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  • Tweet n°1, de Guillaume Basquin

    Tweet n°1 est un livre étrange, non pas en ce qu'il est peu ponctué et programmatiquement composé de dix textes (tweets — gazouillis, en français) de dix pages exactement, mais en ce qu'il se présente presque immédiatement (et auditivement) comme un « copie » des deux Paradis de Philippe Sollers (ma lecture de ces deux Paradis date un peu mais j'en retrouve l'écho immédiat dans le premier des dix gazouillis ; les suivants s'en éloigneront, ou fugueront ailleurs) ; Basquin assume facilement son épigonat (Sollers, Schuhl, Roussel*), avec une telle honnêteté et, dirait-on, avec une telle facilité, qu'on en vient à douter que celui-ci ait quelque importance (et en effet). C'est donc, contre toute attente, une œuvre poétique s'avançant masquée, trempée dans l'acier dans la critique radicale de notre monde filant aux néotyrannies hygiéniques et connectées — auxquelles, pour mon plaisir, l'auteur n'oppose pas une simple et quelque peu idiotique décroissance vendue comme un Eden athée. Le contrôle social à la Chinoise, fusion parfaite du communisme et du capitalisme, est d'évidence devant nous et Basquin sait bien que ce n'est pas son opuscule, hélas, et ses 300 exemplaires, qui nous en pourra préserver (sauf le temps peut-être de cette lecture). Le livre, au final, tient du journal et de l'essai fondu en un seul poème, bien davantage que du roman (à moins que ce dernier mot ne soit plus désormais que ce fourre-tout auquel il tend). Il y a tout de même trop d'anglais dans le livre, soit que l'auteur cite dans le texte d'immenses auteurs (Shakespeare ouvrant le bal), soit qu'il ne veuille pas contaminer notre langue de celle de basse extraction du Quatrième Empire (référence ici étant faite par Basquin à LTI de Klemperer) ; si tout ceci s'entend (ou peut s'entendre) où sont passées les autres grandes langues et pourquoi les grands convoqués, Nietzsche, Freud ou Hegel n'ont-ils pas droit à un fucking mot d'allemand ? 
    Finnegans Wake est encore devant nous, cher Basquin ; comment ne le serait-il pas ? Pourquoi devrait-il y rester ?

    27 juillet 2025

     

     

    * Je n'ai jamais pu lire un livre de Raymond Roussel, j'ai lu Rose poussière et Télex n°1 de Jean-Jacques Schuhl, deux livres dont il ne me reste aucun souvenir, sinon qu'ils n'étaient pas déplaisants ; quant à Sollers, je l'ai beaucoup lu à la fin des années 1990 et au début des années 2000 : j'ai lu les deux Paradis et ils m'ont beaucoup plu (c'est, je crois, ce qu'il a fait vraiment de plus personnel : ils ne sont ni les précipités idéologiques les précédant, ni la prise de notes mise au propre à laquelle la suite l'aura mené), au point que lisant dans les années 2010 peut-être que Sollers avait un gros livre en préparation, je m'étais pris à rêver d'un énorme et terminal Paradis III. Mais non, il a continué de publier de petites et consternantes facilités répétitives.

  • De Marivaux

    Il est presque amusant de constater, après l'avoir tout de même un peu lu, après avoir monté Le Legs (en 1996 tout de même) et joué dans L'Île des esclaves, que je n'aimais guère Marivaux, ou pas vraiment, et qu'il m'a fallu, ce printemps, relire, pour des besoins de travail, La Dispute, pour comprendre vraiment (vraiment ?) quel incomparable génie (logicien mais pas seulement) ; et partant pourquoi il avait fallu qu'à ses grandes précision et rigueur fussent adjoints de son temps les talents et la vitalité des Comédiens Italiens, fils de la Commedia dell'arte. 
    Génie pour génie, Marivaux est quand même beaucoup plus agréable à lire que G.W.F. Hegel, par exemple.

    Cette lecture a eu pour conséquence qu'après deux ans d'interruption, j'ai repris l'écriture de mes pièces hyperbrèves où je les avais laissées, aux environs de la 935ème.

    27 juillet 2025

  • Márai aujourd'hui

    Pourquoi ai-je eu l'impression si nette, en avril, à la lecture du premier tome de son Journal (1943-1948), que ce que Sándor Márai dit de la Hongrie où, en quelque sorte, se fait la « jonction» des forces armées allemandes et soviétiques, me parlait de la France d'aujourd'hui ? Je ne vais pas répondre.

    Est émouvante, du Journal de Márai, cette forte impression qu'il est un homme sensé dans un monde de plus en plus fou.

    Un exemple (et un seul, parmi tant) :

    « Je me demande à quel point Érasme était "lâche". En fin de compte, il n'y aurait rien eu de plus facile pour lui que de se déclarer pour un parti quelconque. On ne lui demandait rien de particulier : le pape et l'empereur lui faisaient miroiter des biens terrestres, une barrette de cardinal, quant à Luther et Ulrich von Hutten, ils faisaient tout pour l'attirer dans leur camp. Chaque parti lui aurait décerné une attestation d'appartenance et on l'aurait mis dans une vitrine. Mais le "lâche" Érasme n'a jamais appartenu à aucun parti, justement parce qu'il était humaniste et qu'il savait qu'un parti, c'est toujours une trahison à l'encontre d'un tout, qu'une faction reste toujours une faction et que cela bafoue la liberté d'esprit. »

    12 juin 2025

     Sándor Márai, Journal (Les années hongroises 1943-1948), Albin Michel, 2019

    Lien permanent Catégories : Livre
  • Mondes parallèles

    Je ne m'étais pas attendu à ce qu'Hofmannsthal vienne prendre place dans ma machine, mais c'est fait. La relecture de La Lettre à Lord Chandos a tout déclenché. 

    Le hasard m'a fait également trouver un livre de Machiavel publié en 1936 aux éditions R. Simon (Paris). La couverture annonce deux titres : l'essai politique qui fit la gloire de son auteur, Le Prince et la pièce de théâtre La Mandragore (puisque l'on sait, ou non, que Machiavel est aussi l'un des fondateurs du théâtre italien. J'avais jadis écrit une critique de cette pièce, qui se trouve avec Clizia, dans ce que La Pléiade appelle des Œuvres Complètes.)
    La bonne surprise veut que l'on trouve dans le volume un troisième texte, la pièce Frère Alberigo (dont l'existence ruine le titre du volume de La Pléiade).

    Ce qui en revanche atteste réellement de la provenance d'un monde parallèle de ce livre, c'est l'ex-libris sur la première page : Jean Lucet / coiffeur. Cet ex-libris a le poids dickien du livre Le poids de la sauterelle dans Le maître du haut-château. Il atteste à lui seul qu'un tel livre ne s'est pas retrouvé par je ne sais quel hasard dans la bibliothèque d'un coiffeur. Il nous dit en creux que les nazis, ou disons : ceux qui veulent faire disparaître les livres, ont gagné la guerre ; et qu'ils gouvernent.

     

    8 mai 2025