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Livre - Page 11

  • Passages du temps

    Au moment où j'ai commencé d'écrire Sous les ciels de synthèse, je lisais Proust ; je venais de commencer La Recherche. Je lisais une demi-heure le matin ; plus tard dans la journée j'écrivais. 

    C'est à Chateaubriand d'abord que je pense, à la politique, qui est l'histoire, toujours en filigrane ; au palimpseste inhérent aux longs mémoires, palimpseste affiché (l'époque racontée, la date d'écriture, la date de révision ; exemple : 1789 - 1821 - 1846).

    Pourtant, c'est dans La Recherche qu'il n'y a pas de dates, ou presque, tandis que l'Outre-tombe en regorge, et cela, cette façon de se souvenir, et d'oublier, a été déterminante : on a glissé, déjà, d'un temps dans un autre, en avant, en arrière, selon tel mot qui fait pivot, peu importe, le mouvement commande.

    Les hommes dans mon roman ont été petit à petit privés de l'accès à la computation du temps.

    9 septembre 2023

  • Petites apocalypses en cours

    C'est non pas un monde futur apocalyptique mais notre monde, construit autour des conversations avec son fils, que raconte McCarthy dans La Route. Si nous ne le reconnaissons pas, c'est que nous ne le voulons pas.

    La Ville-Haute de Sous les ciels de synthèse, de plus en plus déshumanisée, parallèle à l'En-Bas des barbares Nadeuques, n'est-ce pas cet enfer doré déjà autour de nous ? On ne peut pas raconter autre chose que ce monde, mais il est possible de découvrir, en écrivant, quelle perception réelle (incomplète, donc) on en a.

    Le roman de ce qu'on a sous les yeux très souvent est aveugle et ne trouve pas sa langue.

    15 septembre 2023

     

    La Route, Cormac MacCarthy, L'Olivier

     

     

  • 1948

    En 1948, George Orwell écrit 1984, qui sera publié en 1949 ; en 1948 toujours, son ancien professeur de français, Aldous Huxley publie Ape and essence, bientôt traduit par Jules Castier sous le titre, emprunté à Victor Hugo comme celui de l'auteur l'est à Shakespeare, Temps futurs. Une des originalités notoires de ce dernier livre est qu'il se présente, après un bref chapitre relevant du roman, comme un scénario de cinéma. L'extrait qui suit, passage intégral de la voix off, est un merveilleux apologue prophétique :

    "LE RECITANT
    La Morve, mes amis, la Morve - maladie peu commune chez les humains. Mais, n'ayez crainte, la Science peut aisément la rendre universelle. Et en voici les symptômes. Des douleurs violentes dans toutes les articulations. Des pustules sur tout le corps. Sous la peau, des tumeurs dures, qui finissent par se changer en ulcères squameux. Cependant, la muqueuse nasale s'enflamme et dégage une décharge abondante de pus nauséabond. Il se forme rapidement des ulcères à l'intérieur des narines, lesquels rongent l'os et le cartilage environnant. L'infection passe du nez dans les yeux, la bouche, la gorge et les ouvertures bronchiales. Au bout de trois semaines, la plupart des malades sont morts. S'assurer que tous mourront, telle a été la tâche de quelques-uns de ces brillants docteurs ès sciences actuellement au service de votre gouvernement. Et non pas de votre gouvernement seul ; de tous les autres organisateurs, élus ou désignés par eux-mêmes de la schizophrénie collective du monde. Les biologistes, les pathologistes, les physiologistes - les voici, après une journée ardue passée au laboratoire, qui rentrent dans leur famille. Une étreinte de la gentille petite femme. Des ébats avec les enfants. Un dîner tranquille avec des amis, suivi d'un concert de musique de chambre ou d'une conversation intelligente sur la politique et la philosophie. Puis le lit, à onze heures, et les extases familières de l'amour conjugal. Et le lendemain matin, après un jus d'orange et des grapenuts, les voilà qui repartent à leur travail, qui est de découvrir comment un nombre encore plus grand de familles exactement pareilles à la leur pourra être infecté par une souche encore plus mortelle de bacillus mallei."

  • Antipodes du bref

    Le conseil de l'éditeur et écrivain Jean-Pierre Montal, trouvé sur un réseau social, m'a fait lire Le chef de gare Fallmerayer de Joseph Roth, qui est vraiment une nouvelle parfaite, tendue vers sa fin, écartant tout sur son passage, la première guerre mondiale, la révolution russe. Entre ce petit livre-ci et le dernier texte écrit par le même Joseph Roth, La légende du saint buveur, j'ai lu A Paris, de Georges de La Fuly. C'est tout l'inverse ici, on ne sait jamais d'où l'auteur part ni où il va, le souvenir gouverne, avec heurts, retours, motifs, digressions, entrelacs. Des mots enfin sont mis sur quelques sensations chez moi présentes et qui n'accédaient pas au langage. Il y a des pages à pleurer. La Fuly, monstre de sensibilité, génie de la notation. A l'inverse de nouveau, La légende du saint buveur est une parabole merveilleuse, droite et limpide et dont la conclusion logique ne lève pas le mystère.

    9 septembre 2023

     

    Le chef de gare Fallmerayer, Joseph Roth, traduction de Suzanne Alexandre, éditions Sillage, 2023

    A Paris, Georges de La Fuly, éditions de La Fuly, 2022

    La légende du saint buveur, Joseph Roth, traduction de Maël Renouard, éditions Sillage, 2016

  • Territoires perdus

    Peu de personnages sont aussi peu probables que Charles de Gaulle et il suffit d'avoir l'idée de transposer son caractère et ses actions dans une fiction qui ne soit pas à clé, un monde à proprement parler imaginaire, pour comprendre que De Gaulle n'est pas du tout un personnage réaliste ("Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable", notait déjà Boileau) ; si peu probables soient ses façons franches et brutales de s'opposer et ce génie de comprendre que n'ayant rien à perdre il doit absolument ne surtout rien céder, elles le sont finalement bien davantage que ses réussites sur presque tous les fronts où il aura engagé le combat. C'est ce que je me suis dit après avoir lu à grande vitesse L'ami américain d'Eric Branca, roboratif ouvrage racontant "la guerre de trente ans" contre l'Amérique, contre l'invasion américaine, militaire, économique, monétaire et culturelle, qu'aura livrée De Gaulle, parallèlement d'abord à celle contre l'Allemagne, entre 1940 et 1969. Il semble bien, depuis, que des gouvernants de rencontre aient donné, plus encore que vendu, notre pays et que la combinaison OTAN-UE ait enfin réussi où l'AMGOT des Roosevelt et Truman avait échoué. Cette permanente infestation de traîtres à tous les étages de la politique, de l'économie et du journalisme ; l'accoutumance que nous en avons prise ; non moins que l'abrutissement culturel programmé et la tiers-mondisation islamique accélérée, devraient évidemment nous désespérer tout à fait si l'exemple tout à coup ne nous éclairait de cet homme parti seul continuer une guerre perdue sans rien céder pourtant à ses rivaux d'alliés. La situation ne saurait être si horrible que le désespoir en serait justifié. Et moi, qui, enfant, avais été si sensible aux cartes de France, et si troublé de celles où le royaume était portion congrue, au commencement du règne de Philippe-Auguste par exemple, comment n'aurais-je pas été ému par la phrase de Malraux sur l'homme de juin 1940 : "La France, c'était, devant lui, deux tables en bois blanc." On ne l'eût pas vue sur une carte.

    1er septembre 2023

     

    L'ami américain, Eric Branca, Tempus-Perrin