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descartes

  • Descartes, Pascal, Brisville

    Dans Le Souper, Brisville mettait face à face, un mois après la défaite de Waterloo, dans un Paris occupé par les Anglais, les Prussiens et les Russes, Talleyrand et Fouché. Il était tenu par l'Histoire à faire s'entendre ces deux tordus de talent. On ne sent pas d'ailleurs qu'il prenne davantage le parti de l'un que celui de l'autre.
    Dans L'entretien de M. Descartes avec M. Pascal le Jeune, en revanche, l'auteur n'est tenu à aucune conformité historique ; seuls les ouvrages et biographies des deux penseurs lui tiennent lieu de guide. Volonté ou non, la pièce nous somme de choisir entre deux penseurs aux idées et aux actions si différentes (en ces matières je suis très volontiers Péguy et tiens qu'il faut comparer les idées aux idées et les actions aux actions). Je ne pensais pas si nettement pencher pour René Descartes (d'autant que j'ai vraiment beaucoup lu Pascal, dont l'édition Le Guern des Pensées m'a servi souventefois de livre de chevet) ; je pourrais en accuser un peu la façon dont Brisville traite Pascal, mais je crois que ce ne serait pas juste. Pascal en effet y apparaît d'abord comme une manière de jeune janséniste forcené, souffreteux et reniant la raison pour le salut de son âme, et cela fait surtout comprendre que le désordre des Pensées nous permet de lire le Pascal que nous souhaitons, et de sortir à volonté tel morceau de tout contexte et de le faire entrer en résonnance avec ce que nous « pensons », nous. Descartes est moins commode à utiliser à son gré, puisqu'il a abouti ses grands ouvrages. L'homme Descartes a vécu davantage ; il est prudent et réfléchi et sait qu'il n'est pas courageux tous les jours. Le champion de la raison cultive le désœuvrement et rappelle que sa science lui est venue d'une série de trois rêves ; quant à son dieu, il est si pensé qu'il ne ressemble point à celui dont témoigne Pascal.

    « PASCAL. Ainsi, vous ne feriez rien pour convaincre un interlocuteur de bonne foi ?
    DESCARTES. J'abandonne ce soin à mes travaux qui sont chez le libraire, et me garde ma liberté. Il n'est rien tant à quoi je tienne. »

    S'il faut trouver un point commun aux deux personnages de L'Entretien Brisville, ce serait cette étrangeté qui fait qu'aucun des deux ne recherche la gloire et même que tous deux, quoique fort différemment, la fuient.

    20 janvier 2025

    Jean-Claude Brisville, Le Souper, suivi de L'Entretien de M. Descartes et de M. Pascal le Jeune, et de L'Antichambre, Babel Actes Sud

  • Le maillon manquant

    Deux faits.

    1. J'ai fait un petit billet ici, il y a quelque temps, sur l'emploi chez Descartes, dans le Discours de la méthode, à propos du suspens ou de la réduction, du verbe feindre.

    2. J'aime citer depuis longtemps le mot de Basil Bunting cité par Ezra Pound dans son ABC de la lecture :
    Dichten = condensare.

     

    Je n'aurais jamais pensé à lier entre eux ces deux faits sans le magnifique Livre des amis d'Hugo von Hofmannsthal (publié aux éditions de la Coopérative par Jean-Yves Masson, éditeur et traducteur) :

    Ecrire (dichten) = feindre* = to feign

    Jean-Yves Masson ajoute en note : « Hofmannsthal pense ici à l'étymologie des verbes français et anglais "feindre" et "to feign", dérivés du latin "fingere" qui signifie originellement "modeler, façonner", puis "imaginer", d'où provient aussi le mot "fiction". Le verbe "dichten" s'applique à la création littéraire en général, même s'il s'applique surtout à la poésie ("der Dichter peut désigner "l'écrivain").  »

    L'astérisque signifie que le verbe feindre est écrit en français par Hofmannsthal. Ce qui signifie donc, sauf erreur de ma part, que l'aphorisme d'Hofmannsthal est écrit en trois langues :

    Dichten = feindre = to feign 


    Je ne tire pas les conclusions.

     

  • Feindre donc, Descartes

    I could be bounded in a nutshell and count myself a king of infinite space.
    Hamlet, dans Hamlet, de Shakespeare

    Il m'a pris cet été, disons début juillet, de lire Le discours de la méthode. Je pourrais dire relire, mais comme il ne m'en restait rien, hors le célèbre mot, je crois que lire est plus juste. 

    Je me suis aperçu fin août que beaucoup de ce qui y est dit était déjà tombé dans un relatif oubli et qu'il me fallait faire un effort important pour me ressouvenir de certains détails ; ces souvenirs à leur tour me semblent mal formulés, puisqu'ils le sont à ma sauce (et non point dans la langue si belle, à y bien regarder, de Descartes).

    Depuis deux semaines, je promène le livre dans la poche intérieure de ma veste. Je relis souvent les trois ou quatre premières parties. M'a frappé l'autre jour à quel point dans la quatrième partie, celle du fameux cogito en français, qui commence comme commencerait une lettre, le verbe feindre était important.

    Et si je résume d'un arc étrange la chose, c'est à cause que nos sens nous trompent, que Descartes se résout de feindre que toutes choses qui lui étaient jamais entrées dans l'esprit, n'étaient non plus vraies que les illusions de ses songes. Puis l'auteur entre dans la clairière du premier principe de sa philosophie : Je pense, donc je suis.

    Il faut feindre pour n'être point trompé. (Feindre n'est pas réduire, suspendre, moins encore... l'épochè.) Le bretteur Descartes a-t-il jamais hésité entre feindre et feinter ?

    Il est certes, mais cet être non parfait se sait tel parce que l'idée de perfection, rien ne venant de rien (comme dit aussi le roi Lear), a été mise en lui une nature qui fût véritablement plus parfaite : mesdames et messieurs, sous vos applaudissements : Dieu.

    Amo ergo sum, and in just that proportion. Dit Ezra Pound au Canto LXXX. 

    18 octobre 2024

     

     

     

     

  • La nuit

    J'écris la nuit dans le noir, sans doute même en dormant.
    Je développe des textes dans au moins trois chapitres en cours de la enihcam, dont un qui tisse quatre trames différentes.
    J'écris aussi de petits billets pour ce carnet, dont celui-ci, un autre sur Culture du vide de Dalrymple, un autre autour de Descartes.
    Sans compter diverses bricoles pour le travail (alimentaire).
    J'ai l'impression que mon cerveau, qui n'avait pas été d'abord, formé à cela, s'est très bien adapté à la fragmentation moderne.
    Le problème est que je n'ai pas le temps d'écrire physiquement le jour ce que j'ai écrit mentalement la nuit.
    Il y a un reste, qui évolue constamment d'ailleurs, perte incluse.

    18 octobre 2024

  • Pour une Rencontre avec Monsieur Teste

    Monsieur Teste est un livre auquel je reviens souvent.

    Sa brièveté permet de le relire sans trop d'efforts dans la journée.
    D'autant que l'édition finale non posthume s'arrêtait à la Lettre d'un ami et ne comprenait pas les cinq derniers textes ajoutés.
    80 petites pages. Et encore, en 1896, Valéry publie la seule Soirée avec M. Teste.
    Une quinzaine de pages.

    Il est difficile de se représenter aujourd'hui quelle éducation permet, à son sommet, à un jeune homme de 25 ans de produire un tel texte. Sans vergogne aucune, je lui ai emprunté pour un des chapitres de ma machine son incipit à Descartes : Vita Cartesii est simplissima...

    « Monsieur Teste n'avait pas d'opinions. Je crois qu'il se passionnait à son gré, et pour atteindre un but défini. »

    Monsieur Teste vit de médiocres opérations hebdomadaires à la Bourse. Mais surtout, c'est un homme de la nuit, et si Valéry le dit en passant, et n'y revient pas, il donne en une information importante :

    « Je ne l'ai jamais vu que la nuit. Une fois dans une sorte de b...; souvent au théâtre. »

    Si l'on admet que cette dernière phrase respecte la chronologie, Edmond Teste et le narrateur se sont rencontrés au bordel. La Lettre de Madame Emilie Teste ni rien ensuite dans le livre comme dans les éléments posthumes ajoutés n'y revient. C'est bien dommage. Quel Monsieur Sexe pouvait bien devenir Monsieur Tête (sic) ? Imaginer Monsieur Teste et son double au bordel, ce serait quelque chose, tout de même.

    5 octobre 2024

    Paul Valéry, Monsieur Teste, Gallimard, L'Imaginaire