La prose de Pierre Perrin ressemble terriblement à ses vers. Elle est âpre, unique, rapide. Elle affirme, même le doute ; elle dit. Je dirais qu'elle ne fait pas de cadeau — l'auteur, en tout cas, ne s'en fait pas. Toute cette densité donne une vraie puissance tragique à ce qui est moins un récit, malgré l'annonce en couverture, qu'une plongée, ou mieux encore : une série de plongées, dans les abîmes de l'oubli et les dédales de la mémoire. Car enfin il s'agit, plongée après plongée dans la campagne de Franche-Comté de l'immédiat après-guerre, puisque la seule chronologie est celle de l'écriture, rien moins que de remonter, comme on peut, petit à petit si j'ose dire, la mère de l'auteur ; certes vient avec elle le père du poète — et tout un monde ancien, dur au mal, au point de disparaître. Il semble que de leur vivant, le père ait été très aimé, la mère beaucoup moins, de refuser au fils toute manifeste tendresse ; et que le travail du temps ait tendu à inverser cette polarité, sans bien qu'on sache si le temps rend justice ou simplement nous change, puisque notre nature, hélas, tant mieux, est de changer sans cesse, du moins jusqu'à la mort. Mais la nécessité pour Perrin de ramener parmi nous cette mère ne souffre pas discussion. Il semble toutefois hésiter lui-même, non sans raison, entre les mots de résurrection (en lui) et de tombeau (dans le livre qui s'écrit). Etrange, quoi que la mise à distance puisse être compréhensible, est à la fin cette avarice onomastique, j'aurais pu dire cette crainte du nom, qui fait que le père, la mère, les gens, les lieux familiers ne sont pas (ou vraiment très peu, Paris, la Poméranie) nommés ; et seul demeure après tout sur la couverture celui-là du poète.
11 août 2024
Pierre Perrin, Une mère, le cri retenu, le cherche-midi éditeur, 2001