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Science

  • Autour du *Problème à trois corps* de Liu Cixin (et finalement d'Elon Musk)

    Notes prises au vol (avec une chute partie en c.acahouète).

    Si la planète Trisolaris a trois soleils, alors il y a en termes gravitationnels un problème à quatre corps, non à trois. Sans doute est-ce là un clin d'œil à Dumas, dont les trois mousquetaires étaient quatre.

    Page 32 du Problème à trois corps de Liu Cixin, ce paragraphe résume sans doute la pensée d'une héroïne (Ye Wenjie), mais pas seulement :
    « Il était bien possible que toutes les actions humaines soient mauvaises par nature et que différentes personnes puissent démasquer différentes sortes de mal. L'humanité ne saurait jamais atteindre une véritable conscience morale, de la même manière que l'homme ne pouvait s'élever du sol en tirant sur ses propres cheveux. Pour réussir, il fallait l'aide d'une force extérieure à l'homme. »
    Voilà qui sonne étrangement ufo-gödelo-catholico-compatible. Ufo l'emporte d'évidence.
    Mais le catholicisme semble combattre en seconde ligne (je le dis depuis ma lecture en cours du second tome La Forêt sombre, qui confirme). Quand Wang Miao, désorienté, erre en auto puis à pied, lève la tête pour voir où l'a mené son subconscient, il est assis devant l'église Saint-Joseph de Wangfujing.

    Le roman s'ouvre en 1967 sur des scènes d'une grande violence perpétrée par les sicaires, parfois encore adolescents, du cher Mao Zedong.  Comment cela a-t-il pu passer la censure (Liu Cixin étant un vrai Chinois de Chine) ? Sans doute parce que la Révolution culturelle, s'éloignant dans le temps, pouvait commencer à être critiquée en Chine ; sans doute aussi parce que la SF était encore considérée comme un genre mineur, pas digne d'intérêt (le livre a d'abord paru en feuilleton en 2006)... 
    (Se pourrait-il alors que le succès de Liu Cixin rende la tâche plus ardue à ses successeurs ?)
     
    Ce qui est vraiment plaisant dans ce roman, outre l'intrigue scientifique (avec ses défauts de construction qui me sont vraiment plus sympathiques que tous les arcs narratifs convenus de la production thrilleresque lyophilo-américanisée), c'est de voir le monde par les yeux d'un écrivain chinois cultivé ; et que le salut du monde, s'il est possible, ne pourra venir que des développements scientifique, technologique et économique passés au crible organisationnel militaire. Autant dire que l'intégralité des choses qui requièrent notre attention politique ici, dans le bas marigot d'une classe d'abrutis et de traîtres, n'a aucune espèce d'importance. Il n'est question, après tout, que de la domination du monde (corollairement, de la ruine financière et de la mise au pas politique de ceux qui seront dominés).
     
    Le truc malin de Liu est donc d'éviter la guerre mondiale annoncée USA(OTAN)/Chine en créant une coalition mondiale de toutes les nations contre les Trisolariens, qui veulent exterminer les Terriens pour tout simplement prendre leur place ; l'intrigue ufologique n'est rien moins que la voie de la métaphore. Qui sont-ils donc, les Trisolariens ?
     
    Leo Strauss, il m'en souvient, pensait que Thucydide ne pouvait ouvertement dire dans La guerre du Péloponnèse que les institutions de Sparte lui paraissaient plus solides et durables que celles d'Athènes ; puis la défaite d'Athènes entraîna un long naufrage de la pensée...
     
    Pour terminer sur une note gentiment polémique, je citerai l'ami Joan Larroumec faisant (le 4 octobre 2025) le constat de l'importance du pourtant peu sympathique et légèrement psycopathatique Elon Musk : 
    «Les 5 entreprises non cotées les plus valorisées du monde : 1. OpenAI 500 milliards de dollars. 2. SpaceX 400 milliards de dollars
    3. ByteDance 330 milliards de dollars. 4. Anthropic 183 milliards de dollars. 5. xAI 113 milliards de dollars.
    Open Ai, Space x et xAI fondées par Musk. Anthropic fondée par Dario Amodei, recruté chez Open Ai sur demande et grâce à Musk.
    Musk est a l’origine des 4/5e des 5 plus grandes entreprises non cotées de la planète.
    On peut aussi dire sans exagérer deux autres choses :
    - aujourd’hui les seules industries de pointes américaines à grande échelle qui tiennent tête à la Chine ce sont Tesla et Space X.
    - la renaissance de l’IA n’aurait jamais eu cette ampleur si Musk n’avait pas à lui tout seul décidé de défier le monopole de Google.
    Ainsi, une énorme partie de ce qui fait que les Etats-Unis sont encore dans la course à l’hégémonie repose sur un seul homme.
    Qui a bien sûr bénéficié de l’écosystème historique de la Californie, des multiples milliardaires qui la peuplent, des grands plans du gouvernement américain, de budgets publics, du plus gros marché de consommateurs de la planète, etc. »
     
    Heureusement, nous avons Sébastien Lecornu II. Et tous les autres débiles. (Dont Mélenchon, seul djihado-maoïste conséquent.) Il n'y a pas que l'hégémonie mondiale, dans la vie.
     
     
    15 octobre 2025
     
     
     
     
  • Les Physiciens, de Friedrich Dürrenmatt

    A moins que ce ne soit nous, la pièce (écrite en 1962) a quelque peu vieilli : elle vient d'un temps où la guerre nucléaire totale, je crois, faisait peur. Elle ne fait plus peur ; sans doute s'habitue-t-on. 

    Les 21 points à propos des Physiciens, à la fin de l'ouvrage, ont une portée qui passe la pièce ; le premier d'entre eux, par exemple :
    « Je ne pars pas d'une thèse mais d'une histoire. »
    C'est une évidence à rappeler, de nos jours. Le cher Dürrenmatt lui-même ne la formule peut-être que parce que, dans Les Physiciens, la thèse l'emporte (ou du moins le dispute fortement à l'histoire).

    La pièce se présente d'abord comme une enquête policière. Dans le luxueux sanatorium (plutôt une clinique psychiatrique, de fait), institution luxueuse et privée, on a assassiné une infirmière. Et ce n'est pas la première fois. Les assassins, ou les patients comme il est relativisé parfois, se trouvent être Einstein et Newton. Ou des fous qui se prennent pour eux.

    Mais la pièce tourne à l'affaire d'espionnage, Einstein et Newton étant de vrais faux patients (mais de vrais assassins) et de vrais physiciens-espions chargés de surveiller un nommé Möbius, physicien lui aussi, et le plus brillant des trois, afin de lui voler ses travaux, pour le compte des puissances antagonistes pour lesquels ils travaillent. Or Möbius s'est réfugié dans la clinique afin justement que ses travaux ne puissent servir, et donc probablement participer à la destruction de la planète.

    Il y aura d'autres surprises encore. Si la thèse l'emporte tout de même sur l'histoire, cela n'empêche pas, fait rarissime, la pièce d'être drôle.

     

    10 octobre 2025

    Dürrenmatt, Les Physiciens, L'Arche, traduction de Cécile Delettres, 2014

  • Après la finitude

    Meillassoux enfonce toute la philosophie depuis Kant (si l'on excepte une concession de complaisance universitaire à Badiou). Ce monsieur est décidément le saboteur de la Continentale !
    Prenons une métaphore imbécile : dans un exercice de peinture de plafond, les mathématiciens ont enlevé l'échelle il y a bientôt 400 ans, et les philosophes continuent de prétendre qu'ils sont quand même accrochés au pinceau. (Sans s'apercevoir jamais que plus personne, sauf eux-mêmes, ne peut les prendre au sérieux.)


    En somme, depuis Galilée et Copernic et la mathématisation de la nature, qui permet que soient pensées des choses en soi, parfaitement indifférentes à l'existence même d'êtres humains, et partant des temps mêmes d'avant l'apparition de la vie (sans parler de celle de la conscience), les philosophes n'ont pas cessé de développer des pensées nécessitant de conserver ce sujet sans lequel aucun étant ne pourrait vraiment être ; c'est à-dire que leur pensée suppose toujours, d'une façon ou d'une autre, que les choses ne peuvent être que pour le bonhomme qui les pense. (Meillassoux dit en somme qu'au moment où les scientifiques élargissaient considérablement le cadre, les philosophes, voulant les dépasser plus encore que leur emboîter le pas, en sont revenus à Ptolémée ! Et tout ça en déployant des trésors d'intelligence et d'inventivité !)
    400 ans de ratage ; 1900 ans de retard.
    Sa démonstration est des plus importantes, mais il faut 115 pages serrées à Meillassoux pour en arriver à ce que chacun sait, sauf les philosophes : que les choses existent en-dehors de nous et de notre perception ; mais au moins, c'est fait.


    Le livre de Meillassoux propose donc de repartir de Descartes (puis de Hume), de maintenir l'absolu qui ne sera plus ici Dieu ni rien de métaphysique, mais la contingence elle-même (je résume à la machette).
    L'erreur logique des philosophes fut donc de supprimer l'absolu au motif que la métaphysique en supposait un (Dieu par exemple), sans comprendre que cela ne signifiait pas nécessairement que tout absolu fût métaphysique. Et de bâtir là-dessus tout l'édifice, soutenu toujours de cette prétention démesurée qui ricane une manière de oui, oui, les mathématiciens ont bien raison à leur niveau mais nous, les philosophes de droit divin malgré nous, nous savons parfaitement en déduire exactement l'inverse !

    Après la finitude demanderait sans doute à ce que la suite véritable ne consiste pas surtout en une réfutation interminable des erreurs du passé, mais je crois que personne ne parviendra à lâcher complètement l'universitaire pinceau continental pour se jeter ainsi dans le vide (si je file un peu ma métaphore). 

    8 mars 2025

    Quentin Meillassoux, Après la finitude, Seuil, 2006

  • Exclure l'exclu

    J'étais en train de sécher lamentablement dans la section qui de ma machine qui s'appelle Attractor-42.

    Pendant une pause technique (pisse, café), j'ai lancé (je ne sais pourquoi) en fond sonore la seule interview de Dantec que je trouve intéressante (celles à la télé française sont catastrophiques), qui est celle donnée dans une bibliothèque, la nuit, à Montréal. 

    Et j'ai repris mon lamentable séchage, ou plutôt, la saisie sur ordinateur de mes insuffisances manifestes. Quand tout à coup Dantec a causé d'Aristote (en mal) et de tiers inclus. Et de Maistre (Joseph de) et de réversibilité (ma lecture des Soirées de Saint-Pétersbourg commence à sérieusement dater). J'ai remonté la bande d'une minute. Ah mais je suis bien d'accord, qu'on ne peut parvenir à rien dans la vie avec le tiers exclu. 

    J'ai jeté quelques mots dans un moteur de recherche, et je suis tombé sur Lupasco. Je me suis demandé si Dantec avait lu Lupasco. On ne sait jamais, avec lui (il n'y a pas qu'Abellio), dont la bibliothèque était un arsenal.

    J'ai résisté encore quelque temps à commander un bouquin de Lupasco. Je viens de le faire.

    25 janvier 2025

  • L'homme configuré

    Norbert Wiener dans Cybernétique et société en 1954 :

    « Il n'y a pas de distinction absolue entre les types de transmission que nous utilisons pour envoyer un télégramme d'un pays à un autre et ceux qui sont du moins théoriquement possibles pour transmettre un organisme vivant tel un être humain. Admettons donc l'idée selon laquelle nous puissions voyager par le télégraphe, outre le train et l'avion, n'est pas intrinsèquement absurde, aussi lointaine que puisse être sa réalisation. »

    Internet a évidemment succédé au télégraphe. 

    Wiener, auquel la bombe atomique a posé quelques soucis éthiques, a fini par comprendre que celle-ci n'était rien en comparaison des affres qu'ouvrait ce qu'il a nommé cybernétique. Je cite ci-dessous (comme d'ailleurs ci-dessus) le remarquable texte de 2014 de Cassou-Noguès, Les rêves cybernétiques de Norbert Wiener :

    «Wiener commence par opposer la mécanisation de l'humain, avec l'usine automatique, et l'humanisation de la machine, avec l'image de la prothèse. La machine doit se soumettre à la volonté humaine. La machine ne doit pas être usine mais prothèse. Seulement les prothèses ont, pour ainsi dire, mangé le corps humain. Elles en ont remplacé toutes les parties, de sorte que c'est finalement dans une machine que l'humain prétend s'incarner. Et justement, que reste-t-il d'humain dans le dispositif ? »

     

    22 janvier 2025