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Journal - Page 3

  • Echouer, oui, mais dans tout, et surtout dans l'échec

    Rien n'est aussi convenu aujourd'hui que d'écrire un roman. Et c'est très bien. Autant savoir dans quelles catégories désormais s'accumulent les choses convenues, sans importance. Entre le roman et vers libre à la  va-comme-je-te-pousse, on connaît l'adresse de la décharge publique. Une page de prose est déjà plus compliquée à réussir. Un dialogue, n'en parlons pas. L'écriture dramatique cherche désespérément à déboucher sur la scène et : ou elle est adaptée à la bêtise scénique contemporaine et, bête elle-même, y peut réussir ; ou elle n'y est pas adaptée et ou échoue à y parvenir ou s'y échoue. Quant à l'essai, il pue la mode, qu'il l'épouse ou la critique. On me dira qu'il y a des exceptions (il y a des tribunaux pour ça). Peut-être. Mais s'il y en a, il y en aura de moins en moins. Il y a déjà longtemps qu'il n'y en a presque plus. On me dira qu'elles n'en seront que plus exceptionnelles. Certes. (J'espère bien.) Et la plupart n'iront pas jouer dans les réseaux ordinaires de la soumission éditoriale à la médiocrité. Je ne comprends pas ce qu'un homme même un tout petit peu intelligent irait faire dans la politique française actuelle (et là, je ne trouve pas d'exception) ou dans le milieu de l'édition. Je trouve dans la mauvaiseté de la littérature française d'aujourd'hui d'excellentes raisons de me mettre sinon aux mathématiques, du moins à la logique élémentaire. 
    (J'espère bien. (J'ai dit.))

     

    17 décembre 2024

     

     

    Lien permanent Catégories : Journal
  • Le maillon manquant

    Deux faits.

    1. J'ai fait un petit billet ici, il y a quelque temps, sur l'emploi chez Descartes, dans le Discours de la méthode, à propos du suspens ou de la réduction, du verbe feindre.

    2. J'aime citer depuis longtemps le mot de Basil Bunting cité par Ezra Pound dans son ABC de la lecture :
    Dichten = condensare.

     

    Je n'aurais jamais pensé à lier entre eux ces deux faits sans le magnifique Livre des amis d'Hugo von Hofmannsthal (publié aux éditions de la Coopérative par Jean-Yves Masson, éditeur et traducteur) :

    Ecrire (dichten) = feindre* = to feign

    Jean-Yves Masson ajoute en note : « Hofmannsthal pense ici à l'étymologie des verbes français et anglais "feindre" et "to feign", dérivés du latin "fingere" qui signifie originellement "modeler, façonner", puis "imaginer", d'où provient aussi le mot "fiction". Le verbe "dichten" s'applique à la création littéraire en général, même s'il s'applique surtout à la poésie ("der Dichter peut désigner "l'écrivain").  »

    L'astérisque signifie que le verbe feindre est écrit en français par Hofmannsthal. Ce qui signifie donc, sauf erreur de ma part, que l'aphorisme d'Hofmannsthal est écrit en trois langues :

    Dichten = feindre = to feign 


    Je ne tire pas les conclusions.

     

  • A quoi sert une bibliothèque ?

    Je lis en ligne un article sur Husserl et Gödel par Dagfinn Føllesdal, un philosophe norvégien (né en 1932) dont je n'avais jamais entendu parler.

    Husserl n'a jamais fait référence à Gödel.
    Les travaux publiés de Gödel n'ont jamais fait référence à Husserl.

    Gödel fait mention en 1961 de la phénoménologie dans son Nachlaβ (les papiers donnés à l'Institute for Advanced Study par son épouse peu après sa mort) et Hao Wang confirme que Gödel avait commencé d'étudier Husserl en 1959.
    Gödel était assez critique des Recherches logiques (1900-1901) et sur certaines sections de la Crise des sciences européennes (1936 et ensuite). 

    C'est pour une grande part grâce aux notes prises par Gödel dans les marges des livres de Husserl qu'il possédait que nous pouvons savoir comment il le comprenait, et dit Dagfinn Føllesdal cette compréhension est tout à fait extraordinaire et elle le place parmi les premiers des principaux interprètes du philosophe.

    Les notes prises dans les marges, je vous dis.

    21 novembre 2024

     

  • Sherlock Holmes, critique littéraire, esprit du dernier ordre

    Celui que je relis le plus, c'est La Fontaine. Ce mot d'esprits du dernier ordre s'applique à merveille aux critiques littéraires, par exemple.  On le trouve dans Le Serpent et la Lime, livre V, fable 16.

    On conte qu'un Serpent voisin d'un Horloger
    (C'était pour l'Horloger un mauvais voisinage),
    Entra dans sa boutique, et cherchant à manger,
                  N'y rencontra pour tout potage
    Qu'une Lime d'acier qu'il se mit à ronger.
    Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
            Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ?
                  Tu te prends à plus dur que toi.
                  Petit serpent à tête folle,
                  Plutôt que d'emporter de moi
                  Seulement le quart d'une obole, 
                  Tu te romprais toutes les dents :
                  Je ne crains que celles du temps.

    Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
    Qui n'étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.
                Vous vous tourmentez vainement.
    Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
                         Sur tant de beaux ouvrages ?
    Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.

     

    Je lis Une étude en rouge, mon premier « Sherlock Holmes » depuis l'adolescence. Un passage me fait penser qu'un certain romantisme a voulu voir dans la littérature une manière de crime, de passage en tout cas des limites. Et je me dis que si Holmes, dans le passage qui suit, avait dit livres et auteurs en place de crimes et de criminels, et quelque nom de journal ou magazine en place de Scotland Yard, il se fût parfaitement défini comme esprit du dernier ordre. 

    «Il n'y a pas de crimes et il n'y a pas de criminels de nos jours, dit-il d'un ton de regret. A quoi cela sert-il d'avoir un cerveau dans notre profession ? Je sais bien que j'ai en moi ce qu'il faut pour que mon nom devienne célèbre. Il n'y a aucun homme, il n'y en a jamais eu qui ait apporté une telle somme d'étude et de talent naturel à la déduction du crime. Et quel en est le résultat ? Il n'y a pas de crimes à découvrir ; tout au plus quelque maladroite crapulerie ayant des motifs si transparents que même un agent de Scotland Yard y voit clair tout de suite. »

    On se demande surtout quelle trouille ou quelle lucidité peut bien retenir ce critique de passer à l'acte.

     

  • Le philosophe et la circulation

    J'aime beaucoup l'humour de ce passage, trouvé dans la présentation qu'ont écrite Christiane Chauviré et Sabine Plaud à leur traduction du Tractatus logico-philosophicus 

    « Au tournant des années 1930, Wittgenstein renoncera à la théorie de la proposition mise en œuvre dans le tractatus logico-philosophicus après avoir assisté à une altercation avec un cycliste. Le langage corporel (fleuri) de ce dernier lui fit prendre conscience de la diversité des usages et des jeux du langage, au-delà du modèle unique de la proposition comme image, défendu dans son premier opuscule. »

    Modèle de la proposition comme image dont il est rappelé qu'il devait peut-être son origine à l'usage de maquettes qu'un tribunal avait fait pour reconstituer... un accident de voiture. Décidément.

    8 novembre 2024

    Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, traduction de Christiané Chauviré et Sabine Plaud, GF, 2021