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J'étais à la guerre et c'était très vivant, de Pauline Picot

C'est un titre déroutant. Du moins au premier abord. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que je lis par-dessus l'épaule de Pauline Picot. Et que fait Pauline Picot ? Elle lit Erich Maria Remarque.
(Je lis ce livre parce que mon ami Aurélien Lemant, qui l'a édité, a eu la gentillesse de me l'offrir.)

Je n'ai jamais lu A l'ouest rien de nouveau et je ne sais pas qui est Pauline Picot. Ce que Pauline Picot appelle en l'espèce être à la guerre, c'est lire A l'ouest rien de nouveau. Quand on a compris ça, le titre peut gagner en profondeur ce qu'il perd en provocation.

La collection du Feu Sacré s'appelle « Pourquoi je lis ». C'est toujours très soigné. Il y a de petits fils de texte glissés dans la reliure et des jeux typographiques sur les deux fins proposées...
En réalité, je ne saurai pas pourquoi Picot lit Remarque. Mais je saurai (peut-être) comment.

D'autant que son texte est littéralement double : il est composé de deux fois 23 textes ; chacun des vingt-trois textes de la page de gauche fait face à chacun de ceux de la page de droite ; ceux de la page de gauche se rapportent directement à la lecture du livre de Remarque, ceux de la page de droite (écrits, eux, en capitales d'imprimerie; mais pourquoi ? est-ce capital ? Vraiment ?) se rapportent, assez diversement, à quelque chose qui, dans la vie de l'auteur, évoque avec plus ou moins d'ironie ou de distance, ce qui est écrit sur la page de gauche. 
Je lis donc Pauline Picot lisant Erich Maria Remarque plus Pauline Picot cherchant dans sa vie de jeune femme moderne élevée loin des conflits militaires ce qui pourrait même vaguement faire équivalent (avec la conscience, sans doute, qu'aucun équivalent réel n'est possible).

« Pour chaque motif il y a deux occurrences. Pour chaque coup terrible, un deuxième coup est porté plus loin dans le texte. Chaque chose est en soi divisée et répercutée. Ainsi des cris des chevaux. » (Première phrase du chapitre 3 de la page de gauche).
« IL EST OÙ CE PUTAIN DE BÉBÉ » (Première phrase du chapitre 3 de la page de droite)

Aux uniformes des soldats (chapitre 20) peut ainsi correspondre la copieuse liste des chaussures variées de modèle Doc Martens de l'auteur. C'est dérisoire, évidemment. Mais cette dérision-là est vraie. (Pauline Picot ne semble pas manquer d'auto-dérision.)
C'est intéressant, d'un certain point de vue, de voir comment lisent les gens, en l'espèce une jeune femme diplômée évoluant dans la bourgeoisie culturelle contemporaine (les premiers de la classe doivent avoir l'air cool (leur survie en dépend), les « littéraires » surtout, désormais que l'école et la culture ne valent plus rien et que tout le monde le sait au fond).
Quand je dis que c'est intéressant, c'est sans ironie. Il n'y a pas d'autre moyen que de lire en étant ce qu'on est.

Le face à face des chapitres 15 est intéressant : d'un côté une liste des scènes de guerre racontées par Erich Maria Remarque; en face, les scènes centrales vécues par l'auteur, de sa naissance (à l'envers) aux scènes à venir et partiellement laissées en blanc, en passant par le premier chagrin, le second, le premier enterrement...
Cet écart, ce différentiel, existent évidemment ; reste à savoir s'il est fondamental. Ou simplement inévitable. Je ne me prononcerai pas ici.
(Du coup, j'essaie d'imaginer Pauline Picot lisant L'Enfer de Dante.)

Mon double chapitre préféré, c'est le 18. Il parle (à gauche) de « la joie brillante, dure comme une armure, qui quand elle se manifeste ne peut être vaincue ». De « la propension infaillible à voir qu'il y a partout sur le terrain de la guerre des mines de joie prêtes à éclater ». Des « mines qu'il ne faudrait pas dégoupiller artificiellement avec des phrases comme : même au milieu de l'horreur le soldat trouve le moyen d'être heureux / (...) ».
L'exemple est en face : « TU DEVRAIS FINIR TON DESSERT PENSE AUX GENS QUI SONT EN TRAIN DE MOURIR DE FAIM ET JE TE PARLE MÊME PAS DE L'AFRIQUE (...) »

D'un autre côté, il y a le chapitre 14, dont ici je cite deux extraits (page de gauche) :
« La parole sauve et si elle ne peut pas sauver elle veut sauver et vouloir sauver c'est déjà sauver. »
« Quand la parole ne peut pas sauver parce que la mort est déjà passée alors elle répare, et si elle ne peut pas réparer elle veut réparer et vouloir réparer c'est déjà réparer. »
Que dire ? Sinon JE NE SUIS PAS DU TOUT D'ACCORD, PAULINE PICOT. MAIS PAS DU TOUT D'ACCORD. EST-CE UNE SORTE DE MYSTIQUE DE LA PAROLE, DE MYSTIQUE DE LA VOLONTÉ, OU DE MYSTIQUE DU FANTASME ? OU DEUX DES TROIS ? OU LES TROIS ?  (Moi aussi, je peux écrire en capitales. Non mais. Et vouloir écrire en capitales, etc.)

6 janvier 2025

Pauline Picot, J'étais à la guerre et c'était très vivant, Le Feu sacré 2024

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