Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Livre - Page 12

  • Le principe de cruauté, de Clément Rosset

    Premier livre (et dernier, peut-être) de Clément Rosset que je lis. Très clair, pas dénué d'humour. Pas si manifestement schopenhauerisé que je ne le craignais. Très intelligent, intelligible et concis. 50 pages. Suivies de trois Appendices intéressants.

    Les deux principes (réalité suffisante, incertitude) sont très justes et très bien expliqués et devraient constituer un minimum pour tout écrivain.

    C'est dans le Post-Scriptum à son essai (avant donc les trois Appendices) que Rosset manque quelque chose, et c'est évidemment, comme pour tout philosophe, à propos de l'amour "dans son sens le plus étendu" (même s'il est drôle lorsqu'il qualifie d'irréel l'amour du prochain) : "Car il entre dans l'essence de l'amour de prétendre aimer toujours, mais dans son fait de n'aimer qu'un temps. En sorte que la vérité de l'amour ne s'accorde pas avec l'expérience de l'amour."

    Il me semble que l'amour entre enfants et parents (dans un sens et dans l'autre) peut ne pas finir, et je tiens même que la mort peut ne pas le clore***. Il n'est pas anecdotique sans doute que ce soit cet amour sur lequel principalement s'est bâti l'édifice chrétien ; et que cet amour-là aussi soit au point de crever.

    6 novembre 2023

    ***Post-scriptum (c'est mon tour) : Je viens de lire sur son blog un beau texte de Georges de La Fuly, Altération (le rêve et les adieux), où l'auteur parle, à propos de sa défunte mère, de "cet amour inconditionnel pour celle qui m'a aimé durant quarante-sept ans". (6 novembre 2023)

     

  • Tout seul dans son coin

    "En attendant, le totalitarisme n'a pas encore totalement triomphé partout. Notre propre société est toujours, au sens large du terme, libérale. Pour exercer son droit à la liberté d'expression, il faut se battre contre des pressions économiques et une grande part de l'opinion publique, mais pas encore contre une police secrète. On peut dire ou imprimer presque tout ce qu'on veut tant que l'on est prêt à le faire tout seul dans son coin."

    Lu ce petit texte de  George Orwell de 1946, traduit par Thomas Bourdier (qui n'a pas peur du verbe impacter, qui manquait à notre langue) et publié aux excellentes éditions R&N (une maison qui écrit en toutes lettres sur son site Veuillez noter que nous ne lisons pas les manuscrits ne peut qu'être excellente.)

    "Il ne sera probablement pas au-delà de l'ingéniosité humaine de faire écrire des livres par des machines. On peut déjà voir un tel processus mécanique à l'œuvre dans les films et à la radio, dans la publicité et la propagande, et dans les franges les plus basses du journalisme. Les films Disney, par exemple, sont produits à l'aide de procédés essentiellement industriels, le travail étant effectué en partie mécaniquement, en partie par des équipes artistiques qui doivent taire leur style personnel pour le mettre au service du film."

    Le préfacier Kévin Victoire cite le texte Pourquoi j'écris où Orwell identifie quatre raisons d'écrire qui existent chez tous les écrivains et dont les proportions varient : 1. le pur égoïsme ; 2. l'enthousiasme esthétique ; 3. l'inspiration historienne ; 4. la visée politique. Raisons à mettre en perspective avec Ezra Pound citant dans son ABC de la lecture l'humaniste du XVIème siècle Rodolfo Agricola, pour lequel "on écrit toujours ut doceat, ut moveat, aut delectet, pour instruire, pour émouvoir ou pour charmer".

    5 novembre 2023

    L'empêchement de la littérature, George Orwell, traduit par Thomas Bourdier, R&N

     

     

     

  • Poécrivages

    Je les comprends très bien. Ils ont peur que rien ne reste d'eux après leur mort. Alors ils écrivent des babioles. Mais les gens passent sans s'arrêter. Alors ils se disent d'abord que le temps leur fera bientôt justice, puis comme rien ne vient ni ne change, ils paniquent un peu, et sur la fin, poussent des petits cris aigus pour signaler l'existence de leurs choses, là, là, regardez, c'est bien, c'est de moi. Et les gens passent tout de même. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que ce qui peut leur arriver de mieux, de plus juste, c'est qu'il ne reste rien de leur petit piaillement écrit. C'est plus décent. Les gens passent ; et des meilleures. Et le temps fait justice.

    2 novembre 2023

  • Après Napoléon, par Chateaubriand

    "Retomber de Bonaparte et de l'Empire a ce qui les a suivis, c'est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d'une montagne dans un gouffre. Tout n'est-il pas terminé avec Napoléon ? Aurais-je dû parler d'autre chose ? Quel personnage peut intéresser en dehors de lui ? De qui et de quoi peut-il être question après un pareil homme ? Dante a eu seul le droit de s'associer aux grands poètes qu'il rencontre dans les régions d'une autre vie. Comment nommer Louis XVIII en place de l'empereur ? Je rougis en pensant qu'il me faut nasillonner à cette heure d'une foule d'infimes créatures dont je fais partie, êtres douteux et nocturnes que nous fûmes d'une scène dont le large soleil avait disparu. "

    Je copie platement ce bref passage écrit en 1839 des Mémoires d'outre-tombe. C'est au début du Livre vingt-cinquième, chapitre premier, après plus de cinq cents pages consacrées à Napoléon Bonaparte. Un tout petit peu plus loin :

    "En m'exprimant sur notre peu de valeur, j'ai serré de près ma conscience ; je me suis demandé si je ne m'étais pas incorporé par calcul à la nullité de ces temps, pour acquérir le droit de condamner les autres ; persuadé que j'étais in petto que mon nom se lirait au milieu de toutes ces effaçures. Non : je suis convaincu que nous nous évanouirons tous : premièrement parce que nous n'avons pas en nous de quoi vivre ; secondement parce que le siècle dans lequel nous commençons ou finissons nos jours n'a pas lui-même de quoi nous faire vivre. Des générations mutilées, épuisées, dédaigneuses, sans foi, vouées au néant qu'elles aiment, ne sauraient donner l'immortalité ; elles n'ont aucune puissance pour créer une renommée ; quand vous cloueriez votre oreille à leur bouche, vous n'entendriez rien : nul son ne sort du cœur des morts.

    Une chose cependant me frappe : le petit monde dans lequel j'entre à présent était supérieur au monde qui lui a succédé en 1830 : nous étions des géants en comparaison de la société de cirons qui s'est engendrée."

  • Par cœur

    Rien n'est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours trompeurs. Debord, Panégyrique

    J'ai envie de relire Le Passager de Cormac McCarthy, que j'ai fini il y a quelques semaines (et Stella Maris dans la foulée) ; ses toutes premières pages, enregistrées comme simples informations à la première lecture, me troublent à présent.

    Relativement nombreux sont les livres que je relis à présent ; rares sont ceux qu'on relit à peine les a-t-on refermés. Panégyrique avait provoqué plusieurs lectures successives. J'en connais des passages par cœur.

    On n'aime pas nécessairement ce qu'on voudrait aimer, ni ce que sincèrement on dit aimer. Je crois de plus en plus que la poésie qu'on aime, c'est celle qu'on sait par cœur ; pire, c'est ce qu'on sait par cœur, et tant mieux après tout si ce n'est pas de la poésie. (Il ne reste peut-être, à nombre de gens, que quelques fables de La Fontaine, mais c'est beaucoup mieux que tant de choses, pour peu qu'on se mette à les entendre...). Je me demande si l'ami Fred Pougeard serait d'accord (oui et non, j'imagine...).

    Le seul livre sur la poésie auquel je reviens souvent, au point d'en connaître par cœur quelques courts passages, c'est le bref Sur le vers français de Claudel, écrit à Tokio le 7 janvier 1925, qu'on trouve dans ses Réflexions sur la poésie. L'incipit :

    On ne pense pas d'une manière continue, pas davantage qu'on ne sent d'une manière continue ou qu'on ne vit d'une manière continue. Il y a des coupures, il y a intervention du néant. La pensée bat comme la cervelle et le cœur.

    23 octobre 2023