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marchaisse

  • M. Quelle, Chermont et moi

    « M. Quelle aurait pu se faire moine. Tant qu'à vivre seul, pourquoi ne pas vivre avec Dieu ? Ça ou la comptabilité, comme il en fit de nombreuses années, ou le saut à l'élastique, comme il s'apprêtait à en faire, franchement, quelle différence ? »

    Pierrick de Chermont m'a offert son livre, bel objet, chez lui, fin novembre (2024), après que j'avais lu des poèmes de Pierre Perrin. On devrait toujours dire (peut-être) d'où nous arrivent les livres ; et entre quels autres livres on les a lus.
    Gwen Garnier-Duguy sur la quatrième de couverture (et dans la postface) dit que depuis presque un siècle la littérature française n'a plus de personnage poétique ; et c'était amusant de lire ça car mon ami et néanmoins poète Fred Pougeard venait de m'offrir le Monsieur Hopop de Thierry Marchaisse. Livre que j'avais commencé à peine, mais dont le personnage, pour le coup, me semblait poétique.
    J'ai donc lu M. Quelle (qui se prononce, selon le dire de l'auteur M point Qouelleu) juste après le Hopop. (C'est en soi une chose statistiquement peu probable et tout à fait hasardeuse.)
    Je voulais déjà en noter quelque chose ici, mais n'en ai point alors trouvé le temps.

    J'ai donc relu, début février, ce M. Quelle (le livre que j'ai lu juste avant était Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad (il ne peut plus être question, comme avec le livre de Marchaisse, de contempler des différences subtiles : le contraste emporte tout)).
    De Chermont, j'avais déjà lu Les Portes de l'Anonymat et Les Limbes (les deux volumes chez Corlevour, dont le dernier m'avait fait dire que l'auteur était le dernier honnête homme (parfois, j'exagère)). 

    M. Quelle (je ne m'y fais guère et dans ma tête prononce toujours Monsieur Quel) commence par être le type improbable si pas abstrait qui fait, en survêtement, des mouvements étranges derrière les lignes du livre que vous lisez (si le lecteur peut accepter cela, me dis-je alors, il doit pouvoir accepter tout le reste ; c'est l'un des avantages de commencer par la face Nord) ; puis à mesure que l'on avance dans le livre il prend chair, il prend une sorte de vie autonome (quoique manifestement asexuée) et mène une vie qu'il ne mène vraiment ni vraiment ne vit. On dirait une sorte de lecteur lambda à peine intéressé par ce qu'il lit (et qui semble craindre, ce qui est plus excusable et compréhensible, ce qu'on appelle encore aujourd'hui de la poésie).

    « Dès ses premières minutes dans le monde, M. Quelle ne manifesta rien de particulier. »

    Le type, velléitaire en diable, par instants même presque théorique, est des plus attachants et Pierrick de Chermont nous en narre les poétiques et parfois plates aventures avec grande distance et humour délicat. Il n'est pas possible, au fond, de ne pas se reconnaître, même partiellement, dans ce crétin désorbité de Quelle ! C'est amusant, et mieux, souventefois fort bien vu. Notre époque est dite là, comme en passant, et en faisant pour ainsi dire autre chose.

    Monsieur Quelle est aussi borroméen que le nœud dont il ne parle pas : il est ce cercle par lequel sont liés à présent le lecteur & l'auteur (le poète), qui sans doute sont les véritables protagonistes du non-drame (ou pour le moins du drame très distancié qui se joue, ou ne se joue pas). 
    (Dans le nœud borroméen (Lacan-coyote à part), chacun des trois cercles lie les deux autres qui, sans lui, ne sont pas liés entre eux.)
    La chose est annoncée discrètement et comme naturellement dès le second des 54 poèmes en prose, « Le temps vide » (un sous-titre possible, d'ailleurs, de l'ensemble du recueil), dans une incise d'une simplicité biblique : « pour fixer son âge, précisons qu'il avait le mien, ou le vôtre ». M. Quelle est, si j'ose dire, là tout entier. Il emprunte à l'auteur et au lecteur et peu importe quoi. Il empreinte, tout aussi bien. Le lecteur prend ce qu'il veut et prête le reste au poète (on ne prête qu'aux riches) ; c'est en tout cas ce que j'ai fait. C'est ainsi que M. Quelle, dans ses aventures plus ou moins métaphysiques (il peut même entreprendre de devenir un singe en cage), est souvent homme d'affaires aussi bien qu'électricien ou jardinier, toutes activités ayant une importance moins contingente encore que relative). M. Quelle parfois se demande s'il existe : si vous non, alors l'auteur sans doute (et vice-versa). Tout cela est assez drôle, dans les deux sens, dans une prose légère et maîtrisée, sans rien en elle qui pèse ou qui pose.

    En somme, Chermont a beaucoup d'intelligence (ce qui ne nuit jamais, contrairement aux bêtises qu'on peut lire çà et là) et de fantaisie, ce qui est encore mieux. Le livre est enlevé, limpide et profond, ce qui est rare, dont la prose touche juste (à quelques coquilles près). À propos de prose, M. Quelle est comme moi, il utilise à penser le temps qu'il passe aux toilettes et fait tout autre chose, avec un enthousiasme volatile, dès qu'il en sort. 

    « Monsieur Quelle ne savait trop quoi penser des circonstances présentes. »

    Ce qui est amusant aussi, c'est la postface de Gwen Garnier-Duguy. Je ne doute pas du tout de la sincérité de sa lecture, ni de sa volonté de défendre et la poésie (cette idée...) et Pierrick de Chermont, mais il en fait un peu trop. On a le droit, bien sûr, de voir en M. Quelle un homme déconstruit, mais il faut croire avant cela qu'une telle catégorie existe réellement. Garnier-Duguy finit même, allusions obligent, par voir notre poète Chermont s'engouffrer tout debout dans deux impasses à la fois, celle de Rimbaud et celle de Mallarmé (qui auraient fermé l'avenir de la poésie) pour offrir un avenir, justement (!), à ladite poésie. Bon. C'est étrange, tout de même, d'offrir un avenir en s'engouffrant (Dieu sait comment) dans deux impasses à la fois. Je renonce à comprendre, pas à sourire.

    Les choses de mon point de vue sont plus simples, quoique borroméennes : Par M. Quelle, Chermont me lie à lui ; par Chermont, je me suis lié à M. Quelle ; par moi (lecteur dans l'exercice de lire) le M. Quelle de Chermont existe.  

    17 février 2025

    Pierrick de Chermont, M. Quelle, L'Atelier du Grand Tétras, 2024

  • Sur *Stella Maris* de Cormac McCarthy

    Je relis Stella Maris.

    Les deux ultimes romans de McCarthy ne se suivent pas mais se font face. C'est une sorte de dispositif.
    Je pense néanmoins qu'il est préférable de lire d'abord le roman de Bobby Western, Le Passager, relativement déroutant déjà, avant d'entrer dans celui d'Alicia Western, Stella Maris, qui est un roman si l'on veut (disons, un roman et quelque chose en plus. Ou autre chose qu'un roman. C'est surtout cela, je crois) parce qu'on y entrera muni déjà de nombre de clés biographiques et chronologiques.
    Le Passager est le roman du physicien défroqué Bobby, homme en fuite, errant parmi les lieux de sa vie dispersée ; Stella Maris, le livre de la mathématicienne défroquée, enfermée de son plein gré dans l'institution donnant son titre marial à l'ouvrage, consiste intégralement dans l'enregistrement (si j'ose dire) des neuf séances d'Alicia, avec le médecin psychiatre Michael Cohen, qui précédèrent son suicide.

    (On peut imaginer par exemple que Bobby Western est aussi intelligent que McCarthy, ce qui est déjà assez impressionnant. Mais Alicia, elle, est beaucoup plus intelligente que l'auteur, et que tout le monde (exceptons Grothendieck, Gödel, Oppenheimer, et Husserl et Platon, si vous voulez, toutes personnes, sauf le dernier, qui ne se sont pas exprimées par la fiction (au sens ordinaire)) ; et ce n'est pas rien de réussir un tel personnage, et de le rendre aussi émouvant. Il se peut ici que la structure dialogique du livre ait été d'un grand secours à l'auteur (mais je n'y reviendrai pas).

    Détour.
    J'aime citer souvent la belle phrase de Guy Debord en son Panégyrique : « Personne, mieux que Shakespeare, n'a su comment se passe la vie. » 
    (Souvent, j'ajoute que nous autres Français, nous avons bien sûr Molière et Balzac. De plus en plus, à force de le relire, je mettrais La Fontaine au-dessus du lot, dans le cadre d'une comparaison à Shakespeare, s'entend).
    Mais ce qu'il faut entendre, dans la phrase de Debord, c'est que ce dont il est question, c'est de savoir comment se passe la vie. Et cette question-là n'est pas seulement littéraire : elle ne concerne pas moins le philosophe, le physicien, le mathématicien, l'historien, l'anthropologue.


    Le seul moyen de considérer Stella Maris seulement comme un roman, c'est de ne pas le lire. Et ça, c'est à la portée de la plupart des gens qui lisent (pour ne rien dire des autres). Ce n'est pas du tout parce qu'il est constitué exclusivement des dialogues, par exemple, que ce n'est pas vraiment un roman (et ce n'est pas du tout non plus du théâtre, même si, comme je l'ai dit, The Sunset Limited conclut une chose et en ouvre une autre: celle-ci).
    Ce n'est pas du tout un événement littéraire hors norme, comme ont pu l'être les apparitions de Dostoïevski en Russie, ou de Proust en France ; c'est un évènement (quelques qualités littéraires qu'il ait par ailleurs) qui est avant tout scripturaire ; qui dépasse aussi complètement toute idée littéraire, ce qui le rapprocherait éventuellement du Proust lu par Marchaisse, à cette différence majeure énorme que McCarthy ne cache pas du tout ce qu'il fait. C'est étalé en plein jour. Et personne ne voit. Et c'est manifestement le pari que fait McCarthy. (Ils lisent ce qu'ils veulent lire ; ils vont donc lire ce qu'ils ont l'habitude de lire, même si certains trouveront l'ensemble un peu bizarre.) Fin de la littérature romanesque. (Tant pis pour ceux qui disent comme des robots que le roman peut tout ingérer, dépasser, etc.)

    Une autre conséquence de tout cela, c'est qu'il va falloir lire ou relire toute l'œuvre de McCarthy à l'aune de Stella Maris. Cormac McCarthy n'est donc pas seulement ce talentueux faiseur de westerns (tiens), ou de romans apocalyptiques (même si La Route est aussi un livre magnifique de la relation père-fils).

    Basta for today.

    29 octobre 2024

     

  • Le repos du logicien

    Comme bien d'autres avant lui, il végéta longtemps dans quelque manuscrit, avant de finir inédit, grignoté par des rats de bibliothèque. « Tombeau d'un Je », Monsieur Hopop


    J'ai parlé ici-même il n'y a pas longtemps du formidable Théorème de Proust, de Thierry Marchaisse, grenade cryptologique jetée dans le champ de la critique proustienne (je tiens l'expression de l'auteur).
    Voici à présent, du même (si ce mot a un sens), 
    Monsieur Hopop. 

    Hopop, donc, c'est en quelque sorte le logicien au repos, amusé de lui-même et de l'absurdité de tout. Il a la légèreté profonde ; la mort fait mine de passer en souriant, et l'amour même a la douleur amortie.
    Il faut dire que ce Hopop est souventefois flanqué d'une Ziche plus ou moins sienne, qui vaut le détour et ne cède en rien au logicien, planquant ses espagnoles sous le joug des terroristes, code dont le pauvre Hopop n'a précisément pas la clé.

    Le nom du cher Hopop, houblonné malgré lui et fantasque à la Gide, prête à sourire, légèreté pulsée d'un petit restant de stress.
    Il semblerait même que les sérieux travaux du logicien Marchaisse sur l'œuvre double de Marcel Proust soient deux fois évoqués (mais j'ai pu en rater), une fois par cette expression : les phases de la consolidation mnésique chez le poussin ; une autre, à l'occasion d'ailleurs d'une erreur dans les principes (ce qui est sans doute plus grave que ça n'en a l'air), par celle-ci : traité sur la protomnèse des poussins. Le poussin vaudrait pour le proustien. Voilà qui semblera peut-être prouster le bouchon un peu trop loin pour les amateurs de sérieux (et qui ne veulent pas savoir (sont-ils bouchés !) de quoi celui-là (le sérieux, pas le bouchon) est fait, en vérité je vous le dis).

    Enfin, comme dit Monsieur Hopop, bernanosant à l'occasion, ce n'est pas toujours évident d'avoir une vie intérieure. Heureusement, après les extraits choisis des carnets dudit Hopop, les « Paraboles en kit » occupant le milieu de l'ouvrage, peuvent aider :
    « Axiome du sujet : Où qu'il aille avec sa tête, son cul suit. » 

    L'ouvrage se clôt sur six fantaisies charmantes, logiques ou grivoises ou parodiant Diderot, dont le magnifique « Koan du petit peintre », qui éclaire tout. Ou pas. Ou presque. Mais qui éclaire. Et qui est clair. Si.

    4 décembre 2024

    Thierry Marchaisse, Monsieur Hopop, éditions Thierry Marchaisse 2024 

  • Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse

    Terre !
    Christophe Colomb

    1 Prédiction

    « … c’est à la cime du particulier qu’éclot le général », écrit Proust à Halévy.
    Je ne connais pas Thierry Marchaisse. Mais il est tranquille, à présent. Il a publié son livre, à ses conditions, dans sa propre maison d’édition. (Qui d’autre l’aurait fait ?) Il sait que c’est un livre important. Sans précédent. Il sait qu’il sera lu. Un jour. Il sait que tout travail universitaire sur Proust verra son livre figurer dans la bibliographie (ce qui n’a aucune espèce d’importance). Il sait que la plupart des gens qui le feront figurer là ne l’auront pas lu, pas vraiment lu, au mieux l’auront survolé (pfiou, la logique). Jusqu’au jour, Dieu sait quand, où quelqu’un le lira. Et mieux encore, s’en servira. Et se plantera (au moins littérairement — je peux expliquer ça, mais je n’ai pas le temps). Il sait que son livre un jour pourra être à l’origine de choses nouvelles et extraordinaires (et de pléthore de pénibles imitations), ce qui en fait au sens propre un livre génial, étant lui aussi tout à fait neuf et extraordinaire.
    Le livre est si dense, excède tant mes capacités, que je suis obligé pour en parler de prendre ce ton par-dessus la jambe, seul susceptible de me mener où je vais.

     

     2 Double vocation

    « Enfin un lecteur qui devine que mon livre est un ouvrage dogmatique et une construction ! » écrit Proust à Rivière en 1914.
    Le théorème de Proust n’est pas un livre, pour une fois, qui a l’air d’avoir été écrit par un descendant de personnages de Proust, en général le sentencieux bâtard d’une Verdurin de compète et d’un Charlus qu’elle aurait un soir d’ivresse un peu forcé. D’ailleurs, à la différence de tant d’autres ouvrages sur La Recherche, auxquels on ne comprend rien si on n’a pas lu Proust, perdu que l’on est dans les entrelacs des relations entre de trop nombreux personnages inconnus, le livre de Marchaisse (synthèse de trente ans de travail et de cinquante ans de lecture de la Recherche), pourrait être tout à fait lisible à qui n’a pas lu de Proust une ligne ; ce qui pourrait même ensuite créer une nouvelle sorte de lecteurs de Proust, qui se croiraient en quelque sorte dispensés de la lecture naïve (comme si cela se pouvait).
    L’auteur tient pour acquis le génie littéraire exceptionnel de Proust et, en quelque sorte, n’y revient pas : son but unique est de montrer, avec les outils de la logique, et eux seuls, que La Recherche est également une démonstration logique cryptée, le mot de démonstration étant de Proust (qui ne s’en explique guère) ; que Proust est en somme deux fois un génie ; d’où le sous-titre de l’ouvrage, à prendre au premier degré et avec le plus grand sérieux : Une cryptanalyse de la Recherche. Par quoi la Recherche n’est pas seulement le livre d’une vocation littéraire, mais d’une vocation double, littéraire et logique.
    Je ne suis pas logicien (ni universitaire ni critique, d’ailleurs) et tiens pour justes tous les raisonnements de l’auteur ; ce qui m’intéresse, ce sont leurs conséquences éventuelles. Je laisse donc tout lecteur intéressé se reporter à ce que Marchaisse établit des idées infiniment fécondes, infiniment puissantes ; et même doublement infinies.

     

    3 Sans entrer dans aucun détail technique

    « […] le décryptage de la démonstration de Proust repose sur l’analyse logique de ses allusions, type de signal complexe qui appartient à la catégorie des « signaux faibles ». » (p. 273)
    « Dès lors, une fois mises de côté toutes les allusions cryptologiques non essentielles de Proust, on s’aperçoit alors qu’il n’en existe en fait que très peu qui soient réellement décisives et, pour ma part, je n’en ai repéré que trois dans toute la Recherche. » (p. 212)
    « Car, en parvenant à être aussi rigoureuse que cryptée, la démonstration proustienne réussit le tour de force de se passer de tout appareil théorique. » (p. 39)
    La clé du Je proustien (des « Je »), décryptée dans son premier chapitre par Marchaisse, lui  est donnée au volume III de la Recherche (Le côté de Guermantes) lorsqu’il est question « de la vocation invisible dont cet ouvrage est l’histoire. » Partant, il s’achemine à prouver que c’est bien le « je » auteur de la Recherche qui dit « je » ici, et non pas son narrateur semi-fictif, qui n’a justement lui encore entrepris aucun ouvrage !

     

    4 Au passage

    « On remarquera que l’on vient de réfuter, au passage, une idée largement reçue, à savoir qu’on ne saurait trouver de véritables démonstrations qu’en mathématiques. Ou tout au plus dans les sciences dites « dures », parce qu’elles sont justement plus ou moins mathématisées. »
    […] « Il en résulte donc bien, plus généralement, que les mathématiques n’ont aucun monopole en matière de démonstration ou de théorème. Car, d’un point de vue logique, l’ensemble des démonstrations mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des démonstrations possibles. Comme l’ensemble des théorèmes mathématiques ne saurait être qu’une partie de l’ensemble des théorèmes possibles. »
    Au passage, dit Marchaisse. Ben voyons.

     

    5 Théorèmes de Marchaisse

    Les lemmes, axiomes et théorèmes que Marchaisse décrypte de la Recherche n’ont jamais été écrits par Proust, pour l’excellente raison qu’il les a cachés dans son grand œuvre.
    Les théorèmes de Proust sont les théorèmes de Marchaisse.
    Si ces théorèmes de Marchaisse sont vrais, ils sont vrais pour d’autres œuvres que celles de Proust, qu’elles existent ou non à ce jour.
    Le livre de Marchaisse n’est donc pas seulement un livre tourné vers Proust et sa Recherche, au sens où ce qu’il contient donne accès à des connaissances concernant l’œuvre littéraire singulière de Proust et partant, non-transposables à un autre auteur singulier ; c’est également un livre qui quitte Proust et la Recherche, ayant déduit de cette dernière une série de théorèmes valables universellement pour toute œuvre qui serait donc logico-littéraire.
    (La question du pluriel. Marchaisse décrypte neuf théorèmes et intitule son livre Le Théorème de Proust. Ce ne peut être un hasard.)

     

    6 Möbius toi-même

    Les œuvres de Proust antérieures à la Recherche sont ou littéraires ou théoriques et n’auraient presque aucune importance si elles n’avaient été suivies du grand roman ; seule la Recherche, avec l’invention par Proust de son double sujet (lisez Le théorème de Proust, de Thierry Marchaisse), permettra la coexistence en une seule œuvre de deux œuvres, l’une littéraire et obvie, l’autre logique et cryptée, selon le modèle du ruban de Möbius — à la différence toutefois que l’on n’accède à l’œuvre nécessairement par une seule face du ruban, la littéraire, qui oblige à une lecture naïve, le lecteur croyant que le ruban a une seule face (le livre ne se présentant pas physiquement comme un ruban. Je plaisante.)
    « Il se trouve que le premier livre de Proust fut pendant longtemps son seul et unique livre, si longtemps que cela aurait pu aussi bien être le dernier, malade comme il l’était. Proust est resté, en effet, pendant dix-sept ans, « l’auteur de Les Plaisirs et les Jours », puisqu’il a publié ce premier livre à 25 ans (en 1896) et qu’il n’en a pas publié d’autres avant 1913, c’est-à-dire avant le premier volume de la Recherche. »
    Il en va sans doute de même pour les ouvrages précryptanalytiques de Marchaisse consacrés à Proust (de 1990 à 2020), ce que l’auteur laisse entendre dans son Avant-Propos. Il reste à se demander, du coup (car je suis sous le choc), si le livre de Marchaisse, se présentant lui par la face logique du ruban n’a pas une forte dimension littéraire cachée (cryptée ou non).

     

    7  Colombus Marchaisse

    La phrase de Proust à Halévy donnée en exergue à mon premier point peut certainement être retournée (un ruban, après tout…) et l’on peut alors voir éclore le particulier à la cime du général.
    L’auteur n’est sans doute pas sans y penser, à la fin réelle de sa démonstration (juste avant les Annexes) : « Car il y a au moins un certain type d’esprits que la logique de la Recherche ne peut laisser indifférent, à savoir ceux qui sont tournés, comme son auteur, vers la recherche et la création. »
    Et encore, à la même page : « [ …] tous les vieux apprentis créateurs qui partagent l’idéal transgenre de Proust1, et sont donc suffisamment artistes et théoriciens pour être doublement exigeants avec eux-mêmes. Car un tel idéal voue nécessairement tous ses chevaliers servants à expérimenter eux aussi très longuement la stérilité, le doute et l’échec dans leurs « recherches de l’esprit » pascaliennes. »
    Les neuf théorèmes de Marchaisse, après tout, tiennent sur une demi-page. Mais la démonstration logique de l’auteur (les 290 pages du livre) ne serait-elle pas aussi une création littéraire pure ? (Tiens, les Indes…) A moins qu’il ne soit question bien sûr, « d’une œuvre théorique relative à un domaine nouveau. »
     

    Pascal Adam, 30-31 août 2024

    Thierry Marchaisse, Le théorème de Proust, éditions Thierry Marchaisse, 2022

     

     

  • Vortex 2

    « Je crois que c'est William Burroughs qui dans un texte à propos de Kerouac, établit ainsi la distinction entre l'Auteur et le Narrateur : le Narrateur est l'espion envoyé par l'Auteur dans le monde que celui-ci est en train de créer. Un écrivain n'est jamais . »

    Dantec, Villa Vortex

     

    PS : Proust ne serait peut-être pas d'accord mais il ne dirait pas le contraire pour autant (à suivre, un de ces quatre, avec Thierry Marchaisse).

    8 janvier 2024