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mccarthy

  • Sur *Stella Maris* de Cormac McCarthy

    Je relis Stella Maris.

    Les deux ultimes romans de McCarthy ne se suivent pas mais se font face. C'est une sorte de dispositif.
    Je pense néanmoins qu'il est préférable de lire d'abord le roman de Bobby Western, Le Passager, relativement déroutant déjà, avant d'entrer dans celui d'Alicia Western, Stella Maris, qui est un roman si l'on veut (disons, un roman et quelque chose en plus. Ou autre chose qu'un roman. C'est surtout cela, je crois) parce qu'on y entrera muni déjà de nombre de clés biographiques et chronologiques.
    Le Passager est le roman du physicien défroqué Bobby, homme en fuite, errant parmi les lieux de sa vie dispersée ; Stella Maris, le livre de la mathématicienne défroquée, enfermée de son plein gré dans l'institution donnant son titre marial à l'ouvrage, consiste intégralement dans l'enregistrement (si j'ose dire) des neuf séances d'Alicia, avec le médecin psychiatre Michael Cohen, qui précédèrent son suicide.

    (On peut imaginer par exemple que Bobby Western est aussi intelligent que McCarthy, ce qui est déjà assez impressionnant. Mais Alicia, elle, est beaucoup plus intelligente que l'auteur, et que tout le monde (exceptons Grothendieck, Gödel, Oppenheimer, et Husserl et Platon, si vous voulez, toutes personnes, sauf le dernier, qui ne se sont pas exprimées par la fiction (au sens ordinaire)) ; et ce n'est pas rien de réussir un tel personnage, et de le rendre aussi émouvant. Il se peut ici que la structure dialogique du livre ait été d'un grand secours à l'auteur (mais je n'y reviendrai pas).

    Détour.
    J'aime citer souvent la belle phrase de Guy Debord en son Panégyrique : « Personne, mieux que Shakespeare, n'a su comment se passe la vie. » 
    (Souvent, j'ajoute que nous autres Français, nous avons bien sûr Molière et Balzac. De plus en plus, à force de le relire, je mettrais La Fontaine au-dessus du lot, dans le cadre d'une comparaison à Shakespeare, s'entend).
    Mais ce qu'il faut entendre, dans la phrase de Debord, c'est que ce dont il est question, c'est de savoir comment se passe la vie. Et cette question-là n'est pas seulement littéraire : elle ne concerne pas moins le philosophe, le physicien, le mathématicien, l'historien, l'anthropologue.


    Le seul moyen de considérer Stella Maris seulement comme un roman, c'est de ne pas le lire. Et ça, c'est à la portée de la plupart des gens qui lisent (pour ne rien dire des autres). Ce n'est pas du tout parce qu'il est constitué exclusivement des dialogues, par exemple, que ce n'est pas vraiment un roman (et ce n'est pas du tout non plus du théâtre, même si, comme je l'ai dit, The Sunset Limited conclut une chose et en ouvre une autre: celle-ci).
    Ce n'est pas du tout un événement littéraire hors norme, comme ont pu l'être les apparitions de Dostoïevski en Russie, ou de Proust en France ; c'est un évènement (quelques qualités littéraires qu'il ait par ailleurs) qui est avant tout scripturaire ; qui dépasse aussi complètement toute idée littéraire, ce qui le rapprocherait éventuellement du Proust lu par Marchaisse, à cette différence majeure énorme que McCarthy ne cache pas du tout ce qu'il fait. C'est étalé en plein jour. Et personne ne voit. Et c'est manifestement le pari que fait McCarthy. (Ils lisent ce qu'ils veulent lire ; ils vont donc lire ce qu'ils ont l'habitude de lire, même si certains trouveront l'ensemble un peu bizarre.) Fin de la littérature romanesque. (Tant pis pour ceux qui disent comme des robots que le roman peut tout ingérer, dépasser, etc.)

    Une autre conséquence de tout cela, c'est qu'il va falloir lire ou relire toute l'œuvre de McCarthy à l'aune de Stella Maris. Cormac McCarthy n'est donc pas seulement ce talentueux faiseur de westerns (tiens), ou de romans apocalyptiques (même si La Route est aussi un livre magnifique de la relation père-fils).

    Basta for today.

    29 octobre 2024

     

  • Personne ne lit rien

    J'ai l'habitude, mauvaise évidemment, de dire que personne ne lit rien.

    Il est déjà arrivé que des gens qui souhaitent me passer une commande d'écriture, refusent de lire ce que j'ai écrit précédemment.
    L'auteur dramatique est un prestataire de service ; il écrit ce qu'on lui demande ; il est prié d'épouser nos idées ; moins son style est personnel, mieux c'est. 

    Paulina Dalmayer partage sur sa page FB un morceau du billet que j'ai ici consacré à son dernier roman, Les Utopistes : elle ne craint pas de dire (le 26 octobre 2024) que je suis son dixième lecteur (le roman est sorti le 1er février 2023 chez Grasset). Son précédent roman, Les Héroïques, avait eu très bonne presse ; celui-ci n'en a pas : manifestement, il est trop gros.
    Trop de mots.

    Je n'ai pas encore lu Le Gardien du verger de Cormac McCarthy, qui est récemment sorti dans la nouvelle collection de poche des éditions de l'Olivier.  On peut lire dans la présentation qui y est faite de l'écrivain, que ses deux derniers romans, Le Passager et Stella Maris forment un diptyque unanimement salué en France. Je ne doute pas de ce que dit l'éditeur ; mais au vu de la complexité de ces deux romans, et particulièrement du second, je crois vraiment que les critiques qui ont salué (coucou) ces romans ne les ont pas lus. Ils sont partis du principe que McCarthy c'était bien ; que c'étaient sans doute (et ce fut le cas) ses deux derniers romans, et qu'il n'y avait qu'à, somme toute, crier au chef d'œuvre. Parfois, les non-lecteurs tombent juste.

    28 octobre 2024

     

  • The Sunset Limited, de Cormac McCarthy

    The Sunset Limited est un pièce de théâtre, un huis clos. Publiée aux USA en 2006, elle n'est pas traduite en français ; mais on peut sans doute regarder le film qu'a tourné Tommy Lee Jones, dans lequel il donne la réplique à Samuel L. Jackson.
    Elle met aux prises, dans le même appartement new yorkais miteux, du début à la fin, deux hommes qui ne se connaissent pas et n'avaient rien pour se rencontrer : un professeur blanc, savant, désabusé, qui vient de rater à l'instant une tentative de suicide et un homme noir, ancien taulard, très pauvre et satisfait de l'être, converti au Christ par la Bible.  Le second empêche le premier de sortir tant qu'il ne lui aura pas fait la promesse de ne pas recommencer son geste suicidaire du matin, qui consistait à se jeter sous les roues du train.
    On retrouve ici, en condensé, un certain nombre des obsessions du romancier. Je trouve plaisant la façon dont McCarthy fait parler ses personnages : l'oralité est puissamment présente, et diffère avec les personnages et les moments ; une transposition en français de cela serait très difficile, et paraîtrait sans doute très artificielle. But here you is.
    (On imagine encore mal en français, je crois, qu'une certaine profondeur de vue soit compatible avec une forme de mal parler ; on tolère un Céline parce qu'il a stylisé très fort une oralité qui n'existe qu'écrite, et parce qu'il doit rester seul.)
    Il me semble important de comprendre que ce court livre de McCarthy est une clé de lecture de l'ensemble de son œuvre et que, significativement, elle n'est pas écrite sous forme romanesque. (L'auteur a écrit en 1995 une autre pièce, non traduite, The Stonemason, dont je ne sais rien.)
    Je note que l'édition anglaise, même pour un écrivain aussi connu désormais que Cormac McCarthy, se croit obligée de préciser sur la couverture que cette pièce de théâtre est a novel in dramatic form. Et comme si cela ne suffisait pas, d'ajouter que cela grips from the very first page, ce qui doit être vrai puisque c'est le Financial Times qui le dit.

    29 août 2024

    Cormac McCarthy, The Sunset Limited, Picador 2010

  • Sur *Le Passager* de Cormac McCarthy

    J'ai lu ce roman en septembre 2023 et je lai relu en juillet 2024. Cette fois encore, je me suis senti comme en plein jour et comme chez moi dans ce livre très sombre. L'intrigue, ténue, presque perdue dans des conversations libres, m'est apparue plus claire. Le souvenir de ma lecture de Stella Maris en octobre 2023 l'a beaucoup éclairée. Je vais devoir maintenant relire Stella Maris. L'idée venue lors de la première lecture de ces deux romans ensemble considérés comme un dispositif, que McCarthy modifie vraiment quelque chose d'important (que j'essaierai de préciser plus tard, peut-être) dans la constitution littéraire du roman, qui pourrait éventuellement lui permettre de survivre au siècle qui vient, est demeurée intacte, et s'est considérablement renforcée ; bien que je doute que le mot roman ait grand avenir devant lui. 

    29 août 2024

  • 6 janvier 24

    Dans le chapitre en cours (le second du nouveau roman alternant avec l'ancien), dont j'ai passé plusieurs semaines à mettre en place le plan rigoureux et cohérent (vous allez comprendre), la narratrice (S.H.) se demande si elle est ou non encore en vie ; ainsi d'ailleurs que d'autres personnes qui lui sont proches, au moins spatialement. Voilà pour ce qui est clair. Ce que je m'explique moins, c'est que le chapitre entier tourne farce, avec des capsules spatiales hallucinées, un romancier mort (McCarthy) devant compléter comme il peut un dialogue dont les réponses d'un des deux interlocuteurs se sont perdues, une explosion de la planète Terre vue depuis l'espace et un dialogue entre dominicains célèbres (se déroulant en Italie aux environs de 1270) manifestement écrit par un scénariste protestant-zombie compensant à coups de bordées de mots orduriers, pour un film à gros budget américain. Autant vous dire que le lecteur et moi-même débarquons là comme Fabrice à Waterloo.

    6 janvier 2024