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mccarthy

  • Personne ne lit rien

    J'ai l'habitude, mauvaise évidemment, de dire que personne ne lit rien.

    Il est déjà arrivé que des gens qui souhaitent me passer une commande d'écriture, refusent de lire ce que j'ai écrit précédemment.
    L'auteur dramatique est un prestataire de service ; il écrit ce qu'on lui demande ; il est prié d'épouser nos idées ; moins son style est personnel, mieux c'est. 

    Paulina Dalmayer partage sur sa page FB un morceau du billet que j'ai ici consacré à son dernier roman, Les Utopistes : elle ne craint pas de dire (le 26 octobre 2024) que je suis son dixième lecteur (le roman est sorti le 1er février 2023 chez Grasset). Son précédent roman, Les Héroïques, avait eu très bonne presse ; celui-ci n'en a pas : manifestement, il est trop gros.
    Trop de mots.

    Je n'ai pas encore lu Le Gardien du verger de Cormac McCarthy, qui est récemment sorti dans la nouvelle collection de poche des éditions de l'Olivier.  On peut lire dans la présentation qui y est faite de l'écrivain, que ses deux derniers romans, Le Passager et Stella Maris forment un diptyque unanimement salué en France. Je ne doute pas de ce que dit l'éditeur ; mais au vu de la complexité de ces deux romans, et particulièrement du second, je crois vraiment que les critiques qui ont salué (coucou) ces romans ne les ont pas lus. Ils sont partis du principe que McCarthy c'était bien ; que c'étaient sans doute (et ce fut le cas) ses deux derniers romans, et qu'il n'y avait qu'à, somme toute, crier au chef d'œuvre. Parfois, les non-lecteurs tombent juste.

    28 octobre 2024

     

  • The Sunset Limited, de Cormac McCarthy

    The Sunset Limited est un pièce de théâtre, un huis clos. Publiée aux USA en 2006, elle n'est pas traduite en français ; mais on peut sans doute regarder le film qu'a tourné Tommy Lee Jones, dans lequel il donne la réplique à Samuel L. Jackson.
    Elle met aux prises, dans le même appartement new yorkais miteux, du début à la fin, deux hommes qui ne se connaissent pas et n'avaient rien pour se rencontrer : un professeur blanc, savant, désabusé, qui vient de rater à l'instant une tentative de suicide et un homme noir, ancien taulard, très pauvre et satisfait de l'être, converti au Christ par la Bible.  Le second empêche le premier de sortir tant qu'il ne lui aura pas fait la promesse de ne pas recommencer son geste suicidaire du matin, qui consistait à se jeter sous les roues du train.
    On retrouve ici, en condensé, un certain nombre des obsessions du romancier. Je trouve plaisant la façon dont McCarthy fait parler ses personnages : l'oralité est puissamment présente, et diffère avec les personnages et les moments ; une transposition en français de cela serait très difficile, et paraîtrait sans doute très artificielle. But here you is.
    (On imagine encore mal en français, je crois, qu'une certaine profondeur de vue soit compatible avec une forme de mal parler ; on tolère un Céline parce qu'il a stylisé très fort une oralité qui n'existe qu'écrite, et parce qu'il doit rester seul.)
    Il me semble important de comprendre que ce court livre de McCarthy est une clé de lecture de l'ensemble de son œuvre et que, significativement, elle n'est pas écrite sous forme romanesque. (L'auteur a écrit en 1995 une autre pièce, non traduite, The Stonemason, dont je ne sais rien.)
    Je note que l'édition anglaise, même pour un écrivain aussi connu désormais que Cormac McCarthy, se croit obligée de préciser sur la couverture que cette pièce de théâtre est a novel in dramatic form. Et comme si cela ne suffisait pas, d'ajouter que cela grips from the very first page, ce qui doit être vrai puisque c'est le Financial Times qui le dit.

    29 août 2024

    Cormac McCarthy, The Sunset Limited, Picador 2010

  • Sur *Le Passager* de Cormac McCarthy

    J'ai lu ce roman en septembre 2023 et je lai relu en juillet 2024. Cette fois encore, je me suis senti comme en plein jour et comme chez moi dans ce livre très sombre. L'intrigue, ténue, presque perdue dans des conversations libres, m'est apparue plus claire. Le souvenir de ma lecture de Stella Maris en octobre 2023 l'a beaucoup éclairée. Je vais devoir maintenant relire Stella Maris. L'idée venue lors de la première lecture de ces deux romans ensemble considérés comme un dispositif, que McCarthy modifie vraiment quelque chose d'important (que j'essaierai de préciser plus tard, peut-être) dans la constitution littéraire du roman, qui pourrait éventuellement lui permettre de survivre au siècle qui vient, est demeurée intacte, et s'est considérablement renforcée ; bien que je doute que le mot roman ait grand avenir devant lui. 

    29 août 2024

  • 6 janvier 24

    Dans le chapitre en cours (le second du nouveau roman alternant avec l'ancien), dont j'ai passé plusieurs semaines à mettre en place le plan rigoureux et cohérent (vous allez comprendre), la narratrice (S.H.) se demande si elle est ou non encore en vie ; ainsi d'ailleurs que d'autres personnes qui lui sont proches, au moins spatialement. Voilà pour ce qui est clair. Ce que je m'explique moins, c'est que le chapitre entier tourne farce, avec des capsules spatiales hallucinées, un romancier mort (McCarthy) devant compléter comme il peut un dialogue dont les réponses d'un des deux interlocuteurs se sont perdues, une explosion de la planète Terre vue depuis l'espace et un dialogue entre dominicains célèbres (se déroulant en Italie aux environs de 1270) manifestement écrit par un scénariste protestant-zombie compensant à coups de bordées de mots orduriers, pour un film à gros budget américain. Autant vous dire que le lecteur et moi-même débarquons là comme Fabrice à Waterloo.

    6 janvier 2024

  • 16 octobre

    Le roman était fini, donc. Le 16 octobre, je l'ai pourtant repris. Une dernière fois. Je reprends tout, je double tout. J'avance lentement. Je tente de créer un peu d'empathie pour le monstre froid, se vidant à mesure jusqu'à devenir un de ces hommes creux dont a parlé T.S. Eliot. Je ne sais pas où je vais. Il aurait mieux valu ne pas écrire. Il va falloir descendre. Je m'en serais foutrement bien passé.

    L'idée de reprendre m'était déjà venue en avril, en découvrant Le secret de René Dorlinde de Pierre Boutang. Mon roman, si différent soit-il, partage avec celui de Boutang une grande diffraction, jusques à la disparition, de la structure narrative (quoi que cela veuille dire). Puis mai, juin, juillet, août étaient passés sans que je n'entreprisse rien, ou quelques dézingages de menues coquilles.

    Je l'ai repris le 16 octobre pour deux raisons qui me sont apparues en même temps : 1. Trois lecteurs très différents avaient récemment tenté de lire le manuscrit et aucun, je crois, n'était allé au bout des 180 pages, rien au fond ne les liant réellement au narrateur. (Et c'est une riche conversation avec mon ami Radu Stoenescu qui m'a fait effectivement commencer cette reprise.) 2. J'ai lu (dans cet ordre, qui est celui de la publication) Le Passager  et Stella Maris, les ultimes romans frères de C. McCarthy en une semaine et j'ai su très vite que j'allais devoir tout reprendre. Le nombre des dimensions que déploient les romans, à moins que ce ne soit la manière de circuler entre elles, dépasse tout ce que je connais, est mieux fluide (oui, mieux fluide) et moins seulement linéaire, le temps y existe d'une façon inconnue jusque là, et seul peut-être Finnegans Wake leur serait lointainement comparable, à ceci près, colossalement, que les deux romans de McCarthy sont intégralement lisibles. (Un homme de presque quatre-vingt dix ans, avec deux romans atomiques situés respectivement autour des années 1980 et en 1972 vient d'un coup d'ouvrir le XXIème siècle et il serait petit, ridicule, malhonnête et stupide de faire comme si cet évènement n'avait pas eu lieu.)

    J'ai dit que je doublais mon roman initial : j'ai donc commencé en octobre d'ajouter aux trois mémoires successifs de mon narrateur, des conversations enregistrées "objectives" qui ne vont pas nécessairement dans le même sens que lui ; et l'éclairent d'un jour violent. Mais, depuis novembre, je double encore ce doublement en commençant un roman parallèle (tenu par une narratrice absolument nouvelle, que je découvre à mesure, puisqu'elle n'est liée à aucun personnage précédemment existant), avec lequel le premier roman alternera, chapitre après chapitre. Le point de savoir si ce nouveau roman deux fois doublé absorbera d'une façon ou d'une autre ce que j'imaginais être sa suite (sous le titre GGS) n'est pas tranché encore.

    8 novembre 2023