Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Clef de la poésie, de Jean Paulhan

    Il ne fait aucun doute qu'il y a un lien étroit entre ce que publie un éditeur et la façon dont il lit. Peu d'éditeurs cependant s'essaient à témoigner de leur façon de lire (ce dont il faut d'ailleurs collectivement les remercier). Mais Jean Paulhan n'est pas seulement un éditeur (50 ans à la nrf/Gallimard), c'est un logicien, un écrivain et sans doute, un poète.

    Clef de la poésie, publié en 1944 chez Gallimard, dans la belle collection « Métamorphoses », ouvre ainsi son premier argument :

    « Je ne cherche pas à faire la moindre découverte poétique, je ne cherche qu'un moyen de juger toute découverte poétique. Je ne souhaite pas former en poésie quelque nouvelle doctrine ; je ne cherche qu'un procédé, propre à mettre toute doctrine à l'épreuve. Bref, mon propos n'est ni critique, ni – de toute évidence – littéraire. Il est strictement logique. Et peut-être est-il loyal de rappeler ici que les études de cet ordre n'ont jamais passé pour amusantes. Au demeurant, personne n'est obligé de les lire. »

    Je noterai ici que ce n'est pas parce que de telles études n'ont jamais passé pour amusantes, qu'elles ne le sont pas réellement. Il y a chez les logiciens une forme d'humour qui n'est pas toujours immédiatement perceptible, et pour cause. Le titre entier du tout petit livre est, rappelons-le : Clef de la poésie qui permet de distinguer le vrai du faux en toute observation ou doctrine touchant la rime, le rythme, le vers, le poète et la poésie.
    Rien que ça.

    « Il faudrait donc que ce mystère fût dans la loi sous-entendu. »

    Ce à quoi Paulhan s'attelle, en réalité, c'est à penser le mystère, et plus précisément, à trouver une formule qui le contienne et qui puisse s'appliquer tant aux classiques qu'aux romantiques et suivants (surréalistes inclus), qu'il appelle aussi, respectivement, rhétoriqueurs et terroristes.


    Il y parvient, d'ailleurs. Et si jamais cela intéresse quelqu'un
     d'accéder à cette clé effectivement unique, il peut aller lire le livre.

     

    6 octobre 2025

     

     

    Lien permanent Catégories : Livre
  • Les Physiciens, de Friedrich Dürrenmatt

    A moins que ce ne soit nous, la pièce (écrite en 1962) a quelque peu vieilli : elle vient d'un temps où la guerre nucléaire totale, je crois, faisait peur. Elle ne fait plus peur ; sans doute s'habitue-t-on. 

    Les 21 points à propos des Physiciens, à la fin de l'ouvrage, ont une portée qui passe la pièce ; le premier d'entre eux, par exemple :
    « Je ne pars pas d'une thèse mais d'une histoire. »
    C'est une évidence à rappeler, de nos jours. Le cher Dürrenmatt lui-même ne la formule peut-être que parce que, dans Les Physiciens, la thèse l'emporte (ou du moins le dispute fortement à l'histoire).

    La pièce se présente d'abord comme une enquête policière. Dans le luxueux sanatorium (plutôt une clinique psychiatrique, de fait), institution luxueuse et privée, on a assassiné une infirmière. Et ce n'est pas la première fois. Les assassins, ou les patients comme il est relativisé parfois, se trouvent être Einstein et Newton. Ou des fous qui se prennent pour eux.

    Mais la pièce tourne à l'affaire d'espionnage, Einstein et Newton étant de vrais faux patients (mais de vrais assassins) et de vrais physiciens-espions chargés de surveiller un nommé Möbius, physicien lui aussi, et le plus brillant des trois, afin de lui voler ses travaux, pour le compte des puissances antagonistes pour lesquels ils travaillent. Or Möbius s'est réfugié dans la clinique afin justement que ses travaux ne puissent servir, et donc probablement participer à la destruction de la planète.

    Il y aura d'autres surprises encore. Si la thèse l'emporte tout de même sur l'histoire, cela n'empêche pas, fait rarissime, la pièce d'être drôle.

     

    10 octobre 2025

    Dürrenmatt, Les Physiciens, L'Arche, traduction de Cécile Delettres, 2014

  • Le Guerrier appliqué, de Jean Paulhan

    Le Guerrier appliqué est un grand petit livre.
    D'abord publié en 1917, c'est un des livres trop rarement cités lorsqu'il est question de la première guerre mondiale. Chaque bref chapitre en deux ou trois parties est un poème en prose. La langue de Paulhan est d'un classicisme nerveux, rapide, presque tronqué.

    Un exemple, pris dans la première page :
    « Ces paysans me connaissaient depuis mes grands-parents : ils avaient de moi une opinion ancienne, et que je respectais. Puis, je les sentais supérieurs à moi par leurs habitudes et même par leurs plaisanteries. La conviction que j'étais bien plus instruit restait ici pure et faible : elle ne me servait de rien, et c'est par ma bonne volonté que je continuais à mériter leur estime. »
    Cette langue est sans doute utile à comprendre le grand éditeur (cinquante ans à la nrf, pour aller vite) qu'aura été Paulhan.

    La distance avec l'objet écrit est très grande ; l'image pourtant fulgure.
    « Plus que tout le reste, une cave, éventrée avec son trottoir, me troubla. L'on voyait par la crevasse un buffet ciré, sous un hachis d'étoffe, de terre et de bois, et cette sécurité trompée. »

    Le narrateur s'appelle Jacques Maast (un pseudonyme que l'auteur réemploiera) et il a dix-huit ans au début de la guerre ; Paulhan, lui, en a vingt-neuf et il a déjà été professeur à Madagascar. L'impression pourtant demeure nette que c'est l'auteur qui parle.
    Pris dans le chapitre Comment est mort Glintz : « Le chagrin simple et sans retour que nous eût donné, dans la paix, la mort d'un ami, il est sûr qu'aucun de nous ne l'éprouva. Peut-être avions-nous ici l'impression d'entrer enfin dans la vraie guerre dangereuse, et contre nous-même le plaisir d'une attente satisfaite. Ou bien, par une réflexion plus personnelle, nous éprouvions vaguement qu'il y avait eu une chance de mort sortie, et qui n'avait pas été la nôtre. »


    25 septembre 2025

    Lien permanent Catégories : Livre
  • Pompidou et l'anthologie poétique

    L'anthologie de la poésie française de Georges Pompidou est agréable à lire ; les poèmes choisis sont tous (ou presque) intéressants. Les absences ne sont pas moins intéressantes (et juste, je crois, le parti pris de ne pas citer les vivants, ce qui nous prive d'Aragon, par exemple). Molière, comme souvent, est mal servi ; et les morceaux choisis de Claudel, hors l'Annoncier merveilleux du Soulier de satin, un peu dérisoires.
    Mais l'anthologie réellement intéressante tient en quelques pages (28 exactement dans l'édition du Livre de poche) à la toute fin du volume, sous le joli titre de post-scriptum : « Aussi, quand on a eu la faiblesse d'en publier une [d'anthologie, donc], est-on pris de l'envie de faire un choix plus restrictif et plus personnel, celui des vers, isolés ou non, le plus souvent isolés, ou des courtes séquences, exceptionnellement d'un poème, qui composent vraiment notre univers poétique.
    » L'esprit académique de Pompidou l'a peut-être empêché de jeter ces vers comme ils venaient, et l'aura forcé à les ranger chronologiquement...
    N'en apprendrait-on pas plus sur chaque poète si lui prenait l'idée de se prêter à tel exercice (exact pendant, j'y songe, de ce qu'on sait par cœur et dit selon moi la vérité loin des modes de ce qu'on aime vraiment) plutôt que de chercher à publier ses plus ou moins narcissiques fumigations pénibles ? D'aucuns seraient surpris d'y découvrir que ce qu'ils aiment a peu de rapport avec ce qu'ils défendent...


    13 septembre 2025

     

    Lien permanent Catégories : Livre