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Ciels de synthèse - Page 10

  • Les Cocus du vieil art moderne

    Une citation dans laquelle il n'y aura jamais à changer que le premier mot (puis le verbe afférent), si l'on n'est pas peintre :

    « Peintres, ne craignez pas la perfection. Vous n'y parviendrez jamais ! Si vous êtes médiocres, et que vous fassiez des efforts pour peindre très, très mal, on verra toujours que vous êtes médiocres. »

    Salvador Dali, Les Cocus du vieil art moderne, Grasset 1956

     

    25 novembre 2024

    Lien permanent Catégories : Livre
  • A quoi sert une bibliothèque ?

    Je lis en ligne un article sur Husserl et Gödel par Dagfinn Føllesdal, un philosophe norvégien (né en 1932) dont je n'avais jamais entendu parler.

    Husserl n'a jamais fait référence à Gödel.
    Les travaux publiés de Gödel n'ont jamais fait référence à Husserl.

    Gödel fait mention en 1961 de la phénoménologie dans son Nachlaβ (les papiers donnés à l'Institute for Advanced Study par son épouse peu après sa mort) et Hao Wang confirme que Gödel avait commencé d'étudier Husserl en 1959.
    Gödel était assez critique des Recherches logiques (1900-1901) et sur certaines sections de la Crise des sciences européennes (1936 et ensuite). 

    C'est pour une grande part grâce aux notes prises par Gödel dans les marges des livres de Husserl qu'il possédait que nous pouvons savoir comment il le comprenait, et dit Dagfinn Føllesdal cette compréhension est tout à fait extraordinaire et elle le place parmi les premiers des principaux interprètes du philosophe.

    Les notes prises dans les marges, je vous dis.

    21 novembre 2024

     

  • Machine (3) la place de Paris

    Il m'est nécessaire d'inventer ce que je veux voir exister. Le plus grand écueil est sans doute de vouloir que ce que je fais ressemble à ce qui existe déjà. Le mot roman ne convient pas et celui de machine, qui me vient, ne dit rien à personne. Ce qui est tout de même à se tordre. Souvent je suis perdu, sans plan, puisque cela ne ressemble à rien de connu. Alors je fais taire en moi le critique, esprit du dernier ordre, et continue d'avancer. On verra. Ce sera de toute façon tout à fait impubliable.
    Ce qui est rassurant, quand on voit ce qui est publié en France sous le nom de littérature.
    Côté philosophie par exemple, on ne se donne même plus vraiment la peine de traduire les livres anglais ou américains intéressants ; on sait que les gens que ça intéresse les liront dans le texte. Côté sciences, il y a lurette que les Français écrivent directement en anglais (sans se préoccuper même de fournir une version française à l'Université). La place de Paris is a godforsaken place.

    18 novembre 2024

  • Sherlock Holmes, critique littéraire, esprit du dernier ordre

    Celui que je relis le plus, c'est La Fontaine. Ce mot d'esprits du dernier ordre s'applique à merveille aux critiques littéraires, par exemple.  On le trouve dans Le Serpent et la Lime, livre V, fable 16.

    On conte qu'un Serpent voisin d'un Horloger
    (C'était pour l'Horloger un mauvais voisinage),
    Entra dans sa boutique, et cherchant à manger,
                  N'y rencontra pour tout potage
    Qu'une Lime d'acier qu'il se mit à ronger.
    Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
            Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ?
                  Tu te prends à plus dur que toi.
                  Petit serpent à tête folle,
                  Plutôt que d'emporter de moi
                  Seulement le quart d'une obole, 
                  Tu te romprais toutes les dents :
                  Je ne crains que celles du temps.

    Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
    Qui n'étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.
                Vous vous tourmentez vainement.
    Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
                         Sur tant de beaux ouvrages ?
    Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

     

    Je lis Une étude en rouge, mon premier « Sherlock Holmes » depuis l'adolescence. Un passage me fait penser qu'un certain romantisme a voulu voir dans la littérature une manière de crime, de passage en tout cas des limites. Et je me dis que si Holmes, dans le passage qui suit, avait dit livres et auteurs en place de crimes et de criminels, et quelque nom de journal ou magazine en place de Scotland Yard, il se fût parfaitement défini comme esprit du dernier ordre. 

    «Il n'y a pas de crimes et il n'y a pas de criminels de nos jours, dit-il d'un ton de regret. A quoi cela sert-il d'avoir un cerveau dans notre profession ? Je sais bien que j'ai en moi ce qu'il faut pour que mon nom devienne célèbre. Il n'y a aucun homme, il n'y en a jamais eu qui ait apporté une telle somme d'étude et de talent naturel à la déduction du crime. Et quel en est le résultat ? Il n'y a pas de crimes à découvrir ; tout au plus quelque maladroite crapulerie ayant des motifs si transparents que même un agent de Scotland Yard y voit clair tout de suite. »

    On se demande surtout quelle trouille ou quelle lucidité peut bien retenir ce critique de passer à l'acte.

     

  • J'étais à la guerre et c'était très vivant, de Pauline Picot

    C'est un titre déroutant. Du moins au premier abord. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que je lis par-dessus l'épaule de Pauline Picot. Et que fait Pauline Picot ? Elle lit Erich Maria Remarque.
    (Je lis ce livre parce que mon ami Aurélien Lemant, qui l'a édité, a eu la gentillesse de me l'offrir.)

    Je n'ai jamais lu A l'ouest rien de nouveau et je ne sais pas qui est Pauline Picot. Ce que Pauline Picot appelle en l'espèce être à la guerre, c'est lire A l'ouest rien de nouveau. Quand on a compris ça, le titre peut gagner en profondeur ce qu'il perd en provocation.

    La collection du Feu Sacré s'appelle « Pourquoi je lis ». C'est toujours très soigné. Il y a de petits fils de texte glissés dans la reliure et des jeux typographiques sur les deux fins proposées...
    En réalité, je ne saurai pas pourquoi Picot lit Remarque. Mais je saurai (peut-être) comment.

    D'autant que son texte est littéralement double : il est composé de deux fois 23 textes ; chacun des vingt-trois textes de la page de gauche fait face à chacun de ceux de la page de droite ; ceux de la page de gauche se rapportent directement à la lecture du livre de Remarque, ceux de la page de droite (écrits, eux, en capitales d'imprimerie; mais pourquoi ? est-ce capital ? Vraiment ?) se rapportent, assez diversement, à quelque chose qui, dans la vie de l'auteur, évoque avec plus ou moins d'ironie ou de distance, ce qui est écrit sur la page de gauche. 
    Je lis donc Pauline Picot lisant Erich Maria Remarque plus Pauline Picot cherchant dans sa vie de jeune femme moderne élevée loin des conflits militaires ce qui pourrait même vaguement faire équivalent (avec la conscience, sans doute, qu'aucun équivalent réel n'est possible).

    « Pour chaque motif il y a deux occurrences. Pour chaque coup terrible, un deuxième coup est porté plus loin dans le texte. Chaque chose est en soi divisée et répercutée. Ainsi des cris des chevaux. » (Première phrase du chapitre 3 de la page de gauche).
    « IL EST OÙ CE PUTAIN DE BÉBÉ » (Première phrase du chapitre 3 de la page de droite)

    Aux uniformes des soldats (chapitre 20) peut ainsi correspondre la copieuse liste des chaussures variées de modèle Doc Martens de l'auteur. C'est dérisoire, évidemment. Mais cette dérision-là est vraie. (Pauline Picot ne semble pas manquer d'auto-dérision.)
    C'est intéressant, d'un certain point de vue, de voir comment lisent les gens, en l'espèce une jeune femme diplômée évoluant dans la bourgeoisie culturelle contemporaine (les premiers de la classe doivent avoir l'air cool (leur survie en dépend), les « littéraires » surtout, désormais que l'école et la culture ne valent plus rien et que tout le monde le sait au fond).
    Quand je dis que c'est intéressant, c'est sans ironie. Il n'y a pas d'autre moyen que de lire en étant ce qu'on est.

    Le face à face des chapitres 15 est intéressant : d'un côté une liste des scènes de guerre racontées par Erich Maria Remarque; en face, les scènes centrales vécues par l'auteur, de sa naissance (à l'envers) aux scènes à venir et partiellement laissées en blanc, en passant par le premier chagrin, le second, le premier enterrement...
    Cet écart, ce différentiel, existent évidemment ; reste à savoir s'il est fondamental. Ou simplement inévitable. Je ne me prononcerai pas ici.
    (Du coup, j'essaie d'imaginer Pauline Picot lisant L'Enfer de Dante.)

    Mon double chapitre préféré, c'est le 18. Il parle (à gauche) de « la joie brillante, dure comme une armure, qui quand elle se manifeste ne peut être vaincue ». De « la propension infaillible à voir qu'il y a partout sur le terrain de la guerre des mines de joie prêtes à éclater ». Des « mines qu'il ne faudrait pas dégoupiller artificiellement avec des phrases comme : même au milieu de l'horreur le soldat trouve le moyen d'être heureux / (...) ».
    L'exemple est en face : « TU DEVRAIS FINIR TON DESSERT PENSE AUX GENS QUI SONT EN TRAIN DE MOURIR DE FAIM ET JE TE PARLE MÊME PAS DE L'AFRIQUE (...) »

    D'un autre côté, il y a le chapitre 14, dont ici je cite deux extraits (page de gauche) :
    « La parole sauve et si elle ne peut pas sauver elle veut sauver et vouloir sauver c'est déjà sauver. »
    « Quand la parole ne peut pas sauver parce que la mort est déjà passée alors elle répare, et si elle ne peut pas réparer elle veut réparer et vouloir réparer c'est déjà réparer. »
    Que dire ? Sinon JE NE SUIS PAS DU TOUT D'ACCORD, PAULINE PICOT. MAIS PAS DU TOUT D'ACCORD. EST-CE UNE SORTE DE MYSTIQUE DE LA PAROLE, DE MYSTIQUE DE LA VOLONTÉ, OU DE MYSTIQUE DU FANTASME ? OU DEUX DES TROIS ? OU LES TROIS ?  (Moi aussi, je peux écrire en capitales. Non mais. Et vouloir écrire en capitales, etc.)

    6 janvier 2025

    Pauline Picot, J'étais à la guerre et c'était très vivant, Le Feu sacré 2024