quatre trames différentes.
    J'écris aussi de petits billets pour ce carnet, dont celui-ci, un autre sur Culture du vide de Dalrymple, un autre autour de Descartes.
    Sans compter diverses bricoles pour le travail (alimentaire).
    J'ai l'impression que mon cerveau, qui n'avait pas été d'abord, formé à cela, s'est très bien adapté à la fragmentation moderne.
    Le problème est que je n'ai pas le temps d'écrire physiquement le jour ce que j'ai écrit mentalement la nuit.
    Il y a un reste, qui évolue constamment d'ailleurs, perte incluse.

    18 octobre 2024

  • Pour une Rencontre avec Monsieur Teste

    Monsieur Teste est un livre auquel je reviens souvent.

    Sa brièveté permet de le relire sans trop d'efforts dans la journée.
    D'autant que l'édition finale non posthume s'arrêtait à la Lettre d'un ami et ne comprenait pas les cinq derniers textes ajoutés.
    80 petites pages. Et encore, en 1896, Valéry publie la seule Soirée avec M. Teste.
    Une quinzaine de pages.

    Il est difficile de se représenter aujourd'hui quelle éducation permet, à son sommet, à un jeune homme de 25 ans de produire un tel texte. Sans vergogne aucune, je lui ai emprunté pour un des chapitres de ma machine son incipit à Descartes : Vita Cartesii est simplissima...

    « Monsieur Teste n'avait pas d'opinions. Je crois qu'il se passionnait à son gré, et pour atteindre un but défini. »

    Monsieur Teste vit de médiocres opérations hebdomadaires à la Bourse. Mais surtout, c'est un homme de la nuit, et si Valéry le dit en passant, et n'y revient pas, il donne en une information importante :

    « Je ne l'ai jamais vu que la nuit. Une fois dans une sorte de b...; souvent au théâtre. »

    Si l'on admet que cette dernière phrase respecte la chronologie, Edmond Teste et le narrateur se sont rencontrés au bordel. La Lettre de Madame Emilie Teste ni rien ensuite dans le livre comme dans les éléments posthumes ajoutés n'y revient. C'est bien dommage. Quel Monsieur Sexe pouvait bien devenir Monsieur Tête (sic) ? Imaginer Monsieur Teste et son double au bordel, ce serait quelque chose, tout de même.

    5 octobre 2024

    Paul Valéry, Monsieur Teste, Gallimard, L'Imaginaire

     

     

  • Machine (1)

    Je me suis envoyé un courriel avec plusieurs fichiers du texte en cours.

    Au moment d'écrire l'objet du courriel, je n'ai pu écrire "roman".

    J'ai écrit "machine".

    C'était d'ailleurs le titre d'un des fichiers.

    Dans le livre de Serge Bramly sur Léonard de Vinci (Lattès, 1988), j'ai lu :

    « Dans l'Italie du XVème siècle, les mots machine et édifice sont à peu près interchangeables. »

    Cristina Campo parlait du poème de Proust, d'aucuns parlent de sa cathédrale, il est aussi possible de parler de sa machine.

    9 septembre 2024 

     

     

  • Vortex 3

    « Depuis quand Dieu permet-il aux machines de prendre la parole ? demandait Edison, dans L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam. »

    Toute la partie réaliste du roman publié en 2003 se déroule entre 1989 et 2001, entre la chute du Mur et le 11 septembre. Mais de même que l'Histoire a mené là les protagonistes, eux vont mener l'histoire au-delà de leur propre vie. Les enquêtes commencent avec des fax dans un monde fumeur, on voit Internet arriver doucement et plus violemment le chaos dans la société française, les machines (institutionnelles et technologiques) prendre le pas sur des humains qui se refusent à devenir machines et à rivaliser avec elles, à les doubler dans un monde (ou un anti-monde) à elles inaccessible. Le roman se termine dans le futur avec des hommes presque vivants et connectés par IA cérébralement implantée à la bibliothèque mondiale ; car comme l'avait dit Wolfmann, « désormais les guerres à venir seraient des guerres conduites entre des bibliothèques rivales ».

    Certaines pistes policières du roman n'ont pas été explorées. L'écho qu'elles ont avec certaines actualités le fait presque regretter. Par exemple, ce qui qui suit, dit par l'ex-soldat répondant au pseudonyme de Carnaval :

    « Sachez que votre tueur n'enlève peut-être pas lui-même ses victimes. Sachez qu'il existe un circuit sur le marché noir, un circuit qui a pour tâche de revendre de jeunes enfants ou des adolescents à des pervers sadiques. Il y a des kidnappeurs professionnels, branchés avec ses réseaux, et ils les fournissent en chair fraîche, même Wolfmann a du mal à intégrer cette idée, mais c'est une certitude. »

    Si Villa Vortex était réduit à ses enquêtes policières successives, lesquelles échouent d'ailleurs toutes, sa puissance balaierait encore la plupart des romans de sa décennie. Les deux cents pages finales (j'ai séché les cinquante dernières) où le roman poursuit pour ainsi dire sur sa lancée après la mort de tous ses personnages (Kernal, Nitzos, Wolfmann, Mazarin, le tueur des centrales) sont trop longues (il faut cinquante pages avant que Narkos ne naisse de la fusion des personnages morts dans quoi ? sinon le cerveau de l'auteur Dantec sur lequel nous sommes branchés) mais devaient être tentées. Et s'il est amusant de relire en 2024 les errances terminales de ce Narkos naviguant entre la vie et la mort, c'est aussi parce qu'elles sont censées avoir lieu en « octobre de l'An 72 Après-la-Bombe », donc en octobre 2017, et que la prophétie de Dantec ne manque pas d'humour...

    « Ensuite la machine à écrire vivante se branche sur le réseau mondial du flux satellitaire de l'information permanente : les Troupes de la République corse du Val-de-Marne appellent à marcher sur les lignes tenues par la Fraction Révolutionnaire Anarchiste de Disneypolis. En réponse, le Rassemblement Unitaire anti-fédéral a repris sa compagne contre les positions tenues par la Garde François Mitterrand du Front Socialiste pour l'Instauration Obligatoire de la Liberté, et ce dans toute la banlieue est. La machine zappe, court d'une fréquence à l'autre : le Groupe Salafiste pour le jihâd et la conservation de la foi dans les territoires occupés de la Seine-Saint-Denis a semble-t-il entrepris des représailles contre ses rivaux du Mouvement Islamique pour l'instauration immédiate de la charia-Commandement Général Nord. Mais la pression exercée sur lui par les soldats de l'Union pour la Croisade Républicaine l'oblige à interrompre ses opérations. »

    Et ainsi de suite quatre pages durant. On peut en rire... parce que, visiblement, c'était déjà mort en 2003.

    7 janvier 2024

    Maurice G. Dantec, Villa vortex, Gallimard (la noire), 2003

  • Vortex

    Vingt ans après sa sortie, je relis Villa Vortex. Je n'ai pas fait exprès, je voulais seulement le feuilleter. Et j'ai été happé. Par le vortex, donc. Deux cents pages le premier jour... Et pourtant, il y en a tout de même quelques-unes, des tournures à la one again (on était un peu après la fin de la fin, chez Gallimard). Mais l'énergie emporte tout (même les répétitions à toute heure de syncrétisme métaphysique), et la vision. La noirceur de Dantec paradoxalement galvanise. L'espérance, après tout, consiste à se battre, se battre et encore se battre. Et tout le restant est bon pour les chiottes et les maisons d'édition.

    « Nous avions cru que les machines étaient des prothèses artificielles dont l'homme s'était doté pour dompter la nature. C'était peut-être vrai. Cela n'empêchait nullement le fait que selon toute probabilité l'homme lui-même était une prothèse artificielle dont la nature s'était dotée, pour des raisons inexplicables encore. En d'autres termes, ce monde étonnamment vieux venait vraiment de commencer, tout autant qu'il entrevoyait là sa fin : toutes les créatures ne supplantaient pas leur créateur par une sorte d'effet automatique dont on ne trouve nulle trace dans l'univers, pour que cela advienne il fallait qu'au préalable le créateur ait commis l'erreur de doter sa créature des mêmes pouvoirs de création que lui. » (P. 28)

    « Lors de ma vie innocente et stupide, j'avais eu l'occasion par maintes fois de me rendre compte combien rien ne pesait vraiment face à la forme suprême de volonté qu'avait atteint l'homme moderne, l'homme de ma génération : la volonté de ne plus rien vouloir du tout, tout en désirant tout. Il lui fallait non seulement le confort, pour lequel des générations entières s'étaient usées contre la diabolique dureté du monde de la Matière, mais, s'il vous plaît, le confort doublé du spectacle du risque et de sa propre contestation, c'est-à-dire l'impossibilité pathogène, et pitoyable, de trouver un quelconque espace où sa propre figure ne lui soit pas constamment renvoyée, telle une ombre sans cesse jetée au-devant de lui, et qui grimacerait son horrible sourire de touriste médusé, ou de médecin humanitaire. » (P. 42)

    2 janvier 2024

    Maurice G. Dantec, Villa Vortex, Gallimard (la noire), 2003