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marchaisse

  • Le repos du logicien

    Comme bien d'autres avant lui, il végéta longtemps dans quelque manuscrit, avant de finir inédit, grignoté par des rats de bibliothèque. « Tombeau d'un Je », Monsieur Hopop


    J'ai parlé ici-même il n'y a pas longtemps du formidable Théorème de Proust, de Thierry Marchaisse, grenade cryptologique jetée dans le champ de la critique proustienne (je tiens l'expression de l'auteur).
    Voici à présent, du même (si ce mot a un sens), 
    Monsieur Hopop. 

    Hopop, donc, c'est en quelque sorte le logicien au repos, amusé de lui-même et de l'absurdité de tout. Il a la légèreté profonde ; la mort fait mine de passer en souriant, et l'amour même a la douleur amortie.
    Il faut dire que ce Hopop est souventefois flanqué d'une Ziche plus ou moins sienne, qui vaut le détour et ne cède en rien au logicien, planquant ses espagnoles sous le joug des terroristes, code dont le pauvre Hopop n'a précisément pas la clé.

    Le nom du cher Hopop, houblonné malgré lui et fantasque à la Gide, prête à sourire, légèreté pulsée d'un petit restant de stress.
    Il semblerait même que les sérieux travaux du logicien Marchaisse sur l'œuvre double de Marcel Proust soient deux fois évoqués (mais j'ai pu en rater), une fois par cette expression : les phases de la consolidation mnésique chez le poussin ; une autre, à l'occasion d'ailleurs d'une erreur dans les principes (ce qui est sans doute plus grave que ça n'en a l'air), par celle-ci : traité sur la protomnèse des poussins. Le poussin vaudrait pour le proustien. Voilà qui semblera peut-être prouster le bouchon un peu trop loin pour les amateurs de sérieux (et qui ne veulent pas savoir (sont-ils bouchés !) de quoi celui-là (le sérieux, pas le bouchon) est fait, en vérité je vous le dis).

    Enfin, comme dit Monsieur Hopop, bernanosant à l'occasion, ce n'est pas toujours évident d'avoir une vie intérieure. Heureusement, après les extraits choisis des carnets dudit Hopop, les « Paraboles en kit » occupant le milieu de l'ouvrage, peuvent aider :
    « Axiome du sujet : Où qu'il aille avec sa tête, son cul suit. » 

    L'ouvrage se clôt sur six fantaisies charmantes, logiques ou grivoises ou parodiant Diderot, dont le magnifique « Koan du petit peintre », qui éclaire tout. Ou pas. Ou presque. Mais qui éclaire. Et qui est clair. Si.

    4 décembre 2024

    Thierry Marchaisse, Monsieur Hopop, éditions Thierry Marchaisse 2024 

  • Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse

    Terre !
    Christophe Colomb

    1 Prédiction

    « … c’est à la cime du particulier qu’éclot le général », écrit Proust à Halévy.
    Je ne connais pas Thierry Marchaisse. Mais il est tranquille, à présent. Il a publié son livre, à ses conditions, dans sa propre maison d’édition. (Qui d’autre l’aurait fait ?) Il sait que c’est un livre important. Sans précédent. Il sait qu’il sera lu. Un jour. Il sait que tout travail universitaire sur Proust verra son livre figurer dans la bibliographie (ce qui n’a aucune espèce d’importance). Il sait que la plupart des gens qui le feront figurer là ne l’auront pas lu, pas vraiment lu, au mieux l’auront survolé (pfiou, la logique). Jusqu’au jour, Dieu sait quand, où quelqu’un le lira. Et mieux encore, s’en servira. Et se plantera (au moins littérairement — je peux expliquer ça, mais je n’ai pas le temps). Il sait que son livre un jour pourra être à l’origine de choses nouvelles et extraordinaires (et de pléthore de pénibles imitations), ce qui en fait au sens propre un livre génial, étant lui aussi tout à fait neuf et extraordinaire.
    Le livre est si dense, excède tant mes capacités, que je suis obligé pour en parler de prendre ce ton par-dessus la jambe, seul susceptible de me mener où je vais.

     

     2 Double vocation

    « Enfin un lecteur qui devine que mon livre est un ouvrage dogmatique et une construction ! » écrit Proust à Rivière en 1914.
    Le théorème de Proust n’est pas un livre, pour une fois, qui a l’air d’avoir été écrit par un descendant de personnages de Proust, en général le sentencieux bâtard d’une Verdurin de compète et d’un Charlus qu’elle aurait un soir d’ivresse un peu forcé. D’ailleurs, à la différence de tant d’autres ouvrages sur La Recherche, auxquels on ne comprend rien si on n’a pas lu Proust, perdu que l’on est dans les entrelacs des relations entre de trop nombreux personnages inconnus, le livre de Marchaisse (synthèse de trente ans de travail et de cinquante ans de lecture de la Recherche), pourrait être tout à fait lisible à qui n’a pas lu de Proust une ligne ; ce qui pourrait même ensuite créer une nouvelle sorte de lecteurs de Proust, qui se croiraient en quelque sorte dispensés de la lecture naïve (comme si cela se pouvait).
    L’auteur tient pour acquis le génie littéraire exceptionnel de Proust et, en quelque sorte, n’y revient pas : son but unique est de montrer, avec les outils de la logique, et eux seuls, que La Recherche est également une démonstration logique cryptée, le mot de démonstration étant de Proust (qui ne s’en explique guère) ; que Proust est en somme deux fois un génie ; d’où le sous-titre de l’ouvrage, à prendre au premier degré et avec le plus grand sérieux : Une cryptanalyse de la Recherche. Par quoi la Recherche n’est pas seulement le livre d’une vocation littéraire, mais d’une vocation double, littéraire et logique.
    Je ne suis pas logicien (ni universitaire ni critique, d’ailleurs) et tiens pour justes tous les raisonnements de l’auteur ; ce qui m’intéresse, ce sont leurs conséquences éventuelles. Je laisse donc tout lecteur intéressé se reporter à ce que Marchaisse établit des idées infiniment fécondes, infiniment puissantes ; et même doublement infinies.

     

    3 Sans entrer dans aucun détail technique

    « […] le décryptage de la démonstration de Proust repose sur l’analyse logique de ses allusions, type de signal complexe qui appartient à la catégorie des « signaux faibles ». » (p. 273)
    « Dès lors, une fois mises de côté toutes les allusions cryptologiques non essentielles de Proust, on s’aperçoit alors qu’il n’en existe en fait que très peu qui soient réellement décisives et, pour ma part, je n’en ai repéré que trois dans toute la Recherche. » (p. 212)
    « Car, en parvenant à être aussi rigoureuse que cryptée, la démonstration proustienne réussit le tour de force de se passer de tout appareil théorique. » (p. 39)
    La clé du Je proustien (des « Je »), décryptée dans son premier chapitre par Marchaisse, lui  est donnée au volume III de la Recherche (Le côté de Guermantes) lorsqu’il est question « de la vocation invisible dont cet ouvrage est l’histoire. » Partant, il s’achemine à prouver que c’est bien le « je » auteur de la Recherche qui dit « je » ici, et non pas son narrateur semi-fictif, qui n’a justement lui encore entrepris aucun ouvrage !

     

    4 Au passage

    « On remarquera que l’on vient de réfuter, au passage, une idée largement reçue, à savoir qu’on ne saurait trouver de véritables démonstrations qu’en mathématiques. Ou tout au plus dans les sciences dites « dures », parce qu’elles sont justement plus ou moins mathématisées. »
    […] « Il en résulte donc bien, plus généralement, que les mathématiques n’ont aucun monopole en matière de démonstration ou de théorème. Car, d’un point de vue logique, l’ensemble des démonstrations mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des démonstrations possibles. Comme l’ensemble des théorèmes mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des théorèmes possibles. »
    Au passage, dit Marchaisse. Ben voyons.

     

    5 Théorèmes de Marchaisse

    Les lemmes, axiomes et théorèmes que Marchaisse décrypte de la Recherche n’ont jamais été écrits par Proust, pour l’excellente raison qu’il les a cachés dans son grand œuvre.
    Les théorèmes de Proust sont les théorèmes de Marchaisse.
    Si ces théorèmes de Marchaisse sont vrais, ils sont vrais pour d’autres œuvres que celles de Proust, qu’elles existent ou non à ce jour.
    Le livre de Marchaisse n’est donc pas seulement un livre tourné vers Proust et sa Recherche, au sens où ce qu’il contient donne accès à des connaissances concernant l’œuvre littéraire singulière de Proust et partant, non-transposables à un autre auteur singulier ; c’est également un livre qui quitte Proust et la Recherche, ayant déduit de cette dernière une série de théorèmes valables universellement pour toute œuvre qui serait donc logico-littéraire.
    (La question du pluriel. Marchaisse décrypte neuf théorèmes et intitule son livre Le Théorème de Proust. Ce ne peut être un hasard.)

     

    6 Möbius toi-même

    Les œuvres de Proust antérieures à la Recherche sont ou littéraires ou théoriques et n’auraient presque aucune importance si elles n’avaient été suivies du grand roman ; seule la Recherche, avec l’invention par Proust de son double sujet (lisez Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse), permettra la coexistence en une seule œuvre de deux œuvres, l’une littéraire et obvie, l’autre logique et cryptée, selon le modèle du ruban de Möbius — à la différence toutefois que l’on n’accède à l’œuvre nécessairement par une seule face du ruban, la littéraire, qui oblige à une lecture naïve, le lecteur croyant que le ruban a une seule face (le livre ne se présentant pas physiquement comme un ruban. Je plaisante.)
    « Il se trouve que le premier livre de Proust fut pendant longtemps son seul et unique livre, si longtemps que cela aurait pu aussi bien être le dernier, malade comme il l’était. Proust est resté, en effet, pendant dix-sept ans, « l’auteur de Les Plaisirs et les Jours », puisqu’il a publié ce premier livre à 25 ans (en 1896) et qu’il n’en a pas publié d’autres avant 1913, c’est-à-dire avant le premier volume de la Recherche. »
    Il en va sans doute de même pour les ouvrages précryptanalytiques de Marchaisse consacrés à Proust (de 1990 à 2020), ce que l’auteur laisse entendre dans son Avant-Propos. Il reste à se demander, du coup (car je suis sous le choc), si le livre de Marchaisse, se présentant lui par la face logique du ruban n’a pas une forte dimension littéraire cachée (cryptée ou non).

     

    7  Colombus Marchaisse

    La phrase de Proust à Halévy donnée en exergue à mon premier point peut certainement être retournée (un ruban, après tout…) et l’on peut alors voir éclore le particulier à la cime du général.
    L’auteur n’est sans doute pas sans y penser, à la fin réelle de sa démonstration (juste avant les Annexes) : « Car il y a au moins un certain type d’esprits que la logique de la Recherche ne peut laisser indifférent, à savoir ceux qui sont tournés, comme son auteur, vers la recherche et la création. »
    Et encore, à la même page : « [ …] tous les vieux apprentis créateurs qui partagent l’idéal transgenre de Proust1, et sont donc suffisamment artistes et théoriciens pour être doublement exigeants avec eux-mêmes. Car un tel idéal voue nécessairement tous ses chevaliers servants à expérimenter eux aussi très longuement la stérilité, le doute et l’échec dans leurs « recherches de l’esprit » pascaliennes. »
    Les neuf théorèmes de Marchaisse, après tout, tiennent sur une demi-page. Mais la démonstration logique de l’auteur (les 290 pages du livre) ne serait-elle pas aussi une création littéraire pure ? (Tiens, les Indes…) A moins qu’il ne soit question bien sûr, « d’une œuvre théorique relative à un domaine nouveau. »
     

    Pascal Adam, 30-31 août 2024

    Thierry Marchaisse, Le théorème de Proust, éditions Thierry Marchaisse, 2022

     

     

  • Vortex 2

    « Je crois que c'est William Burroughs qui dans un texte à propos de Kerouac, établit ainsi la distinction entre l'Auteur et le Narrateur : le Narrateur est l'espion envoyé par l'Auteur dans le monde que celui-ci est en train de créer. Un écrivain n'est jamais . »

    Dantec, Villa Vortex

     

    PS : Proust ne serait peut-être pas d'accord mais il ne dirait pas le contraire pour autant (à suivre, un de ces quatre, avec Thierry Marchaisse).

    8 janvier 2024