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Ciels de synthèse - Page 11

  • 16 octobre

    Le roman était fini, donc. Le 16 octobre, je l'ai pourtant repris. Une dernière fois. Je reprends tout, je double tout. J'avance lentement. Je tente de créer un peu d'empathie pour le monstre froid, se vidant à mesure jusqu'à devenir un de ces hommes creux dont a parlé T.S. Eliot. Je ne sais pas où je vais. Il aurait mieux valu ne pas écrire. Il va falloir descendre. Je m'en serais foutrement bien passé.

    L'idée de reprendre m'était déjà venue en avril, en découvrant Le secret de René Dorlinde de Pierre Boutang. Mon roman, si différent soit-il, partage avec celui de Boutang une grande diffraction, jusques à la disparition, de la structure narrative (quoi que cela veuille dire). Puis mai, juin, juillet, août étaient passés sans que je n'entreprisse rien, ou quelques dézingages de menues coquilles.

    Je l'ai repris le 16 octobre pour deux raisons qui me sont apparues en même temps : 1. Trois lecteurs très différents avaient récemment tenté de lire le manuscrit et aucun, je crois, n'était allé au bout des 180 pages, rien au fond ne les liant réellement au narrateur. (Et c'est une riche conversation avec mon ami Radu Stoenescu qui m'a fait effectivement commencer cette reprise.) 2. J'ai lu (dans cet ordre, qui est celui de la publication) Le Passager  et Stella Maris, les ultimes romans frères de C. McCarthy en une semaine et j'ai su très vite que j'allais devoir tout reprendre. Le nombre des dimensions que déploient les romans, à moins que ce ne soit la manière de circuler entre elles, dépasse tout ce que je connais, est mieux fluide (oui, mieux fluide) et moins seulement linéaire, le temps y existe d'une façon inconnue jusque là, et seul peut-être Finnegans Wake leur serait lointainement comparable, à ceci près, colossalement, que les deux romans de McCarthy sont intégralement lisibles. (Un homme de presque quatre-vingt dix ans, avec deux romans atomiques situés respectivement autour des années 1980 et en 1972 vient d'un coup d'ouvrir le XXIème siècle et il serait petit, ridicule, malhonnête et stupide de faire comme si cet évènement n'avait pas eu lieu.)

    J'ai dit que je doublais mon roman initial : j'ai donc commencé en octobre d'ajouter aux trois mémoires successifs de mon narrateur, des conversations enregistrées "objectives" qui ne vont pas nécessairement dans le même sens que lui ; et l'éclairent d'un jour violent. Mais, depuis novembre, je double encore ce doublement en commençant un roman parallèle (tenu par une narratrice absolument nouvelle, que je découvre à mesure, puisqu'elle n'est liée à aucun personnage précédemment existant), avec lequel le premier roman alternera, chapitre après chapitre. Le point de savoir si ce nouveau roman deux fois doublé absorbera d'une façon ou d'une autre ce que j'imaginais être sa suite (sous le titre GGS) n'est pas tranché encore.

    8 novembre 2023

     

     

     

     

     

  • ...le roman pour quoi faire ?

    Parfois le bras me tombe et je songe à quitter ce roman impossible et à plutôt écrire directement à mes enfants, mais je ne suis pas doué pour la parole directe, je n'ai rien à dire qui soit certain, il me faut la fiction et sa possible explosion cognitive et je finis par vite remettre l'ouvrage sur le métier.

    8 novembre 2023

  • Le principe de cruauté, de Clément Rosset

    Premier livre (et dernier, peut-être) de Clément Rosset que je lis. Très clair, pas dénué d'humour. Pas si manifestement schopenhauerisé que je ne le craignais. Très intelligent, intelligible et concis. 50 pages. Suivies de trois Appendices intéressants.

    Les deux principes (réalité suffisante, incertitude) sont très justes et très bien expliqués et devraient constituer un minimum pour tout écrivain.

    C'est dans le Post-Scriptum à son essai (avant donc les trois Appendices) que Rosset manque quelque chose, et c'est évidemment, comme pour tout philosophe, à propos de l'amour "dans son sens le plus étendu" (même s'il est drôle lorsqu'il qualifie d'irréel l'amour du prochain) : "Car il entre dans l'essence de l'amour de prétendre aimer toujours, mais dans son fait de n'aimer qu'un temps. En sorte que la vérité de l'amour ne s'accorde pas avec l'expérience de l'amour."

    Il me semble que l'amour entre enfants et parents (dans un sens et dans l'autre) peut ne pas finir, et je tiens même que la mort peut ne pas le clore***. Il n'est pas anecdotique sans doute que ce soit cet amour sur lequel principalement s'est bâti l'édifice chrétien ; et que cet amour-là aussi soit au point de crever.

    6 novembre 2023

    ***Post-scriptum (c'est mon tour) : Je viens de lire sur son blog un beau texte de Georges de La Fuly, Altération (le rêve et les adieux), où l'auteur parle, à propos de sa défunte mère, de "cet amour inconditionnel pour celle qui m'a aimé durant quarante-sept ans". (6 novembre 2023)

     

  • Tout seul dans son coin

    "En attendant, le totalitarisme n'a pas encore totalement triomphé partout. Notre propre société est toujours, au sens large du terme, libérale. Pour exercer son droit à la liberté d'expression, il faut se battre contre des pressions économiques et une grande part de l'opinion publique, mais pas encore contre une police secrète. On peut dire ou imprimer presque tout ce qu'on veut tant que l'on est prêt à le faire tout seul dans son coin."

    Lu ce petit texte de  George Orwell de 1946, traduit par Thomas Bourdier (qui n'a pas peur du verbe impacter, qui manquait à notre langue) et publié aux excellentes éditions R&N (une maison qui écrit en toutes lettres sur son site Veuillez noter que nous ne lisons pas les manuscrits ne peut qu'être excellente.)

    "Il ne sera probablement pas au-delà de l'ingéniosité humaine de faire écrire des livres par des machines. On peut déjà voir un tel processus mécanique à l'œuvre dans les films et à la radio, dans la publicité et la propagande, et dans les franges les plus basses du journalisme. Les films Disney, par exemple, sont produits à l'aide de procédés essentiellement industriels, le travail étant effectué en partie mécaniquement, en partie par des équipes artistiques qui doivent taire leur style personnel pour le mettre au service du film."

    Le préfacier Kévin Victoire cite le texte Pourquoi j'écris où Orwell identifie quatre raisons d'écrire qui existent chez tous les écrivains et dont les proportions varient : 1. le pur égoïsme ; 2. l'enthousiasme esthétique ; 3. l'inspiration historienne ; 4. la visée politique. Raisons à mettre en perspective avec Ezra Pound citant dans son ABC de la lecture l'humaniste du XVIème siècle Rodolfo Agricola, pour lequel "on écrit toujours ut doceat, ut moveat, aut delectet, pour instruire, pour émouvoir ou pour charmer".

    5 novembre 2023

    L'empêchement de la littérature, George Orwell, traduit par Thomas Bourdier, R&N