Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

saint-simon

  • Je déteste les cons...

    Je me souviens avoir vexé bien involontairement un poète (mort depuis) en publiant en guise de « bio » sur ma page FB cette phrase (qui est très accessoirement un alexandrin) :
    « Je déteste les cons qui racontent leur vie. »
    Comprenant que c'est le fait de raconter sa vie qui défin
    it le con (ce qui est à tout le moins discutable, mais au moins très égalitaire), il avait décidé de se vexer, et me l'avait fait savoir (sinon je ne l'eusse point su).
    (On notera que sa mauvaise compréhension de mon mauvais vers le rend performatif. Comprenant que le fait de raconter sa vie est preuve de connerie, et par ailleurs ayant raconté sa vie, il se fit sitôt con, prouvant involontairement que j'avais bien raison (quoi que cela veuille dire). Merci.)
    Comme sa vexation tonitruante et tout à fait mal aimable me semblait davantage une preuve de connerie que le simple fait de raconter sa vie (je vous raconte la mienne, là, notez le), je lui avais répondu d'une de ces répliques que Molière a puisé dans l'ancien peuple de France :
    « Qui se sent morveux, qu'il se mouche. »
    J'aime ramener le calme. (Hum.)
    L'ayant trouvé un peu con et tout à fait dénué d'humour, je n'ai jamais lu la poésie de ce monsieur, qui sans doute aucun racontait sa vie. Bref, il ne suffit pas de raconter sa vulgaire vie pour aussitôt devenir Chateaubriand, Saint-Simon, Proust.

     

    6 janvier 2025

  • Chateaubriand vole vers Mars

    Jusqu'à cet été, je n'avais pas lu Le meilleur des mondes, par préjugé positif autant que par paresse. (Grande est l'étrangeté de se sentir avoir été influencé par un livre qu'on n'avait pas lu.) S'il est vrai qu'une grande partie des conditionnements par incessante propagande décrits dans ce roman ont été réalisés, ou sont sur le point de l'être, avec notre assentiment désormais sans valeur, l'idée qu'il se puisse rencontrer aujourd'hui un Sauvage qui ait lu Shakespeare, tout Shakespeare et rien que Shakespeare est encore plus improbable qu'elle ne l'était en 1931 (écriture) ou 1932 (édition). 

    Les deux pages de la préface d'Huxley à l'édition française sont tout à fait frappantes par l'importance qu'elles donnent à la langue : "Tout livre est le produit d'une collaboration entre l'écrivain et ses lecteurs." Plus loin : "Certains passages de ce volume appartiennent à la catégorie des choses intraduisibles. Ils ne sont pleinement significatifs qu'à des lecteurs anglais ayant une longue familiarité avec les pièces de Shakespeare et qui sentent toute la force du contraste entre le langage de la poésie shakespearienne et celui de la prose anglaise moderne." Il se peut que le fantôme de William Shakespeare soit le personnage principal du meilleur des mondes... Pour le titre, Jules Castier a fait l'excellent choix d'emprunter à Voltaire pour rendre ce qu'Huxley empruntait à Shakespeare.

    A l'heure de l'écriture de ce roman, la langue anglaise avait déjà grande puissance, mais elle n'avait pas déclassé définitivement la langue française, même dans les disciplines scientifiques (les publications des physiciens, par exemple, se feront dans la langue de Molière jusqu'en 1960 ou 61) et je me demandais quel équivalent français je choisirais, dans un roman d'anticipation de 2023 ou 2033, pour faire sentir la force du contraste entre son langage et la prose française moderne. Plutôt que sur un dramatiste (mot vieilli), le préférant à Saint-Simon (dont l'époque est malgré tout trop une et stable), à Balzac (mais j'aurais pu), à Proust (trop intime malgré que la politique y passe), à De Gaulle (trop César), j'ai arrêté mon choix sur Chateaubriand, aventurier doté d'un sens moral, parce que la fracture qu'il enjambe entre l'Ancien Régime et le monde moderne me semble comparable non seulement au passage du Moyen Âge à la Renaissance dont rend compte Shakespeare, mais aussi au passage de notre époque post-un-peu-tout à l'advenue du monde de l'Intelligence Artificielle. 

    Imagine-t-on François-René de Chateaubriand voler vers Mars, passant dans une capsule métallique à travers l'immensité noire et morte, le silence éternel des espaces infinis ? Après tout, il a vu à vingt-et-un ans la prise de la Bastille, il s'en est allé seul chercher en vain le mythique "passage du Nord-Ouest" et vivait à vingt-trois avec les Indiens d'Amérique une vie à la Fenimore Cooper, avant de revenir pour une guerre perdue d'avance...

    Entre les deux passages déjà cités de la préface à l'édition française du Meilleur des mondes, celui-ci, magnifique :

    "Sans les habitudes appropriées de langage et de pensée, sans la familiarité nécessaire avec une littérature classique, le lecteur ne percevra pas ce que j'appellerai les harmoniques de l'écriture. Car ainsi qu'un son musical évoque tout un nuage d'harmoniques, de même la phrase littéraire s'avance au milieu de ses associations. Mais tandis que les harmoniques d'un son musical se produisent automatiquement et peuvent être entendus de tous, le halo d'associations autour d'une phrase littéraire se forme selon la volonté de l'auteur et ne se laisse percevoir que par les lecteurs qui ont une culture appropriée."

    22 août 2023