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Livre - Page 7

  • La loi du plus fort

    La question du jour (mauvais temps, faute à Boutang...) est de savoir si l'agresseur est nécessairement le premier qui frappe. Il semble bien que les cas existent où le premier qui frappe n'est pas réellement l'agresseur ; où donc le premier coup serait permis (l'emploi du conditionnel est justifié plus loin). J'imagine, par exemple, que si six ou sept personnes le cernent et le menacent avec l'intention manifeste de lui faire la peau, un type est tout de même fondé à éclater les couilles du premier qui s'approche, dans la sainte intention de dissuader ses comparses. Mais en réalité, tout dépendra de l'issue du combat et du protagoniste finalement qui dira le droit. Ce qui signifie tranquillement que, sous les apparences à maintenir, tous les coups sont permis pour être celui dont à la fin la force prend force de loi. Ce n'est quand même pas si sorcier à comprendre. Il pleut toujours et je considère cette question comme définitivement résolue, merci de votre attention.

    8 février 2024

     

     

  • Barbarie

    La Barbarie est un livre qui met utilement en garde contre la science (contre sa détestation de la vie, de la culture), qui se veut objective au point qu'elle ignore, l'écartant a priori, ce qu'elle vient ravager : toute la vie subjective, laquelle pourtant permet son existence. Ce n'est donc pas d'une crise de la culture que parle Michel Henry, mais de sa destruction. Et finalement, une telle science se confond avec son idéologie techniciste, qui veut que tout ce qui peut être fait soit fait (sans égard pour rien de sacré ou d'important), et ne comprend pas, ne peut pas comprendre, que partout où elle triomphe, la vie s'éteint. (Je résume à la hache, me passant du sabir phénoménologique (ça y est, c'est raté) qui me fait de plus en plus souvent, symétriquement si j'ose dire, le même effet que ce qu'il dénonce, à savoir d'un déploiement conceptuel fait pour placer la vie sous l'éteignoir.) La mise sous le boisseau de l'art (qui n'est plus lui-même le médium, puisqu'il a besoin, pour (aller) se faire voir, des médias) ou la destruction de l'Université sont bien réelles. Et l'auteur de conclure, 1987, que tout culture ne peut plus être qu'underground, je dirais aujourd'hui : clandestine.

    3 février 2024

    La Barbarie, Michel Henry, Grasset, 1987 ; PUF, 2014

  • 26 janvier 2024

    Passé les quinze derniers jours à tenter d'extraire de la narratrice S.H. de quoi faire un soliloque à destination (très hypothétique) du théâtre-zombie. Thème global : La loi du plus fort est toujours la meilleure. (Rapports du poète et du tyran.) Convoqués d'autorité, Mandelstam, La Fontaine (donc), Xénophon, Joyce. Se sont invités Apollinaire (hors sujet, diversion, Merveille de la guerre) et Pound (passage éclair pour ce dernier). Le tout dans un futur proche à la technomisère organisée par personne. Concision du style : maximum de violence dans minimum de mots, la plus grande étant de la dire comme une évidence, en passant. Dès le début d'écriture, massacre indifférencié des poètes neuneus du jour (les débiles légers parlent aux débiles légers) et des burnes vides élues qui gauleiterisent le pays, et le monde . (Juste après, dans la prétendue vraie vie, 2000 nullités poétalisantes dénoncent comme "trop méchant" Sylvain Tesson, l'écrivain touristique poly-râteliérisé à dico des jolies citations intégré. Lili Pute et Pute Lili <en même temps>.) Puis entrée directe dans la colonisation de l'esprit humain par la machine, le corps servant de terminal ; avec en filigrane discret la légalisation du commerce des enfants (usinage/import/export). (Pendant ce temps, dans la vraie vie, autour de moi, dans le village, révolte paysanne. Des gens qui ne veulent pas devenir ce que je viens d'écrire.) Et moi, seul, de part et d'autre de la schize, avec mon cigare belge (tabacs Joseph Martin).

    26 janvier 2024

  • Deux éducations

    Je lis, pour la troisième fois ces dernières années, le De la Tyrannie de Leo Strauss consacré à l'Hiéron, dialogue d'une trentaine de pages de Xénophon. Et comme chaque fois, dans la dernière partie du livre de Strauss, ce passage où apparaissent tout à coup, comme inopinément, deux romanciers, m'épate (oui, m'épate) :

    « Le caractère particulier de l'Hiéron ne se découvre pas à la première lecture, ni même à la dixième, quelle que soit la peine que l'on se donne, si la lecture ne provoque chez le lecteur un changement d'orientation. Ce changement était beaucoup plus facile pour le lecteur du XVIIIème siècle que pour le lecteur moderne qui a été formé par la littérature brutale ou sentimentale des cinq dernières générations. Une deuxième éducation nous est nécessaire pour nous accoutumer à la noble réserve et à la calme grandeur des classiques. Xénophon se bornait à cultiver exclusivement cet aspect des écrits classiques qui est complètement étranger au goût moderne. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit, de nos jours, méprisé ou ignoré. Un critique, inconnu de l'antiquité, qui fut sans nul doute un psychologue perspicace, le jugeait des plus modestes. Les lecteurs modernes qui ont la chance d'avoir une préférence naturelle pour Jane Austen plutôt que pour Dostoïewsky, en particulier, comprennent Xénophon plus aisément que les autres. Pour comprendre Xénophon, il leur suffit de combiner l'amour de la philosophie avec leur préférence naturelle. »

    Le livre de Strauss est publié en 1954. Il dit que la littérature brutale ou sentimentale en vigueur aujourd'hui a débuté voici cinq générations, soit environ 125 ans, c'est-à-dire vers 1820. Il désigne sans doute le mouvement romantique (dont Dostoïevski serait une manière d'avatar russe, extrême et terminal). La remarque de Strauss n'est cependant pas une charge contre cette littérature. L'idéal est donc bien de pouvoir lire Austen et Dostoïevski. 

    Je n'ai pas lu Jane Austen. Mais j'ai lu Marcel Proust. Et si, quoiqu'indigne et quitte à faire râler les cons, je m'amusais à déplacer temporellement et géographiquement les références straussiennes, je dirais volontiers qu'il faut tenir ensemble Proust et Dantec (par exemple). 

    22 janvier 2024

  • Un homme discret

    Il avait 47 ans en 1982, il était ingénieur en informatique. Il a traduit le livre du siècle le plus intraduisible, chose à laquelle il s'est consacré une vingtaine d'années, et a donné à ce sujet une interview unique au journal Le Monde. Le nom de ce monsieur est Philippe Lavergne et il a traduit Finnegans Wake en français. Je crois que c'est tout ce qu'on sait. Est-il encore de ce monde ? (Il a un homonyme qui écrit des choses et les publie, et c'est une manière possible d'être confondu qui redouble presque l'anonymat.) Je trouve cette discrétion fascinante. Un tour sur les réseaux suffit à vous convaincre que le plus humble des honnêtes tâcherons ne s'exprime jamais tant que lorsqu'il s'agit de faire la publicité de ses œuvres, lesquelles sont très souvent navrantes et presque toujours superfétatoires. Là, non : le nom de Philippe Lavergne n'est entré dans le monde qu'au service de l'œuvre la plus phénoménale du siècle et s'est aussitôt effacé derrière, nous laissant seuls avec un livre qu'on n'arrive pas à lire.

    19 janvier 2024