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Ciels de synthèse - Page 2

  • Chez les morts

    — Il ne peut rien vous arriver ici. Le ridicule n'existe pas. Et pourquoi ne peut-il rien vous arriver ? Parce que vous êtes morts. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de votre chance. Les hommes ont dessiné un rectangle au sol et ils en ont fait une porte qui ouvre dans la mort. C'est une immense liberté, et cette liberté appelle une immense responsabilité.  J'ai vu des assassins ici devenir des agneaux, pour quelques minutes qui ne seront pas comptées dans leur vie. J'ai même vu la peur quitter des lâches.  J'ai vu des gens ordinaires devenir des bêtes, devenir des dieux, et puis s'évanouir. Mais pour l'instant, vous ne savez pas où vous êtes, vous n'êtes nulle part, et vous pensez que je suis fou parce que je vous dis que vous êtes morts. Ici, c'est le mort que vous êtes qui vient mourir. Il y a une transformation qui se produit et la prison à ciel ouvert, vous la quittez.
    Le maître alluma enfin la cigarette extra-longue qu'il tenait entre ses lèvres depuis qu'il avait pris la parole. 

    (Brouillon)


    19 octobre 2024

  • Feindre donc, Descartes

    I could be bounded in a nutshell and count myself a king of infinite space.
    Hamlet, dans Hamlet, de Shakespeare

    Il m'a pris cet été, disons début juillet, de lire Le discours de la méthode. Je pourrais dire relire, mais comme il ne m'en restait rien, hors le célèbre mot, je crois que lire est plus juste. 

    Je me suis aperçu fin août que beaucoup de ce qui y est dit était déjà tombé dans un relatif oubli et qu'il me fallait faire un effort important pour me ressouvenir de certains détails ; ces souvenirs à leur tour me semblent mal formulés, puisqu'ils le sont à ma sauce (et non point dans la langue si belle, à y bien regarder, de Descartes).

    Depuis deux semaines, je promène le livre dans la poche intérieure de ma veste. Je relis souvent les trois ou quatre premières parties. M'a frappé l'autre jour à quel point dans la quatrième partie, celle du fameux cogito en français, qui commence comme commencerait une lettre, le verbe feindre était important.

    Et si je résume d'un arc étrange la chose, c'est à cause que nos sens nous trompent, que Descartes se résout de feindre que toutes choses qui lui étaient jamais entrées dans l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de ses songes. Puis l'auteur entre dans la clairière du premier principe de sa philosophie : Je pense, donc je suis.

    Il faut feindre pour n'être point trompé. (Feindre n'est pas réduire, suspendre, moins encore... l'épochè.) Le bretteur Descartes a-t-il jamais hésité entre feindre et feinter ?

    Il est certes, mais cet être non parfait se sait tel parce que l'idée de perfection, rien ne venant de rien (comme dit aussi le roi Lear), a été mise en lui une nature qui fût véritablement plus parfaite : mesdames et messieurs, sous vos applaudissements : Dieu.

    Amo ergo sum, and in just that proportion. Dit Ezra Pound au Canto LXXX. 

    18 octobre 2024

     

     

     

     

  • La nuit

    J'écris la nuit dans le noir, sans doute même en dormant.
    Je développe des textes dans au moins trois chapitres en cours de la enihcam, dont un qui tisse quatre trames différentes.
    J'écris aussi de petits billets pour ce carnet, dont celui-ci, un autre sur Culture du vide de Dalrymple, un autre autour de Descartes.
    Sans compter diverses bricoles pour le travail (alimentaire).
    J'ai l'impression que mon cerveau, qui n'avait pas été d'abord, formé à cela, s'est très bien adapté à la fragmentation moderne.
    Le problème est que je n'ai pas le temps d'écrire physiquement le jour ce que j'ai écrit mentalement la nuit.
    Il y a un reste, qui évolue constamment d'ailleurs, perte incluse.

    18 octobre 2024

  • Ordonnancement chaotique

    Le mal consiste aussi à ne pas voir le bien. Je me suis levé en pleine nuit, il y a quelques semaines, avec cette phrase à écrire. Cette phrase se trouve être (techniquement) un alexandrin. Un vers transparent, au sens de T.S. Eliot (qui définit cela très bien dans son essai Les buts du drame poétique) : « Quand on écoute la première scène d'Hamlet, on ne s'arrête pas à considérer si les personnages parlent en vers ou en prose. »

     

    Ce que j'ai écrit, ce que j'ai pensé écrire, ce que j'ai rêvé, séparés qu'ils étaient, se confondent bientôt, disparaissent bientôt de ma mémoire (au fil des mois).
    Au début de la plage d'écriture (plage ?), le fichier du chapitre titrait ses 80.000 mots ; et à la fin, 13.000. J'en ai pourtant ajouté (ajôté) des choses...
    Ainsi, je puis faire référence manifeste, dans la suite de l'écriture, à des épisodes évacués ou pire, modifiés. D'autant que la chose ne s'écrit pas dans l'ordre de lecture. Par exemple, le personnage de MC a disparu, fondu dans RH, mais je retrouve une référence à Santa Fe (Nouveau Mexique) où vivait le premier, alors que RH, lui, ne quitte pas la Californie. Je laisse en l'état (pour l'heure).
    Palimpseste et métalepse sont sur un bateau...


    Il manque le paragraphe sur Goldorak. 

     

    Si je l'avais vu en septembre, j'aurais demandé à P. de lire tout ce fatras, de me faire un retour sur l'ordonnancement chaotique volontaire (ou plutôt : assumé) des choses, chaque chose étant claire et l'ensemble incompréhensible, et de souligner les bizarreries dont il aurait l'impression qu'elles ne sont pas volontaires. Mais au lieu de cela, P. est mort le 9 septembre, juste avant d'entrer dans sa quarante-quatrième année.

    8 octobre 2024

     

     

  • Lautréamont 4.0621

    Je n'ai jamais beaucoup aimé Les chants de Maldoror du comte de Lautréamont. C'est le livre d'un tout jeune homme dont la langue comme le sujet m'ont laissé sur le seuil. J'ai en revanche assez lu, jadis, ce qu'on appelle improprement depuis les surréalistes ses Poésies (cette fois signées de son nom, Isidore Ducasse).
    Les deux fascicules parus sous ce titre étaient en réalité la préface de Ducasse à des poésies qu'il n'a pas eu le temps, saisi par la mort, de corriger dans le sens du bien, de la morale. Cette préface elle-même est pour une grande part constituée de détournements de poètes ou de moralistes. Le plus significatif, sinon pas le plus beau ou le plus drôle, me semble celui-ci, pris à La Bruyère et retourné :

    « Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes. Sur ce qui concerne les mœurs, comme sur le reste, le moins bon est enlevé. Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes. »

    Il m'a toujours paru que je n'avais pas finalement à préférer vraiment la version de La Bruyère à celle de Ducasse ; ni l'inverse ; non tant parce que les deux positions se tiendraient comme on dit, que parce que l'essentiel est bien que toutes deux indiquent un problème d'importance.  C'est en tombant hier, presque au hasard, sur ce passage du Tractatus de Wittgenstein que Lautréamont/Ducasse m'est soudain remonté en mémoire :

    « 4.0621. Mais que les signes "p" et "∼p" puissent dire la même chose est important. Car cela montre que, dans la réalité, rien ne correspond au signe "∼"
    Que dans une proposition la négation apparaisse ne caractérise encore pas son sens (∼ ∼p = p)
    Les propositions " p" et " ∼p" ont un sens opposé, mais il leur correspond une seule et même réalité. »

    16 septembre 2024


    (La traduction utilisée ici est celle de Gilles-Gaston Granger.)