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Ciels de synthèse - Page 13

  • Fahrenheit 451, de Ray Bradbury

    Au milieu de la nouvelle, le vieux professeur Faber casse en quelque sorte le morceau et dit deux choses : que les pompiers pyromanes de l'Etat (l'expression est à prendre au premier des 451 degrés) sont simplement là pour faire du divertissement, du spectacle (ce que la fin corroborera, avec la mort habilement filmée d'un inconnu que l'on fera passer pour le héros Montag) et que les gens ont de toute façon arrêté de lire d'eux-mêmes. Le livre bascule ici, et l'on comprend pourquoi ces pompiers post-hitlériens qui brûlent des livres ne sont pas son réel sujet. Déjà le capitaine Beatty nous avait paru beaucoup trop cultivé (même si l'on admet que tout pompier a eu un jour la tentation de savoir ce qu'il y avait dans les livres, il en sait vraiment trop) ; c'est lui qui parle ici :

    Les classes sont écourtées, la discipline négligée, la philosophie, l'histoire, les langues abandonnées, l'anglais et sa prononciation peu à peu délaissés, et finalement presque ignorés. On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail, l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit, sinon apprendre à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des boulons ?

    En 1953, sur un spectre de guerre nucléaire qui ne nous a que brièvement quittés, Bradbury comprend que la démocratisation des drogues et technologies diverses (médecines, sports, musiques d'ambiance permanente, travail répétitif, télévision interactive surtout (sorte de sitcom-jeu vidéo et de pré-internet)) doublée de la tyrannie des minorités qui doit aboutir à la non-expression (et mieux, à la non-formulation mentale) de toute opinion travaille à instituer le bonheur obligatoire pour tous. Lequel a pour corollaire l'évacuation simultanée de la reproduction et de la connaissance (puisque le sens de cette dernière résidait en grande partie dans la transmission de son propre contenu). Le suicide (jusqu'ici plus ou moins raté, du fait de l'intervention de Montag) de Mildred ne laisse en elle aucune trace et lui demeure à elle-même inconnu (non moins que sa rencontre dix ans avant avec son mari : il n'y a plus ni ni quand) ; c'est bien là que se tient le stérile Occident de nos années 2020. 

    12 novembre 2023

    Ray Bradbury, Fahrenheit 451, traduction d'Henri Robillot, Denoël, coll. Présence du futur

  • Modèle de composition II - Faulkner

    Si je t'oublie, Jérusalem, de William Faulkner

    (Les palmiers sauvages)

    Le roman (qui a retrouvé aujourd'hui le titre choisi par l'auteur: Si je t'oublie, Jérusalem) alterne deux histoires en dix chapitres (cinq pour chacune, donc), on serait tenté de dire deux nouvelles, qui ne se rencontrent apparemment pas : Les palmiers sauvages  et Le vieux père (ce vieux père étant le Mississipi, old man river).

    "Le vrai domaine de Faulkner est celui des mythes éternels, tout particulièrement ceux que la Bible a popularisés." Maurice Edgar Coindreau

    Le traducteur M.-E. Coindreau dans sa préface, qu'on peut lire seulement dans l'ancienne édition des Palmiers sauvages, établit avec précision, souvent contre la critique américaine,  l'enchevêtrement de thèmes (y compris naturels et bibliques, l'air et l'eau) présents dans les deux histoires, se répondant, et donnant au roman son unité.

    Je dirais que dans la première histoire, un homme qui est presque médecin part vivre avec une femme mariée qu'il finit par tuer en pratiquant sur elle un avortement dans des conditions de fortune ; tandis que dans la seconde, un homme emprisonné qui est presque un criminel mais ne rêve que de rester emprisonné, se trouve, du fait de la grande crue du Mississipi, recueillir et protéger courageusement dans sa barque une femme enceinte qui bientôt donne naissance à un enfant. A la fin de chaque histoire, les deux hommes sont en prison.

    6 décembre 2023

     

  • La leçon de Belloc

    Nous ne posséderons rien, ou pas grand-chose. Il se peut même que le peu que nous possédons fonde encore, et très vite, dans les années qui viennent. L'Etat servile, d'Hilaire Belloc, écrit en 1912, raconte très bien comment, en Angleterre du moins, le Moyen Âge avait petit à petit éliminé le servage au profit d'une société essentiellement constituée de petits propriétaires capables de solidarité. Small is beautiful. Puis comment, avant même la révolution industrielle, les terres des gens avaient été spoliées par une couronne incapable cependant de même les conserver (le roi lui-même devenant une marionnette salariée...) ; échec qui avait permis la naissance d'une oligarchie nouvelle de grands propriétaires terriens et le retour du servage, sous la forme épatante du salariat (ou le salarié contracte librement puisqu'il a en effet le choix entre la misère et la mort) ; et que c'est cette réalité qui avait permis que l'essor industriel soit cette atroce exploitation des prolétaires anglais. 

    Inspiré du Moyen Âge tardif (et catholique) des XIVème et XVème siècles, le distributivisme de Belloc, idéale alternative aux capitalisme et socialisme créant tous deux une catégorie identique de prolétaires disposant d'une force de travail destinée uniquement à servir ceux qui possèdent (que la possession soit publique ou privée), ne redeviendra pas réalité. Il peut cependant devenir pour chacun une source d'inspiration quant à la manière d'orienter sa vie.     

    « L'entrée d'un homme dans une corporation s'accompagnait d'une période d'apprentissage au cours de laquelle il travaillait pour un maître ; mais avec le temps, il devenait maître à son tour. L'existence de telles corporations en tant qu'unités normales de production industrielle, d'effort commercial et de moyen de transport atteste suffisamment ce qu'était l'esprit social qui avait également affranchi le travailleur de la terre. Et tandis que de telles institutions fleurissaient parallèlement aux communautés villageoises qui n'étaient plus serviles, la propriété libre ou absolue du sol, à la différence de la tenure du serf sous l'autorité du seigneur, s'était également développée.

    [...] L'Etat, tel que l'envisageait l'esprit des hommes au terme de ce processus, était un agglomérat de familles plus ou moins riches, mais constituant les propriétaires de moyens de production de loin les plus nombreux. »

    4 décembre 2023

     

    Hilaire Belloc, Vous ne posséderez rien (L'Etat servile), traduction et présentation de Radu Stoenescu, Carmin, 2023

  • 1er décembre (journal)

    J'ai imprimé et relu le nouveau premier chapitre. Problème temporel colossal. Quand on fait un pain de cette taille-là, il faut tout jeter. Ou considérer la monstruosité comme une invention bannissant tout retour à un quelconque réalisme. Je ne change rien pour l'instant ; on verra ce que ça produit dans la suite des temps : effondrement de l'ensemble ou pas.

    4 décembre 2023