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platon

  • Deux cons (tiers inclus)

    Certains dialogues de Platon, c'est connu, sont de véritables pièces de théâtre. Dans les plus courts, je tiens Ion et Eutyphron pour deux des plus drôles. Ce n'est pas seulement parce que ces deux baudruches, le rhapsode et le prêtre, se font copieusement massacrer par Socrate. Non, c'est surtout parce qu'ils sont tous deux cons, mais alors merveilleusement cons. Ce sont des cons mieux qu'on en rêve. Ils sont encore mieux que ceux qui passent à la télé tous les jours. Ils seraient indifféremment ou presque acteur et journaliste, ou humoriste et philosophe. Quand j'avais lu Ion, il y a quelques années, j'avais eu l'idée d'en faire une adaptation libre ; je m'en étais ouvert à un collègue, qui peu après a eu exactement la même idée et l'a réalisée. Une idée semblable m'est venue à la relecture, récemment, d'Eutyphron. Mais ce dont j'aurais le plus envie, ce n'est pas d'adapter l'un ou l'autre des deux petits livres de Platon, mais de faire se rencontrer ces deux personnages-là, véritables Bouvard et Pécuchet de la Grèce Antique. Le titre pourrait être tout simplement :
    Deux cons.
    Avec un point à la fin, contre l'usage typographique.


    26 février 2025

  • Koyré

    J'ai fermé le livre en disant à voix haute : merci, monsieur. C'était les trois Entretiens sur Descartes d'Alexandre Koyré. Une telle intelligence, une telle clarté ne se retrouvent pas fréquemment. Surtout chez les philosophes ou prétendus tels (la dernière rinçure d'Université se complaisant au titre). La dette que nous avons tous envers Descartes, et qui n'est pas celle du tout, je crois, qu'on s'imagine, est très clairement exposée ; non moins que le fait qu'elle n'a pas fini du tout de courir, et que Descartes permet en effet, et beaucoup mieux que l'œuvre à la fin confuse du moustachu de Sils-Maria, de détruire les idoles, toutes. Ce qui est assez dangereux. Ces trois Entretiens forment la fin d'un livre consacré à l'Introduction à la lecture de Platon (que j'ai lu ensuite, procédant à rebours). Les deux opus se complètent et dialoguent. Ils remettent silencieusement de l'ordre. 

    5 février 2025

  • Sur *Stella Maris* de Cormac McCarthy

    Je relis Stella Maris.

    Les deux ultimes romans de McCarthy ne se suivent pas mais se font face. C'est une sorte de dispositif.
    Je pense néanmoins qu'il est préférable de lire d'abord le roman de Bobby Western, Le Passager, relativement déroutant déjà, avant d'entrer dans celui d'Alicia Western, Stella Maris, qui est un roman si l'on veut (disons, un roman et quelque chose en plus. Ou autre chose qu'un roman. C'est surtout cela, je crois) parce qu'on y entrera muni déjà de nombre de clés biographiques et chronologiques.
    Le Passager est le roman du physicien défroqué Bobby, homme en fuite, errant parmi les lieux de sa vie dispersée ; Stella Maris, le livre de la mathématicienne défroquée, enfermée de son plein gré dans l'institution donnant son titre marial à l'ouvrage, consiste intégralement dans l'enregistrement (si j'ose dire) des neuf séances d'Alicia, avec le médecin psychiatre Michael Cohen, qui précédèrent son suicide.

    (On peut imaginer par exemple que Bobby Western est aussi intelligent que McCarthy, ce qui est déjà assez impressionnant. Mais Alicia, elle, est beaucoup plus intelligente que l'auteur, et que tout le monde (exceptons Grothendieck, Gödel, Oppenheimer, et Husserl et Platon, si vous voulez, toutes personnes, sauf le dernier, qui ne se sont pas exprimées par la fiction (au sens ordinaire)) ; et ce n'est pas rien de réussir un tel personnage, et de le rendre aussi émouvant. Il se peut ici que la structure dialogique du livre ait été d'un grand secours à l'auteur (mais je n'y reviendrai pas).

    Détour.
    J'aime citer souvent la belle phrase de Guy Debord en son Panégyrique : « Personne, mieux que Shakespeare, n'a su comment se passe la vie. » 
    (Souvent, j'ajoute que nous autres Français, nous avons bien sûr Molière et Balzac. De plus en plus, à force de le relire, je mettrais La Fontaine au-dessus du lot, dans le cadre d'une comparaison à Shakespeare, s'entend).
    Mais ce qu'il faut entendre, dans la phrase de Debord, c'est que ce dont il est question, c'est de savoir comment se passe la vie. Et cette question-là n'est pas seulement littéraire : elle ne concerne pas moins le philosophe, le physicien, le mathématicien, l'historien, l'anthropologue.


    Le seul moyen de considérer Stella Maris seulement comme un roman, c'est de ne pas le lire. Et ça, c'est à la portée de la plupart des gens qui lisent (pour ne rien dire des autres). Ce n'est pas du tout parce qu'il est constitué exclusivement des dialogues, par exemple, que ce n'est pas vraiment un roman (et ce n'est pas du tout non plus du théâtre, même si, comme je l'ai dit, The Sunset Limited conclut une chose et en ouvre une autre: celle-ci).
    Ce n'est pas du tout un événement littéraire hors norme, comme ont pu l'être les apparitions de Dostoïevski en Russie, ou de Proust en France ; c'est un évènement (quelques qualités littéraires qu'il ait par ailleurs) qui est avant tout scripturaire ; qui dépasse aussi complètement toute idée littéraire, ce qui le rapprocherait éventuellement du Proust lu par Marchaisse, à cette différence majeure énorme que McCarthy ne cache pas du tout ce qu'il fait. C'est étalé en plein jour. Et personne ne voit. Et c'est manifestement le pari que fait McCarthy. (Ils lisent ce qu'ils veulent lire ; ils vont donc lire ce qu'ils ont l'habitude de lire, même si certains trouveront l'ensemble un peu bizarre.) Fin de la littérature romanesque. (Tant pis pour ceux qui disent comme des robots que le roman peut tout ingérer, dépasser, etc.)

    Une autre conséquence de tout cela, c'est qu'il va falloir lire ou relire toute l'œuvre de McCarthy à l'aune de Stella Maris. Cormac McCarthy n'est donc pas seulement ce talentueux faiseur de westerns (tiens), ou de romans apocalyptiques (même si La Route est aussi un livre magnifique de la relation père-fils).

    Basta for today.

    29 octobre 2024