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Ciels de synthèse - Page 15

  • Improvisation

    C'est une improvisation très simple. Vous allez traverser le plateau en marchant. Tout le monde peut faire cela. Donc vous traverser le plateau en marchant de la façon qui vous sied, en jouant quelque chose ou en croyant ne rien jouer, et au moment exact où je taperai dans mes mains, vous sauterez sur une mine antipersonnel. Cette mine vous arrachera complètement la jambe de votre choix ainsi qu'une part non négligeable de vos organes génitaux. Après quoi il vous restera une minute pour crever sur le plateau en disant et c'est impératif entre deux et quatre vers de Rimbaud.
    Vous ne savez pas de vers de Rimbaud ?
    Même pas deux ?
    Vous n'êtes pas français ?
    Vous ne savez pas de vers de Rimbaud ?
    Mais comment êtes-vous arrivé ici ?
    Vous vous croyez à l'école publique ?
    Vous êtes français et vous ne savez pas de vers de Rimbaud, donc en réalité vous n'êtes pas français.
    Si vous ne savez pas de vers de Rimbaud il vous reste à jouer que vous êtes Rimbaud et que vous crevez en disant ce qui pourrait donc être, hachés par la douleur extrême, des vers de Rimbaud.
    Je dis Rimbaud mais je pourrais dire n'importe quel poète.
    Je ne sais pas, moi, si vous connaissez des vers de Rilke, vous pouvez les dire, mais en allemand. Les traductions, je n'en veux pas.
    Ce qui devrait vous sembler insurmontable, ce n'est pas de trouver deux vers à dire, mais de jouer que votre jambe et votre appareil génital ont été dispersés dans l'espace, littéralement soufflés dans la face du public.
    Mais non, votre problème, c'est de savoir quoi dire alors qu'il n'y a qu'à dire deux pauvres vers de ce pauvre Rimbaud. Cela prouve que même inculte vous restez français malgré tout. Mais que c'est triste quand même, mon Dieu, un français qui ne sait pas sa langue. Vous méritez bien de sauter sur une mine antipersonnel. Allez, c'est parti.

    (Brouillon)

    21 octobre 2024 

  • Le sonnet du prince

    Le poème trahit ; et dit la vérité.

    Giuseppe Tomasi di Lampedusa est mort en 1957, un an avant que Le Guépard, son unique roman, ne soit publié. Le célèbre film de Luchino Visconti sort en 1963.

    En 1998, on retrouve un fragment dont on ne sait où l'auteur l'aurait pu vouloir intercaler. Ce fragment a pour titre Le « Canzoniere » de la maison Salina. Ce fragment explique en somme que le prince Salina s'était laissé aller à écrire des sonnets (vingt-sept), qui permettent de comprendre qu'il était amoureux d'Angelica (la femme de son neveu Tancredi, qu'il considère comme son fils).

    Un seul sonnet, ajouté au roman, change complètement sa signification d'ensemble.

    Notons que l'auteur de l'édition, Giocchino Lanza Tomasi, est le fils adoptif de l'auteur, et qu'il a le tact (lui) de ne pas faire remarquer l'identité de situation du prince Salina et de son père, l'auteur du livre (probablement amoureux de la femme... de son fils adoptif). 

    Des vingt-sept sonnets du prince, le narrateur n'en conserve que deux pour la publication. Tout le fragment, ayant trait à la poésie, mériterait d'être cité ; je ne donne ici que la justification du narrateur, au-delà de l'éloge :

    « Puisque nous estimerions irrévérencieux d'exposer une figure respectable à tant de titres aux moqueries d'un public qui préfère l'obscurité dans la poésie seulement quand elle est préméditée et non pas, comme dans ce cas, lorsqu'elle vient d'une pathétique difficulté d'expression, nous avons préféré exercer une sévère censure et présenter seulement les quelques poésies les moins gâtées de tares ; elles révéleront un aspect inattendu de la personnalité de Don Fabrizio, qui, on l'espère, le fera aimer davantage à ceux qui ont pérégriné à travers les landes stériles de ces pages. »

    21 octobre 2024

    Giuseppe Tomas di Lampedusa, Le Guépard, traduction de Jean-Paul Manganaro, Seuil

  • Le repos du logicien

    Comme bien d'autres avant lui, il végéta longtemps dans quelque manuscrit, avant de finir inédit, grignoté par des rats de bibliothèque. « Tombeau d'un Je », Monsieur Hopop


    J'ai parlé ici-même il n'y a pas longtemps du formidable Théorème de Proust, de Thierry Marchaisse, grenade cryptologique jetée dans le champ de la critique proustienne (je tiens l'expression de l'auteur).
    Voici à présent, du même (si ce mot a un sens), 
    Monsieur Hopop. 

    Hopop, donc, c'est en quelque sorte le logicien au repos, amusé de lui-même et de l'absurdité de tout. Il a la légèreté profonde ; la mort fait mine de passer en souriant, et l'amour même a la douleur amortie.
    Il faut dire que ce Hopop est souventefois flanqué d'une Ziche plus ou moins sienne, qui vaut le détour et ne cède en rien au logicien, planquant ses espagnoles sous le joug des terroristes, code dont le pauvre Hopop n'a précisément pas la clé.

    Le nom du cher Hopop, houblonné malgré lui et fantasque à la Gide, prête à sourire, légèreté pulsée d'un petit restant de stress.
    Il semblerait même que les sérieux travaux du logicien Marchaisse sur l'œuvre double de Marcel Proust soient deux fois évoqués (mais j'ai pu en rater), une fois par cette expression : les phases de la consolidation mnésique chez le poussin ; une autre, à l'occasion d'ailleurs d'une erreur dans les principes (ce qui est sans doute plus grave que ça n'en a l'air), par celle-ci : traité sur la protomnèse des poussins. Le poussin vaudrait pour le proustien. Voilà qui semblera peut-être prouster le bouchon un peu trop loin pour les amateurs de sérieux (et qui ne veulent pas savoir (sont-ils bouchés !) de quoi celui-là (le sérieux, pas le bouchon) est fait, en vérité je vous le dis).

    Enfin, comme dit Monsieur Hopop, bernanosant à l'occasion, ce n'est pas toujours évident d'avoir une vie intérieure. Heureusement, après les extraits choisis des carnets dudit Hopop, les « Paraboles en kit » occupant le milieu de l'ouvrage, peuvent aider :
    « Axiome du sujet : Où qu'il aille avec sa tête, son cul suit. » 

    L'ouvrage se clôt sur six fantaisies charmantes, logiques ou grivoises ou parodiant Diderot, dont le magnifique « Koan du petit peintre », qui éclaire tout. Ou pas. Ou presque. Mais qui éclaire. Et qui est clair. Si.

    4 décembre 2024

    Thierry Marchaisse, Monsieur Hopop, éditions Thierry Marchaisse 2024 

  • Chez les morts

    — Il ne peut rien vous arriver ici. Le ridicule n'existe pas. Et pourquoi ne peut-il rien vous arriver ? Parce que vous êtes morts. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de votre chance. Les hommes ont dessiné un rectangle au sol et ils en ont fait une porte qui ouvre dans la mort. C'est une immense liberté, et cette liberté appelle une immense responsabilité.  J'ai vu des assassins ici devenir des agneaux, pour quelques minutes qui ne seront pas comptées dans leur vie. J'ai même vu la peur quitter des lâches.  J'ai vu des gens ordinaires devenir des bêtes, devenir des dieux, et puis s'évanouir. Mais pour l'instant, vous ne savez pas où vous êtes, vous n'êtes nulle part, et vous pensez que je suis fou parce que je vous dis que vous êtes morts. Ici, c'est le mort que vous êtes qui vient mourir. Il y a une transformation qui se produit et la prison à ciel ouvert, vous la quittez.
    Le maître alluma enfin la cigarette extra-longue qu'il tenait entre ses lèvres depuis qu'il avait pris la parole. 

    (Brouillon)


    19 octobre 2024

  • Feindre donc, Descartes

    I could be bounded in a nutshell and count myself a king of infinite space.
    Hamlet, dans Hamlet, de Shakespeare

    Il m'a pris cet été, disons début juillet, de lire Le discours de la méthode. Je pourrais dire relire, mais comme il ne m'en restait rien, hors le célèbre mot, je crois que lire est plus juste. 

    Je me suis aperçu fin août que beaucoup de ce qui y est dit était déjà tombé dans un relatif oubli et qu'il me fallait faire un effort important pour me ressouvenir de certains détails ; ces souvenirs à leur tour me semblent mal formulés, puisqu'ils le sont à ma sauce (et non point dans la langue si belle, à y bien regarder, de Descartes).

    Depuis deux semaines, je promène le livre dans la poche intérieure de ma veste. Je relis souvent les trois ou quatre premières parties. M'a frappé l'autre jour à quel point dans la quatrième partie, celle du fameux cogito en français, qui commence comme commencerait une lettre, le verbe feindre était important.

    Et si je résume d'un arc étrange la chose, c'est à cause que nos sens nous trompent, que Descartes se résout de feindre que toutes choses qui lui étaient jamais entrées dans l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de ses songes. Puis l'auteur entre dans la clairière du premier principe de sa philosophie : Je pense, donc je suis.

    Il faut feindre pour n'être point trompé. (Feindre n'est pas réduire, suspendre, moins encore... l'épochè.) Le bretteur Descartes a-t-il jamais hésité entre feindre et feinter ?

    Il est certes, mais cet être non parfait se sait tel parce que l'idée de perfection, rien ne venant de rien (comme dit aussi le roi Lear), a été mise en lui une nature qui fût véritablement plus parfaite : mesdames et messieurs, sous vos applaudissements : Dieu.

    Amo ergo sum, and in just that proportion. Dit Ezra Pound au Canto LXXX. 

    18 octobre 2024