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Ciels de synthèse - Page 20

  • Pense-bête

    Le ciel est mon trône, et la terre l'escabeau de mes pieds. Quelle maison pourriez-vous me bâtir, et quel lieu assigner à mon repos ? Isaïe, cité par Barnabé.

    Le niveau critique est atteint, le XXème siècle a l'air d'une bluette, la réaction en chaîne a lieu, les catastrophes se succèdent et l'omission même de se reproduire ne sauvera pas l'humanité d'un accomplissement criminel total. On n'a encore rien vu et justement, on ne verra rien.

    "Je veux vous entretenir encore du Temple, de l'erreur de ces malheureux qui mettaient leur espérance dans un édifice, au lieu de la mettre en Dieu leur créateur, sous prétexte que cet édifice était la maison de Dieu." C'est ce que dit dans sa Lettre saint Barnabé, le compagnon de saint Paul, à moins que ce ne soit plus probablement un pseudo-Barnabé au IIème siècle après Jésus-Christ.

    Cependant je reporte à descendre me ressouvenir du merveilleux futur où toute réalité sûre est dissoute. (Il faut être fou pour y descendre ; remonter n'est pas du tout certain.) Ma compagne m'a l'autre jour offert un crucifix que j'avais trouvé beau dans une brocante, parce qu'il m'évoquait Rouaud, et aussitôt l'idée m'a traversé de le placer devant mon bureau pour ces moments où, écrivant, je relèverai la tête ; pas un objet de superstition, un pense-bête.

    14 septembre 2023

     

  • 1948

    En 1948, George Orwell écrit 1984, qui sera publié en 1949 ; en 1948 toujours, son ancien professeur de français, Aldous Huxley publie Ape and essence, bientôt traduit par Jules Castier sous le titre, emprunté à Victor Hugo comme celui de l'auteur l'est à Shakespeare, Temps futurs. Une des originalités notoires de ce dernier livre est qu'il se présente, après un bref chapitre relevant du roman, comme un scénario de cinéma. L'extrait qui suit, passage intégral de la voix off, est un merveilleux apologue prophétique :

    "LE RECITANT
    La Morve, mes amis, la Morve - maladie peu commune chez les humains. Mais, n'ayez crainte, la Science peut aisément la rendre universelle. Et en voici les symptômes. Des douleurs violentes dans toutes les articulations. Des pustules sur tout le corps. Sous la peau, des tumeurs dures, qui finissent par se changer en ulcères squameux. Cependant, la muqueuse nasale s'enflamme et dégage une décharge abondante de pus nauséabond. Il se forme rapidement des ulcères à l'intérieur des narines, lesquels rongent l'os et le cartilage environnant. L'infection passe du nez dans les yeux, la bouche, la gorge et les ouvertures bronchiales. Au bout de trois semaines, la plupart des malades sont morts. S'assurer que tous mourront, telle a été la tâche de quelques-uns de ces brillants docteurs ès sciences actuellement au service de votre gouvernement. Et non pas de votre gouvernement seul ; de tous les autres organisateurs, élus ou désignés par eux-mêmes de la schizophrénie collective du monde. Les biologistes, les pathologistes, les physiologistes - les voici, après une journée ardue passée au laboratoire, qui rentrent dans leur famille. Une étreinte de la gentille petite femme. Des ébats avec les enfants. Un dîner tranquille avec des amis, suivi d'un concert de musique de chambre ou d'une conversation intelligente sur la politique et la philosophie. Puis le lit, à onze heures, et les extases familières de l'amour conjugal. Et le lendemain matin, après un jus d'orange et des grapenuts, les voilà qui repartent à leur travail, qui est de découvrir comment un nombre encore plus grand de familles exactement pareilles à la leur pourra être infecté par une souche encore plus mortelle de bacillus mallei."

  • Antipodes du bref

    Le conseil de l'éditeur et écrivain Jean-Pierre Montal, trouvé sur un réseau social, m'a fait lire Le chef de gare Fallmerayer de Joseph Roth, qui est vraiment une nouvelle parfaite, tendue vers sa fin, écartant tout sur son passage, la première guerre mondiale, la révolution russe. Entre ce petit livre-ci et le dernier texte écrit par le même Joseph Roth, La légende du saint buveur, j'ai lu A Paris, de Georges de La Fuly. C'est tout l'inverse ici, on ne sait jamais d'où l'auteur part ni où il va, le souvenir gouverne, avec heurts, retours, motifs, digressions, entrelacs. Des mots enfin sont mis sur quelques sensations chez moi présentes et qui n'accédaient pas au langage. Il y a des pages à pleurer. La Fuly, monstre de sensibilité, génie de la notation. A l'inverse de nouveau, La légende du saint buveur est une parabole merveilleuse, droite et limpide et dont la conclusion logique ne lève pas le mystère.

    9 septembre 2023

     

    Le chef de gare Fallmerayer, Joseph Roth, traduction de Suzanne Alexandre, éditions Sillage, 2023

    A Paris, Georges de La Fuly, éditions de La Fuly, 2022

    La légende du saint buveur, Joseph Roth, traduction de Maël Renouard, éditions Sillage, 2016

  • Roman non romanesque

    Sous les ciels de synthèse est un roman assez court. Au lecteur qui ne s'y perdra pas, il doit permettre d'entrer dans le plus fort volume, j'espère, que sera La grande guerre de solidarité (GGS). J'imagine un rapport de proportion du type Bilbo/Le Seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien.

    Tout est parti d'une commande (les premières conversations ont lieu en 2017) de mon ami Fred Pougeard, conteur et poète, qui voulait, en somme, une épopée, dans le futur. Pour la dire, sur un plateau de théâtre, accompagnée du musicien Renaud Collet. C'est donc venu de fort loin du roman.

    Cette première écriture, commencée à l'été 2018, a porté des contraintes qui  sont demeurées, mais qui n'auraient pas été si je me fusse lancé directement dans un roman : un narrateur unique ; le moins de descriptions possibles, et des descriptions les plus brèves possibles s'il en faut vraiment ; et surtout, aucune explication du fonctionnement d'appareils technologiques qui n'existent pas encore ; mieux, aucun terme technique neuf. 

    Le texte initial était trop long pour le plateau : il fallait couper. Dans le même temps, Fred Pougeard et moi avons beaucoup discuté de cette premier version, des éclaircissements se sont avérés nécessaires et de nouvelles idées sont venues, ce qui fait que la direction de mon travail s'est réalisée simultanément dans les deux sens opposés : d'un côté, je coupais ; de l'autre, j'ajoutais. Mais surtout, certains éléments nouveaux entraient aussi dans la version plus courte.

    Pour donner une idée chiffrée, la version initiale de 2018 fait 19.000 mots ; la version pour la scène, jouée en 2020 : 7.500 ; le roman achevé en 2023 : 45.000.

    6 septembre 2023

  • Nadeuques

    Les quelques personnes qui ont lu Lettre ouverte à l'Intendant du Domaine, paru en 2020, seront peut-être surpris de retrouver les étranges et inquiétants Nadeuques dans le contexte historique très différent de Sous les ciels de synthèse ; elles s'étonneront peut-être que cette peuplade barbare, qu'on trouvait dans les temps passés, ait survécu jusques aux temps futurs ; mais n'est-ce pas à cela justement que servent la barbarie, les invasions ?

    Le fait est que j'ai commencé d'écrire Sous les ciels de synthèse en Angleterre, l'été 2018, un avant donc que je n'entreprenne la Lettre à l'Intendant, l'été d'après, entre Bruxelles et Paris. Les Nadeuques ont donc commencé leur carrière littéraire dans le futur, avant de remonter le temps ; seuls des peuples de fiction peuvent se permettre un tel luxe.

    Vers la fin de la Lettre, le narrateur se proposait de tuer des Nadeuques sans autre forme de procès, et quelques journalistes me prêtant sa position et désireux peut-être que ces Nadeuques valussent pour un autre peuple dans la réalité, m'ont gentiment signifié refuser d'écrire un papier, ce qui revient exactement à ne pas prendre en compte le sujet fondamental du livre, qui est la perversion du pouvoir (l'Intendant) ; et ses effets désastreux. La lecture est un art plus que jamais difficile.

    4 septembre 2023

     

    Lettre ouverte à l'Intendant du Domaine, Pascal Adam, Le Réalgar, 2020