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Journal - Page 7

  • Ordonnancement chaotique

    Le mal consiste aussi à ne pas voir le bien. Je me suis levé en pleine nuit, il y a quelques semaines, avec cette phrase à écrire. Cette phrase se trouve être (techniquement) un alexandrin. Un vers transparent, au sens de T.S. Eliot (qui définit cela très bien dans son essai Les buts du drame poétique) : « Quand on écoute la première scène d'Hamlet, on ne s'arrête pas à considérer si les personnages parlent en vers ou en prose. »

     

    Ce que j'ai écrit, ce que j'ai pensé écrire, ce que j'ai rêvé, séparés qu'ils étaient, se confondent bientôt, disparaissent bientôt de ma mémoire (au fil des mois).
    Au début de la plage d'écriture (plage ?), le fichier du chapitre titrait ses 80.000 mots ; et à la fin, 13.000. J'en ai pourtant ajouté (ajôté) des choses...
    Ainsi, je puis faire référence manifeste, dans la suite de l'écriture, à des épisodes évacués ou pire, modifiés. D'autant que la chose ne s'écrit pas dans l'ordre de lecture. Par exemple, le personnage de MC a disparu, fondu dans RH, mais je retrouve une référence à Santa Fe (Nouveau Mexique) où vivait le premier, alors que RH, lui, ne quitte pas la Californie. Je laisse en l'état (pour l'heure).
    Palimpseste et métalepse sont sur un bateau...


    Il manque le paragraphe sur Goldorak. 

     

    Si je l'avais vu en septembre, j'aurais demandé à P. de lire tout ce fatras, de me faire un retour sur l'ordonnancement chaotique volontaire (ou plutôt : assumé) des choses, chaque chose étant claire et l'ensemble incompréhensible, et de souligner les bizarreries dont il aurait l'impression qu'elles ne sont pas volontaires. Mais au lieu de cela, P. est mort le 9 septembre, juste avant d'entrer dans sa quarante-quatrième année.

    8 octobre 2024

     

     

  • Lautréamont 4.0621

    Je n'ai jamais beaucoup aimé Les chants de Maldoror du comte de Lautréamont. C'est le livre d'un tout jeune homme dont la langue comme le sujet m'ont laissé sur le seuil. J'ai en revanche assez lu, jadis, ce qu'on appelle improprement depuis les surréalistes ses Poésies (cette fois signées de son nom, Isidore Ducasse).
    Les deux fascicules parus sous ce titre étaient en réalité la préface de Ducasse à des poésies qu'il n'a pas eu le temps, saisi par la mort, de corriger dans le sens du bien, de la morale. Cette préface elle-même est pour une grande part constituée de détournements de poètes ou de moralistes. Le plus significatif, sinon pas le plus beau ou le plus drôle, me semble celui-ci, pris à La Bruyère et retourné :

    « Rien n'est dit. L'on vient trop tôt depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes. Sur ce qui concerne les mœurs, comme sur le reste, le moins bon est enlevé. Nous avons l'avantage de travailler après les anciens, les habiles d'entre les modernes. »

    Il m'a toujours paru que je n'avais pas finalement à préférer vraiment la version de La Bruyère à celle de Ducasse ; ni l'inverse ; non tant parce que les deux positions se tiendraient comme on dit, que parce que l'essentiel est bien que toutes deux indiquent un problème d'importance.  C'est en tombant hier, presque au hasard, sur ce passage du Tractatus de Wittgenstein que Lautréamont/Ducasse m'est soudain remonté en mémoire :

    « 4.0621. Mais que les signes "p" et "∼p" puissent dire la même chose est important. Car cela montre que, dans la réalité, rien ne correspond au signe "∼"
    Que dans une proposition la négation apparaisse ne caractérise encore pas son sens (∼ ∼p = p)
    Les propositions " p" et " ∼p" ont un sens opposé, mais il leur correspond une seule et même réalité. »

    16 septembre 2024


    (La traduction utilisée ici est celle de Gilles-Gaston Granger.)

     

     

     

  • Machine (2)

    La machine en cours ayant (pour l'heure) deux narrateurs indépendants dispose de deux incipit.
    Mais un livre physique ne peut avoir qu'un seul incipit.

    10 octobre 2024

    Pour mémoire (tout étant amené à évoluer), les incipit ouvrent les parties intitulées (non respectivement, donc) : 17 et Le Livre de la Chance.

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  • Clairière ou précipice

    Les possibilités du langage me paraissent infinies et rien ne passe pourtant le roman (ce qu'on appelle encore ainsi par habitude) dont la fabrication est tellement attendue qu'elle a pris un tour industriel. Je m'en veux déjà (oh, modérément) de négliger les joies réelles de la composition (les règles étant posées, grâce auxquelles on concourt). Sur quels schémas bien établis nos pauvres esprits viennent-ils buter sans cesse ? Dès que l'on sort des sentiers battus et rebattus de la narration (qu'il ne s'agit pas, pourtant, d'abandonner), dès qu'on s'écarte trop de ce à quoi nous pouvons et nous mesurer et nous rassurer, nous nous trouvons perdu, sans plus de repères. Nous ne savons plus ; bientôt nous rebroussons ; et la facilité l'emporte.  Il faudrait pourtant se trouver comme chez soi dans ces endroits inexplorés ; et continuer d'avancer, s'enfoncer plus encore dans ce qu'on ne comprend pas et qui pourrait bien mener nulle part. Il y aura bien une clairière et tant pis si c'est un précipice.  If you're going through hell, keep going. Churchill.

    30 septembre 2024

  • Vinci trouvé, Vinci perdu

    J'ai revu il y a quelques semaines l'excellent documentaire d'Antoine Vitkine consacré au Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci, qui raconte comment un tableau découvert par hasard en 2005 et vendu 1175 $ frais d'adjudication compris est devenu en 2017 le tableau le plus cher du monde, vendu au prince d'Arabie Saoudite Mohammed Ben Salmane (MBS) pour la somme de 400.000.000 $. Un vendeur en Louisiane, une acheteur new yorkais, la National Gallery de Londres, le Louvre, un oligarque russe, un arnaqueur d'art suisse, des entrepôts à Singapour, et le prince arabe convaincu par les voleurs de chez Christie's d'acheter un authentique Vinci (l'équivalent masculin de la Joconde et non une œuvre d'atelier). Tableau que nul n'a revu depuis son acquisition ; et dont nul ne sait avec certitude où il se trouve. Roulé, le prince musulman aurait emprisonné son Christ, sauveur du monde et faux vrai Vinci.

    En refermant la passionnante et très riche biographie de Léonard par Serge Bramly (Lattès, 1982), je m'aperçois qu'il n'a été question à aucun moment (sauf erreur de ma part) de ces Salvator Mundi d'atelier (quelques historiens, manifestement depuis 1982, ont lancé l'idée qu'il existerait peut-être un original de la seule main du Maître ; original qui a fini par être inventé dans les fascinantes années 2000-1010). Et pourtant Bramly ne fait pas mystère de la prodigieuse incapacité (il est également parfois empêché par les évènements politiques) de Vinci à finir ce qu'il a commencé. 

    18 septembre 2024