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Culture du vide, de Theodore Dalrymple

Culture du vide est une série d'essais roboratifs écrits au début de ce siècle par le médecin psychiatre anglais Theodore Dalrymple, né en 1949 ; ils viennent d'être traduits en français et publiés, en même temps que Zone et châtiment, par l'exemplaire Radu Stoenescu des éditions Carmin.
L'auteur prend très souvent appui sur ses expériences personnelles, qu'il s'agisse de ses rapports aux patients des hôpitaux ou prisons anglais ou des nombreux autres pays du monde dans lesquels il a exercé. Sa qualité de jugement est en quelque sorte garantie par son sens de la mesure, son érudition littéraire et culturelle et un humour britannique de la plus haute tradition.
Il en vient très souvent à montrer, fiascos à l'appui, comment les meilleures intentions sociales (qui souvent ne paraissent telles que parce que nous ne percevons pas immédiatement ce qu'elles recèlent de supériorité supposée, de classe ou de savoir, et partant, de mépris) ne donnent dans leur application à la réalité qu'une aggravation souvent irréversible des maux qui avaient été pourtant si justement étudiés ; sans pour autant verser dans une admiration béate devant l'accablante libre production du marché à destination des gogos. La mesure, vous dit-on.
Par certains côtés, Dalrymple peut évoquer Philippe Muray ; mais c'est un Muray qui n'aurait pas passé le plus clair de sa vie, on ne sait finalement plus pourquoi, dans le microcosme éditorial (plutôt que littéraire) parisien. L'autre différence majeure étant que la littérature et la culture, chez Dalrymple, ne se départissent pas d'une certaine exigence morale qui ne se voile jamais la face sur la réalité des êtres, et la présence en eux du mal. 
Notre auteur traite avec un égal bonheur de sujets fort variés et souvent délicats ; qu'il s'agisse de la frivolité du mal (déresponsabilisation « oblige »), de l'utilité de la corruption (et d'une certaine méfiance vis-à-vis de l'État), du point de savoir pourquoi La Havane devait mourir, de la mort de la princesse Diana (la déesse des tribulations domestiques) ou de la folie désespérante de la fornication maladive dans laquelle l'Occident a plongé comme un seul homme (pour finir dans l'espèce de catatonie dans laquelle nous sommes entrés vingt ans après).
Mes préférences vont à sa très belle et limpide analyse du Macbeth de Shakespeare, dont le personnage principal n'avait précisément aucune raison objective de faire le mal, non moins qu'à la compréhension très fine (et très utile aujourd'hui) des USA et de la Russie grâce aux lectures parallèles de Tocqueville et Custine, deux écrivains français (il faut dans l'ensemble d'ailleurs, saluer la grande francophilie de l'auteur).
La critique, pleinement justifiée, d'un certain nombre d'écrivains reconnus, Virginia Woolf par exemple, est très jubilatoire ; sa comparaison des vies vraiment parallèles de Marx et Tourgueniev, où le second seul ne veut pas à toute force conformer la vie à ce qu'il pense qu'elle devrait être ou devenir, est magnifique, d'éclairer à ce point ce que peut être un homme lucide et généreux ; et plus profondément encore, la description critique de cette manière de juger et promouvoir l'art et la littérature à l'aune de la perte de toute mesure et partant, de leurs franchissements symboliques successifs (l'exemple de la banalisation du mot fuck, des romans de D.H. Lawrence à cet enfant de trois ans disant fuck you à sa mère pendant une consultation), qui justement ont amené à cette appauvrissement de la langue et de l'intelligence qui ravage aujourd'hui l'Occident, est une des raisons nombreuses de remercier Dalrymple d'avoir écrit ce livre. 
C'est également, et presque intégralement, par quelque prisme que l'auteur s'attaque à la réalité, un livre sur le péché originel. 


25 octobre 2024

Theodore Dalrymple, Culture du vide, éditions Carmin 2024

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