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Livre - Page 9

  • Vortex 2

    « Je crois que c'est William Burroughs qui dans un texte à propos de Kerouac, établit ainsi la distinction entre l'Auteur et le Narrateur : le Narrateur est l'espion envoyé par l'Auteur dans le monde que celui-ci est en train de créer. Un écrivain n'est jamais . »

    Dantec, Villa Vortex

     

    PS : Proust ne serait peut-être pas d'accord mais il ne dirait pas le contraire pour autant (à suivre, un de ces quatre, avec Thierry Marchaisse).

    8 janvier 2024

  • Vortex

    Vingt ans après sa sortie, je relis Villa Vortex. Je n'ai pas fait exprès, je voulais seulement le feuilleter. Et j'ai été happé. Par le vortex, donc. Deux cents pages le premier jour... Et pourtant, il y en a tout de même quelques-unes, des tournures à la one again (on était un peu après la fin de la fin, chez Gallimard). Mais l'énergie emporte tout (même les répétitions à toute heure de syncrétisme métaphysique), et la vision. La noirceur de Dantec paradoxalement galvanise. L'espérance, après tout, consiste à se battre, se battre et encore se battre. Et tout le restant est bon pour les chiottes et les maisons d'édition.

    « Nous avions cru que les machines étaient des prothèses artificielles dont l'homme s'était doté pour dompter la nature. C'était peut-être vrai. Cela n'empêchait nullement le fait que selon toute probabilité l'homme lui-même était une prothèse artificielle dont la nature s'était dotée, pour des raisons inexplicables encore. En d'autres termes, ce monde étonnamment vieux venait vraiment de commencer, tout autant qu'il entrevoyait là sa fin : toutes les créatures ne supplantaient pas leur créateur par une sorte d'effet automatique dont on ne trouve nulle trace dans l'univers, pour que cela advienne il fallait qu'au préalable le créateur ait commis l'erreur de doter sa créature des mêmes pouvoirs de création que lui. » (P. 28)

    « Lors de ma vie innocente et stupide, j'avais eu l'occasion par maintes fois de me rendre compte combien rien ne pesait vraiment face à la forme suprême de volonté qu'avait atteint l'homme moderne, l'homme de ma génération : la volonté de ne plus rien vouloir du tout, tout en désirant tout. Il lui fallait non seulement le confort, pour lequel des générations entières s'étaient usées contre la diabolique dureté du monde de la Matière, mais, s'il vous plaît, le confort doublé du spectacle du risque et de sa propre contestation, c'est-à-dire l'impossibilité pathogène, et pitoyable, de trouver un quelconque espace où sa propre figure ne lui soit pas constamment renvoyée, telle une ombre sans cesse jetée au-devant de lui, et qui grimacerait son horrible sourire de touriste médusé, ou de médecin humanitaire. » (P. 42)

    2 janvier 2024

    Maurice G. Dantec, Villa Vortex, Gallimard (la noire), 2003

  • R.U.R. (Rossum's Universal Robots) de Karel Capek

    « ALQUIST — J'ai raison ! Le monde est devenu fou ! Vous pouvez regarder où vous voulez, sur tous les continents, on croirait assister à une orgie ! Pas besoin de faire le moindre geste pour manger, on vous le met directement dans la bouche ; pas besoin de faire le moindre mouvement, les robots d'Harry Domin arrangent tout. Nous, l'humanité, le sommet de la vie, rien ne nous intéresse plus — ni les enfants, ni le travail, ni la misère ! Sauf une chose bien sûr — les plaisirs, les jouissances, il en faut le plus possible et le plus vite possible ! Et vous voudriez des enfants ? Hélène, à quoi bon des enfants pour des hommes qui ne servent à rien ? 

    HÉLÈNE — Alors c'est la fin de l'humanité? »

    À l'origine du mot robot, la pièce de Capek en quatre parties (un prologue et trois actes) date de 1920 ; et seuls ont finalement vieilli (pour l'instant, serais-je tenté de dire) ses robots de chair et d'os, mais pas une des questions qu'elle soulève, et même indépendamment des opinions de son auteur, qu'il n'impose aucunement. La démocratisation de robots fabriqués à des millions d'exemplaires, par le bien-nommé Harry Domin et son équipe, est ainsi corrélée à l'effondrement démographique. Une amélioration des machines les rend bientôt plus humaines encore, c'est-à-dire plus désireuses du pouvoir et de meurtre de masse ; voici que les machines se révoltent contre les hommes et les exterminent. Mais elles ont oublié, dans leur trop humaine précipitation, de se soucier de leur reproduction. L'architecte Alquist, qui est peut-être le dernier humain à présent, en qui les robots ont en désespoir de cause placé leur espoir, leur fait chercher d'autres hommes survivants ; en vain. Les robots après les hommes vont donc s'éteindre... sauf que la vie en eux finit par l'emporter. Les machines survivront.

    27 décembre 2023

    Karel Capek, R.U.R., La différence, traduction de Jan Rubes

     

  • Le train d'Erlingen, de Boualem Sansal

    « Ah bravo, l'envahisseur a réussi ce que nul conquérant avant lui n'avait accompli, il a soumis la planète sans armes ni bagages, avec rien, des gens approximatifs, des méthodes archaïques, des moyens ramassés en chemin, des bouts de ficelle, en se contentant d'être lui-même, allant sa route comme bon lui semble. Dans cette configuration crypto-invasive, l'absence de violence visible devient la plus horrible des violences. Nous souffrons de cela, de cette absence de guerre frontale et destructrice qui nous aurait galvanisés et libérés de nos atermoiements. »

    Comme nombre de romans de Sansal, Le train d'Erlingen est aussi une mise en garde contre la soumission de l'Europe, en premier chef de la France, aux conquérants islamistes. Il se veut en creux un manuel de résistance et offre une bibliothèque portative de combat relativement originale : le Walden  de Thoreau, Les aveugles de Baudelaire, La métamorphose de Kafka, Le désert des Tarrtares de Buzatti et, moins attendu encore, Les Immortels d'Agapia de Constantin Virgil Gheorghiu.

    Les deux personnages principaux du roman sont féminins et courageux, et il ne semble pas du tout anodin qu'il ne reste, hormis les auteurs susmentionnés, pas un homme. La composition est très originale et intégralement épistolaire et manuscrite (à l'âge des courriels) : Une mère, Ute von Ebert, à Erlingen en Allemagne, écrit à sa fille Hannah des lettres qu'elle ne peut lui poster : les envahisseurs (qui demeureront aussi mystérieux que transparents) sont là et aucun train ne vient qui évacuerait les habitants ; les édiles sont lâches et corrompus et personne ne songe même à se battre. Dans la seconde partie du roman, en France, la fille, Léa, répond à sa mère à présent morte et qui n'a jamais été cette Ute von Ebert, mais Élisabeth Potier, un professeur d'histoire-géographie violemment agressé à Paris en novembre 2015 par des islamistes, et qui est revenu de son coma avec une seconde personnalité. Le train d'Erlingen est le roman d'un homme libre, qui a vu tomber son pays, l'Algérie, et qui avertit en vain des Européens qui préfèrent ne pas voir, et sont déjà rendus.  

    « S'il y a une épidémie dans ce monde, c'est bien l'épidémie de veulerie. »

    27 décembre 2023

    Boualem Sansal, Le train d'Erlingen (ou la métamorphose de Dieu), Gallimard, 2018

  • Jeu des jeux

    « Tous autres jeux sont par comparaison stupides. Notre joueur — je dirai qui à la fin de la phrase — est celui qui traverse les époques et les lieux dans les temps et les situations qu'ils tissent et leurs déprédations immenses  ; il sait comment se battre et quand ne pas engager le combat ; il sait les hommes et leur douceur et leurs massacrements et leur amour parfois jusqu'au bois de la croix ; il sait que tout sera perdu et ne désespère pas : il est ce lecteur de toujours que nous espérons nôtre. Il est, très évangéliquement, le dernier et le premier cosmonaute, le seul cosmogonaute. »

    27 décembre 2023