Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

cassou-noguès

  • L'homme configuré

    Norbert Wiener dans Cybernétique et société en 1954 :

    « Il n'y a pas de distinction absolue entre les types de transmission que nous utilisons pour envoyer un télégramme d'un pays à un autre et ceux qui sont du moins théoriquement possibles pour transmettre un organisme vivant tel un être humain. Admettons donc l'idée selon laquelle nous puissions voyager par le télégraphe, outre le train et l'avion, n'est pas intrinsèquement absurde, aussi lointaine que puisse être sa réalisation. »

    Internet a évidemment succédé au télégraphe. 

    Wiener, auquel la bombe atomique a posé quelques soucis éthiques, a fini par comprendre que celle-ci n'était rien en comparaison des affres qu'ouvrait ce qu'il a nommé cybernétique. Je cite ci-dessous (comme d'ailleurs ci-dessus) le remarquable texte de 2014 de Cassou-Noguès, Les rêves cybernétiques de Norbert Wiener :

    «Wiener commence par opposer la mécanisation de l'humain, avec l'usine automatique, et l'humanisation de la machine, avec l'image de la prothèse. La machine doit se soumettre à la volonté humaine. La machine ne doit pas être usine mais prothèse. Seulement les prothèses ont, pour ainsi dire, mangé le corps humain. Elles en ont remplacé toutes les parties, de sorte que c'est finalement dans une machine que l'humain prétend s'incarner. Et justement, que reste-t-il d'humain dans le dispositif ? »

     

    22 janvier 2025

     

  • Lyotard et la mort du Soleil

    Pour Lyotard, les techno-sciences sont déterminées par la mort du Soleil.
     
    « Vous décidez de relever le défi du plus que probable anéantissement de l'ordre solaire et de votre pensée. Et la tâche, alors, la seule, est fort claire, déjà commencée depuis longtemps : simuler les conditions de la vie et de la pensée de telle sorte qu'une pensée reste matériellement possible après le changement d'état de la matière qu'est le désastre. »
     
    « Le problème des techno-sciences s'énonce donc : assurer à ce software un hardware indépendant des conditions de vie terrestre. Soit : rendre possible une pensée sans corps, qui persiste après la mort du corps humain. »
     
    Dans L'Inhumain, causeries sur le temps, Galilée, 1988.
    J'ai trouvé les citations dans Les rêves cybernétiques de Norbert Wiener, de Pierre Cassou-Noguès, Seuil, 2014
     
    20 janvier 2025

  • Les démons de Gödel, de Pierre Cassou-Noguès

    « Mon hypothèse serait plutôt que l'intérêt des notions et, par conséquent, les directions du travail des mathématiciens (les mathématiciens ne s'intéressent pas à toutes les notions ou ne cherchent pas à démontrer tous les théorèmes mais seulement des théorèmes "intéressants") et, finalement, la figure que prennent les théories mathématiques sont déterminés par un écho imaginaire et qu'ainsi ces notions, ces énoncés répondent à des préoccupations plus larges que l'on rencontre avant tout dans la littérature. »

    Kurt Gödel expliquait lui-même à sa mère, en 1952, à propos d'une présentation de son travail : « J'y étais désigné comme le découvreur de la vérité mathématique la plus significative du siècle. Tu ne dois pas penser que j'étais décrit comme le plus grand mathématicien du siècle. Le mot "significative" dit plutôt : du plus grand intérêt en dehors des mathématiques. »

    Je donnerais volontiers dix rentrées littéraires complètes pour Les démons de Gödel (logique et folie) de Pierre Cassou-Noguès.

    Je ne sais pas si l'auteur, professeur de philosophie, a jamais pu souhaiter cela, mais j'ai tout au long de ma lecture de ce livre d'une très grande clarté, et de plus en plus intensément, adhéré aux « arguments » de Kurt Gödel (auteur du théorème d'incomplétude, la fameuse proposition mathématique "la plus significative" du XXème siècle, grand ami d'Einstein, et « plus grand logicien depuis le temps d'Aristote » selon Robert Oppenheimer) les plus extraordinaires, ceux que le mathématicien bizarre, pour le moins, ne publiait pas, craignant à raison qu'ils ne le fissent passer pour fou. Il se peut en effet qu'anges, démons, fantômes et diables n'aient pas bonne presse, même chez les scientifiques. 

    Un seul exemple, du logicien Gödel cité par Cassou-Noguès : « Puisque l'ego existe indépendamment du cerveau, nous pouvons avoir d'autres phases d'existence dans l'univers matériel ou dans un monde formé après que l'univers matériel a sombré dans le néant. L'apparence du contraire peut s'expliquer par le fait que nous en savons si peu sur le sujet. »

    Un certain nombre de problèmes dramaturgiques (romanesques ou non) sont comme d'emblée résolus par l'intuition et le travail de Gödel, intuition dont, moi qui suis profane, je n'ai absolument pas besoin qu'elle soit démontrée mathématiquement.

    « Le problème qui m'occupe, dit Cassou-Noguès en sa postface, est de savoir ce que l'on peut légitimement tirer d'un énoncé scientifique. Sans même extrapoler la logique, Gödel utilise son théorème d'incomplétude pour établir des thèses philosophiques comme l'indépendance de l'esprit par rapport au cerveau, l'immortalité de l'esprit ou, semble-t-il, la possibilité du diable (l'impossibilité de se garantir contre un Mauvais Génie). Il lie pour cela son théorème d'incomplétude à des principes philosophiques qui ont une tradition: un "optimisme rationaliste" par exemple selon lequel l'esprit doit pouvoir résoudre tout problème qu'il peut formuler. La déduction des thèses bizarres à partir du théorème d'incomplétude et des principes philosophiques qui lui sont associés semble être rigoureuse et, du moins, il serait difficile de parler à propos de Gödel " d'imposture intellectuelle". »

    Ce n'était pas le propos de l'auteur, mais j'ai regretté seulement qu'aucun éclairage précis ne soit donné quant à la mise au point de Gödel, entre 1948 et 1970, de sa preuve ontologique (argument logique, reprenant en s'inspirant de Leibniz une tradition remontant à saint Anselme de Cantorbéry,  en faveur de l'existence de Dieu, argument qui ne sera publié qu'en 1987, neuf ans après la mort du logicien). 

    25 août 2023

     

    Les démons de Gödel, de Pierre Cassou-Noguès, Points-Seuil, 2012