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Politique - Page 2

  • R.U.R. (Rossum's Universal Robots) de Karel Capek

    « ALQUIST — J'ai raison ! Le monde est devenu fou ! Vous pouvez regarder où vous voulez, sur tous les continents, on croirait assister à une orgie ! Pas besoin de faire le moindre geste pour manger, on vous le met directement dans la bouche ; pas besoin de faire le moindre mouvement, les robots d'Harry Domin arrangent tout. Nous, l'humanité, le sommet de la vie, rien ne nous intéresse plus — ni les enfants, ni le travail, ni la misère ! Sauf une chose bien sûr — les plaisirs, les jouissances, il en faut le plus possible et le plus vite possible ! Et vous voudriez des enfants ? Hélène, à quoi bon des enfants pour des hommes qui ne servent à rien ? 

    HÉLÈNE — Alors c'est la fin de l'humanité? »

    À l'origine du mot robot, la pièce de Capek en quatre parties (un prologue et trois actes) date de 1920 ; et seuls ont finalement vieilli (pour l'instant, serais-je tenté de dire) ses robots de chair et d'os, mais pas une des questions qu'elle soulève, et même indépendamment des opinions de son auteur, qu'il n'impose aucunement. La démocratisation de robots fabriqués à des millions d'exemplaires, par le bien-nommé Harry Domin et son équipe, est ainsi corrélée à l'effondrement démographique. Une amélioration des machines les rend bientôt plus humaines encore, c'est-à-dire plus désireuses du pouvoir et de meurtre de masse ; voici que les machines se révoltent contre les hommes et les exterminent. Mais elles ont oublié, dans leur trop humaine précipitation, de se soucier de leur reproduction. L'architecte Alquist, qui est peut-être le dernier humain à présent, en qui les robots ont en désespoir de cause placé leur espoir, leur fait chercher d'autres hommes survivants ; en vain. Les robots après les hommes vont donc s'éteindre... sauf que la vie en eux finit par l'emporter. Les machines survivront.

    27 décembre 2023

    Karel Capek, R.U.R., La différence, traduction de Jan Rubes

     

  • Le réseau des clochards du futur

    « — Combien êtes-vous en tout ?

    — Des milliers, sur les routes, les voies de chemin de fer, clochards au-dehors, bibliothèques vivantes au-dedans. Rien n'était prémédité au départ. Chacun avait un livre dont il voulait se souvenir et il y est parvenu. Puis, durant une période d'une vingtaine d'années, nous nous sommes rencontrés, en voyageant, nous avons tracé les mailles du filet et élaboré un plan. La notion la plus importante que nous avons dû nous ancrer dans la cervelle, c'est que nous étions des personnages sans importance, que nous ne devions jamais devenir pédants, nous croire supérieurs à qui que ce fût. Nous ne sommes rien de plus que des couvertures de livres poussiéreuses. Certains d'entre nous vivent dans de petites villes. Le chapitre I du Walden de Thoreau à Green River, le chapitre II à Willow Farm dans le Maine. Et même il existe une ville dans le Maryland, une ville de vingt-sept habitants, aucune bombe ne touchera cette ville où sont réunis les essais complets d'un nommé Bertrand Russell. On pourrait presque tourner les pages de cette ville, habitant par habitant. »

    Ray Bradbury, Fahrenheit 451, traduction d'Henri Robillot, Denoël, coll. Présence du futur

     

  • Fahrenheit 451, de Ray Bradbury

    Au milieu de la nouvelle, le vieux professeur Faber casse en quelque sorte le morceau et dit deux choses : que les pompiers pyromanes de l'Etat (l'expression est à prendre au premier des 451 degrés) sont simplement là pour faire du divertissement, du spectacle (ce que la fin corroborera, avec la mort habilement filmée d'un inconnu que l'on fera passer pour le héros Montag) et que les gens ont de toute façon arrêté de lire d'eux-mêmes. Le livre bascule ici, et l'on comprend pourquoi ces pompiers post-hitlériens qui brûlent des livres ne sont pas son réel sujet. Déjà le capitaine Beatty nous avait paru beaucoup trop cultivé (même si l'on admet que tout pompier a eu un jour la tentation de savoir ce qu'il y avait dans les livres, il en sait vraiment trop) ; c'est lui qui parle ici :

    Les classes sont écourtées, la discipline négligée, la philosophie, l'histoire, les langues abandonnées, l'anglais et sa prononciation peu à peu délaissés, et finalement presque ignorés. On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail, l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit, sinon apprendre à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des boulons ?

    En 1953, sur un spectre de guerre nucléaire qui ne nous a que brièvement quittés, Bradbury comprend que la démocratisation des drogues et technologies diverses (médecines, sports, musiques d'ambiance permanente, travail répétitif, télévision interactive surtout (sorte de sitcom-jeu vidéo et de pré-internet)) doublée de la tyrannie des minorités qui doit aboutir à la non-expression (et mieux, à la non-formulation mentale) de toute opinion travaille à instituer le bonheur obligatoire pour tous. Lequel a pour corollaire l'évacuation simultanée de la reproduction et de la connaissance (puisque le sens de cette dernière résidait en grande partie dans la transmission de son propre contenu). Le suicide (jusqu'ici plus ou moins raté, du fait de l'intervention de Montag) de Mildred ne laisse en elle aucune trace et lui demeure à elle-même inconnu (non moins que sa rencontre dix ans avant avec son mari : il n'y a plus ni ni quand) ; c'est bien là que se tient le stérile Occident de nos années 2020. 

    12 novembre 2023

    Ray Bradbury, Fahrenheit 451, traduction d'Henri Robillot, Denoël, coll. Présence du futur

  • La leçon de Belloc

    Nous ne posséderons rien, ou pas grand-chose. Il se peut même que le peu que nous possédons fonde encore, et très vite, dans les années qui viennent. L'Etat servile, d'Hilaire Belloc, écrit en 1912, raconte très bien comment, en Angleterre du moins, le Moyen Âge avait petit à petit éliminé le servage au profit d'une société essentiellement constituée de petits propriétaires capables de solidarité. Small is beautiful. Puis comment, avant même la révolution industrielle, les terres des gens avaient été spoliées par une couronne incapable cependant de même les conserver (le roi lui-même devenant une marionnette salariée...) ; échec qui avait permis la naissance d'une oligarchie nouvelle de grands propriétaires terriens et le retour du servage, sous la forme épatante du salariat (ou le salarié contracte librement puisqu'il a en effet le choix entre la misère et la mort) ; et que c'est cette réalité qui avait permis que l'essor industriel soit cette atroce exploitation des prolétaires anglais. 

    Inspiré du Moyen Âge tardif (et catholique) des XIVème et XVème siècles, le distributivisme de Belloc, idéale alternative aux capitalisme et socialisme créant tous deux une catégorie identique de prolétaires disposant d'une force de travail destinée uniquement à servir ceux qui possèdent (que la possession soit publique ou privée), ne redeviendra pas réalité. Il peut cependant devenir pour chacun une source d'inspiration quant à la manière d'orienter sa vie.     

    « L'entrée d'un homme dans une corporation s'accompagnait d'une période d'apprentissage au cours de laquelle il travaillait pour un maître ; mais avec le temps, il devenait maître à son tour. L'existence de telles corporations en tant qu'unités normales de production industrielle, d'effort commercial et de moyen de transport atteste suffisamment ce qu'était l'esprit social qui avait également affranchi le travailleur de la terre. Et tandis que de telles institutions fleurissaient parallèlement aux communautés villageoises qui n'étaient plus serviles, la propriété libre ou absolue du sol, à la différence de la tenure du serf sous l'autorité du seigneur, s'était également développée.

    [...] L'Etat, tel que l'envisageait l'esprit des hommes au terme de ce processus, était un agglomérat de familles plus ou moins riches, mais constituant les propriétaires de moyens de production de loin les plus nombreux. »

    4 décembre 2023

     

    Hilaire Belloc, Vous ne posséderez rien (L'Etat servile), traduction et présentation de Radu Stoenescu, Carmin, 2023

  • Modèle de composition I - Strauss

    De la tyrannie, de Leo Strauss.

    1. Hiéron ou le traité sur la tyrannie, de Xénophon. (Dialogue d'une trentaine de pages entre le poète Simonide de Céos et le tyran Hiéron de Syracuse.)

    2. De la tyrannie, de Leo Strauss. (Essai de près de 200 pages sur le dialogue de Xénophon.)

    3.  Tyrannie et sagesse, par Alexandre Kojève. (Réponse de 75 pages d'Alexandre Kojève à l'essai de Strauss.)

    4. Mise au point, de Leo Strauss. (Conclusion de l'ensemble, 80 pages)

    Un titre, un seul auteur annoncé ; mais quatre parties, trois auteurs, trois langues, deux périodes historiques . Le De la tyrannie de Strauss est évidemment un essai de philosophie politique. Mais je ne vois rien là qui empêcherait un romancier de s'en inspirer.

    Dans la version française que je lis, Xénophon est donné dans la "Trad. Pierleoni utilisée par Jean Luccioni" ; les deux parties de Leo Strauss sont traduites de l'anglais par Hélène Kern ; quant au texte de Kojève, il est en français. (Dans l'édition américaine d'origine, on lit sans doute Strauss dans l'original, Xénophon et Kojève dans des traductions, l'une sans doute " de référence", l'autre faite pour l'occasion (sauf si la réponse de Kojève avait été initialement publiée en revue.) Cette question des époques et des traductions pourrait bien être une piste stylistique.

    21 novembre 2023