Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ciels de synthèse - Page 16

  • Le mage du Kremlin

    « Cette idée que les hommes publics doivent mener une vie de pauvres types est profondément immorale. L'Etat doit tenir son rang. Ses serviteurs ne peuvent pas être des nuls qui n'ont pas réussi dans le privé : des gens qui se présentent partout la main tendue pour demander la charité. Notre chef d'œuvre a été la construction d'une nouvelle élite qui concentre le maximum de pouvoir et le maximum de richesse. »

    Le personnage Vadim Baranov dans Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli

    J'étais au café du village, où je viens rarement, en train de finir de lire Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, quand un inconnu, la cinquantaine bedonnante et mal vêtue, assis un peu plus loin à une table perpendiculaire à la mienne, m'a fait remarquer avec un fort accent étranger, profitant de ce que je levais le nez, que mon livre était vraiment petit, livre pocket. Oui, c'est un livre de poche, ai-je dit. Ah oui, poche, a-t-il répété en s'appliquant. J'ai repris ma lecture. Je me suis dit, si ça se trouve, le gars est ukrainien ; il était déjà là quand je suis arrivé. Un peu plus tard, il a interrompu une digression sur l'espionnage pour me dire que Navalny venait d'être retrouvé mort et que c'était très grave. Il m'a expliqué qu'il écoutait la radio hollandaise avec son téléphone (son accent ne collait pas et pour un touriste hollandais, il faisait pauvre). Je ne lui ai pas montré ce que je lisais. Sinon il aurait sans doute voulu causer et je déteste ça. J'ai fini ma lecture, j'ai quitté ma table en saluant le gars de la tête, et suis parti. (Le plus probable, au vu du trafic routier passant devant le café, est que le gars ait été un chauffeur routier polonais faisant sa pause.)

    Le bouquin se lit comme un roman. Et pourtant, comme roman, c'est plutôt très mauvais (on dirait, forme et fond, une resucée pépère du Limonov d'Emmanuel Carrère). A l'exception, d'ailleurs, du tout premier chapitre, une vraie nouvelle, qui nous laisse croire que la littérature pourrait encore avoir une importance dans ce monde. Mais ensuite, le narrateur rencontre Baranov (dont le modèle est Sourkov) et ce dernier, en fait de roman, improvise une une sorte de conférence autobiographique à base d'anecdotes plus ou moins déjà connues sur Poutine et la Russie, mais rangées dans l'ordre chronologique, et de considérations plus ou moins intéressantes sur le pouvoir. Le narrateur, lui, s'est volatilisé ; il ne fera même plus semblant d'être là, sauf pour conclure proprement les cinq dernières pages qui tentent assez vaguement de se la jouer touchantes.

    L'ensemble est une manière de vulgarisation journalistique (à la Carrère, donc) sur Poutine et la Russie. Après Limonov pour les nuls, Poutine pour les nuls. Son point fort est de donner envie de relire Zamiatine. L'Académie française a fourgué au bouquin son Grand Prix du Roman, ce qui dit en creux pis que pendre du reste de la production des grosses légumes de l'édition. Le style est limpide et plat (c'est de la flotte, ça descend tout seul) et le sujet, quoi qu'on en pense, fascinant ; une perle, tout de même : « Qui sait comment son grand-père avait survécu aux purges du stalinisme, puis au fil du temps le régime avait perdu ses attitudes carnivores. »

    16 février 2024

    Giuliano da Empoli, Le mage du Kremlin, Gallimard 2022

  • Bon appétit

    La poésie, comme le soleil, met de l'or sur le fumier, dit Flaubert. Il fallait bien que la métaphore ne fût point culinaire. 
     
    14 février 2024 

    Lien permanent Catégories : Livre
  • Tout jeter

    Fin (lundi 5) du second nouveau chapitre (agrégat de 17 éléments sur 3 lignes de fuite). Dépressurisation, envie d'arrêter tout, (tout jeter ?) et de commencer autre chose. Une idée nouvelle vient. L'idée d'un nouveau roman, plus simple, plus court, plus facile (apparemment). Je la rumine trois jours sans discontinuer (ni dormir). Puis la tentation me vient d'en faire le chapitre trois. Même si ça n'a (presque) aucun rapport. Pas les mêmes personnages du tout. N'importe quoi. Envie d'argent facile, magique. (Hier, quelqu'un m'a parlé longuement du dernier Marc Levy. Du point de vue du business éditorial.) Ce qu'il faut, c'est une cuite sévère.

    9 février 2024

  • La loi du plus fort

    La question du jour (mauvais temps, faute à Boutang...) est de savoir si l'agresseur est nécessairement le premier qui frappe. Il semble bien que les cas existent où le premier qui frappe n'est pas réellement l'agresseur ; où donc le premier coup serait permis (l'emploi du conditionnel est justifié plus loin). J'imagine, par exemple, que si six ou sept personnes le cernent et le menacent avec l'intention manifeste de lui faire la peau, un type est tout de même fondé à éclater les couilles du premier qui s'approche, dans la sainte intention de dissuader ses comparses. Mais en réalité, tout dépendra de l'issue du combat et du protagoniste finalement qui dira le droit. Ce qui signifie tranquillement que, sous les apparences à maintenir, tous les coups sont permis pour être celui dont à la fin la force prend force de loi. Ce n'est quand même pas si sorcier à comprendre. Il pleut toujours et je considère cette question comme définitivement résolue, merci de votre attention.

    8 février 2024

     

     

  • Barbarie

    La Barbarie est un livre qui met utilement en garde contre la science (contre sa détestation de la vie, de la culture), qui se veut objective au point qu'elle ignore, l'écartant a priori, ce qu'elle vient ravager : toute la vie subjective, laquelle pourtant permet son existence. Ce n'est donc pas d'une crise de la culture que parle Michel Henry, mais de sa destruction. Et finalement, une telle science se confond avec son idéologie techniciste, qui veut que tout ce qui peut être fait soit fait (sans égard pour rien de sacré ou d'important), et ne comprend pas, ne peut pas comprendre, que partout où elle triomphe, la vie s'éteint. (Je résume à la hache, me passant du sabir phénoménologique (ça y est, c'est raté) qui me fait de plus en plus souvent, symétriquement si j'ose dire, le même effet que ce qu'il dénonce, à savoir d'un déploiement conceptuel fait pour placer la vie sous l'éteignoir.) La mise sous le boisseau de l'art (qui n'est plus lui-même le médium, puisqu'il a besoin, pour (aller) se faire voir, des médias) ou la destruction de l'Université sont bien réelles. Et l'auteur de conclure, 1987, que tout culture ne peut plus être qu'underground, je dirais aujourd'hui : clandestine.

    3 février 2024

    La Barbarie, Michel Henry, Grasset, 1987 ; PUF, 2014