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bernanos

  • Echec et mat au paradis, de Sébastien Lapaque

    Je n'achète presque plus de livres neufs d'auteurs contemporains, lassé de mettre vingt ou vingt-cinq euros pour abandonner à la page 30, lassé, ou dans le meilleur des cas, trouver ça pas trop mal mais tout à fait dispensable. J'avoue cependant que l'essai de Lapaque (un contemporain que je n'ai jamais lu) m'avait fait de l'œil l'an passé, le temps du moins qu'il avait traîné aux étals des libraires. Pensez donc un « récit », comme dit l'auteur, ou un essai, pour aller vite, (aucun de deux mots ne me convainc), sur Stefan Zweig et Georges Bernanos au Brésil.
    Je ne sais plus quel prix littéraire était d'ailleurs venu couillonner le livre, ce qui avait achevé de me dispenser de l'achat.
    Et puis il y a deux semaines, dans une friperie ardennaise, je l'ai acheté d'occasion pour la modique somme d'1 euro. 

    Tout le récit de Lapaque, en somme écrit sur presque vingt-cinq ans, ce qui témoigne d'une admirable constance, tourne autour de la rencontre, dont le contenu réel nous demeure inconnu, au Brésil en 1942 entre Stefan Zweig, l'écrivain alors le plus lu dans le monde (que l'isolement progressif, comme par une lente et inexorable constriction, mènera au suicide, accompagné de son épouse Lotte) et Georges Bernanos, le patriarche aux deux béquilles, le lion rugissant, bouffé d'angoisse. 
    Mais je pourrais dire mieux : la partie essayistique aussi intéressante soit-elle, pourrait presque être comprise comme le prétexte à la publication d'une pièce de théâtre découpée en sept parties disséminées dans le livre: cette pièce est justement la rencontre, imaginée par l'auteur (« J'ai donc tout inventé » déclara-t-il en préambule), entre ces deux écrivains très dissemblables : elle est fort logiquement centrée sur ce qu'ils se disent, qui est ce qu'ils auraient pu se dire et ne se sont sans doute pas dit. Il est très rare, je crois, qu'un essai (cherchant à établir des faits) abrite en son sein une œuvre d'imagination ; et peut-être soit le pré-texte (au sens propre) à celle-ci.
    Si Lapaque avait eu l'idée (peut-être l'a-t-il eue, d'ailleurs, je n'en sais rien) de publier sa pièce de théâtre seule, séparée de l'essai, elle eût certainement trouvé moins de lecteurs ; et aucun prix significatif ne l'aurait alors couillonnée.

    Je ne vais pas tenter de résumer ici l'essai de Lapaque, à la fois enquête et récit de l'enquête, ce qui donne à l'ensemble une manière de facture romanesque, le va-et-vient entre le Brésil des années quarante et celui du premier quart du XXIe siècle. Tobias Cepelowicz, enfant en 1940, et qui se souvient de Zweig, dit à Lapaque : « Dans le Brésil qu'a connu Stefan Zweig, la grande majorité des intellectuels, ou bien étaient antisémites, ou bien n'étaient pas intéressés par le sort des Juifs, ni par leur défense. » 
    Je suis un lecteur qui ne sait rien du Brésil et bien peu de choses sur Zweig (je crois bien n'avoir lu que son Joueur d'échecs, dans une traduction très récente d'ailleurs) mais je demeure surpris du haut degré de naïveté politique que je lui découvre (même si, en un certain sens, c'est tout à son honneur) et qui va l'étouffer ; j'ai davantage lu Bernanos, romans et essais (mais ni tous les romans ni tous les essais), un écrivain que j'admire et que je crains (cela devrait-il sembler étrange), parce qu'il à ce don, si le mot convient, de me placer toujours face à mon manque de courage, toujours plus grand que je ne voulais rêver. 

    Je dirais, en grossissant sans doute le trait, que le regard que pose Lapaque sur ses auteurs, pour ne pas trop pencher en faveur de l'un, est en quelque sorte malrucien (mais du dernier Malraux, celui qui est gaulliste). Au point même que son Bernanos (je veux dire, celui qu'il fait parler dans la pièce) par endroits en arrive à s'exprimer en termes faisant écho à quelques passages célèbres de Malraux – quand Bernanos dit, à propos de la France : « Ne vous en faites pas pour elle. Elle inventé Jeanne d'Arc, elle a inventé les soldats de l'an II et l'armée du Rhin, elle a inventé le général de Gaulle... » 
    Même la didascalie (et elles sont rares) qui traverse la scène dans la dernière partie de la pièce : « Dehors, la nuit tombe. » m'a semblé faire écho (symétriquement si j'ose dire) à la dernière phrase des Chênes qu'on abat : « La nuit tombe – la nuit qui ne connaît pas l'Histoire. »
    Lapaque en Berbanos s'arrange encore pour moquer gentiment Paul Valéry et Pierre Benoît et même, jouant avec l'anachronisme, Paul Claudel...

    Autant l'essai de Lapaque est historiquement fondé, autant on peut lire la pièce comme parlant également d'aujourd'hui ; impossible en tout cas pour moi de ne pas y penser quand l'auteur imagine Zweig disant : « Le métier d'écrivain est devenu un métier clandestin. Certains auront peut-être la force de l'accepter. »

    5 décembre 2025

    Echec et mat au paradis, Sébastien Lapaque, Actes Sud, 2024

  • Le repos du logicien

    Comme bien d'autres avant lui, il végéta longtemps dans quelque manuscrit, avant de finir inédit, grignoté par des rats de bibliothèque. « Tombeau d'un Je », Monsieur Hopop


    J'ai parlé ici-même il n'y a pas longtemps du formidable Théorème de Proust, de Thierry Marchaisse, grenade cryptologique jetée dans le champ de la critique proustienne (je tiens l'expression de l'auteur).
    Voici à présent, du même (si ce mot a un sens), 
    Monsieur Hopop. 

    Hopop, donc, c'est en quelque sorte le logicien au repos, amusé de lui-même et de l'absurdité de tout. Il a la légèreté profonde ; la mort fait mine de passer en souriant, et l'amour même a la douleur amortie.
    Il faut dire que ce Hopop est souventefois flanqué d'une Ziche plus ou moins sienne, qui vaut le détour et ne cède en rien au logicien, planquant ses espagnoles sous le joug des terroristes, code dont le pauvre Hopop n'a précisément pas la clé.

    Le nom du cher Hopop, houblonné malgré lui et fantasque à la Gide, prête à sourire, légèreté pulsée d'un petit restant de stress.
    Il semblerait même que les sérieux travaux du logicien Marchaisse sur l'œuvre double de Marcel Proust soient deux fois évoqués (mais j'ai pu en rater), une fois par cette expression : les phases de la consolidation mnésique chez le poussin ; une autre, à l'occasion d'ailleurs d'une erreur dans les principes (ce qui est sans doute plus grave que ça n'en a l'air), par celle-ci : traité sur la protomnèse des poussins. Le poussin vaudrait pour le proustien. Voilà qui semblera peut-être prouster le bouchon un peu trop loin pour les amateurs de sérieux (et qui ne veulent pas savoir (sont-ils bouchés !) de quoi celui-là (le sérieux, pas le bouchon) est fait, en vérité je vous le dis).

    Enfin, comme dit Monsieur Hopop, bernanosant à l'occasion, ce n'est pas toujours évident d'avoir une vie intérieure. Heureusement, après les extraits choisis des carnets dudit Hopop, les « Paraboles en kit » occupant le milieu de l'ouvrage, peuvent aider :
    « Axiome du sujet : Où qu'il aille avec sa tête, son cul suit. » 

    L'ouvrage se clôt sur six fantaisies charmantes, logiques ou grivoises ou parodiant Diderot, dont le magnifique « Koan du petit peintre », qui éclaire tout. Ou pas. Ou presque. Mais qui éclaire. Et qui est clair. Si.

    4 décembre 2024

    Thierry Marchaisse, Monsieur Hopop, éditions Thierry Marchaisse 2024 

  • ...le roman pour quoi faire ?

    Parfois le bras me tombe et je songe à quitter ce roman impossible et à plutôt écrire directement à mes enfants, mais je ne suis pas doué pour la parole directe, je n'ai rien à dire qui soit certain, il me faut la fiction et sa possible explosion cognitive et je finis par vite remettre l'ouvrage sur le métier.

    8 novembre 2023