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IA - Page 3

  • 7 octobre

    Le matin du 7, jour de l'attaque du Hamas contre Israël qui a fait 1200 morts essentiellement civils, est arrivé par la poste Rêve de fer de Norman Spinrad, écrit en 1972. Quelques jours auparavant, mon amie Lucie Boscher, pas vue depuis plusieurs mois, a repris contact. Le roman de Spinrad se passe dans un monde parallèle au nôtre, dans lequel, semble-t-il, la seconde guerre mondiale n'a pas eu lieu, puisqu'Adolf Hitler a émigré aux Etats-Unis dans les années 1920. Il y est devenu illustrateur puis auteur de science-fiction. Ses idées, les mêmes que celles du Hitler de notre monde, ont été déclinées dans une série de romans, dont le dernier, Le Seigneur du Svastika, lui a valu le prix Hugo à titre posthume en 1954. Le roman de Spinrad Rêve de fer est intégralement et exclusivement le roman du Hitler de science-fiction. Lucie et moi sommes convenus de nous voir la semaine suivante ; je rouvre le fichier d'Esther, un monologue écrit pour elle, adaptation libre du Livre d'Esther de la Bible ; fichier auquel je porte quelques corrections que j'avais jusque là repoussées. Il est midi et je n'ai pas encore lu les informations du jour (je ne les écoute ni ne les regarde). La phrase ajoutée à mon texte (c'est un personnage qui parle, dirais-je en imitant Molière en son Tartuffe, et pour les mêmes raisons) : "Ceux qui veulent te tuer, s'ils veulent vraiment te tuer, tue-les avant qu'ils n'aient levé la main sur toi."

    13 octobre 2023

     

  • Chateaubriand vole vers Mars

    Jusqu'à cet été, je n'avais pas lu Le meilleur des mondes, par préjugé positif autant que par paresse. (Grande est l'étrangeté de se sentir avoir été influencé par un livre qu'on n'avait pas lu.) S'il est vrai qu'une grande partie des conditionnements par incessante propagande décrits dans ce roman ont été réalisés, ou sont sur le point de l'être, avec notre assentiment désormais sans valeur, l'idée qu'il se puisse rencontrer aujourd'hui un Sauvage qui ait lu Shakespeare, tout Shakespeare et rien que Shakespeare est encore plus improbable qu'elle ne l'était en 1931 (écriture) ou 1932 (édition). 

    Les deux pages de la préface d'Huxley à l'édition française sont tout à fait frappantes par l'importance qu'elles donnent à la langue : "Tout livre est le produit d'une collaboration entre l'écrivain et ses lecteurs." Plus loin : "Certains passages de ce volume appartiennent à la catégorie des choses intraduisibles. Ils ne sont pleinement significatifs qu'à des lecteurs anglais ayant une longue familiarité avec les pièces de Shakespeare et qui sentent toute la force du contraste entre le langage de la poésie shakespearienne et celui de la prose anglaise moderne." Il se peut que le fantôme de William Shakespeare soit le personnage principal du meilleur des mondes... Pour le titre, Jules Castier a fait l'excellent choix d'emprunter à Voltaire pour rendre ce qu'Huxley empruntait à Shakespeare.

    A l'heure de l'écriture de ce roman, la langue anglaise avait déjà grande puissance, mais elle n'avait pas déclassé définitivement la langue française, même dans les disciplines scientifiques (les publications des physiciens, par exemple, se feront dans la langue de Molière jusqu'en 1960 ou 61) et je me demandais quel équivalent français je choisirais, dans un roman d'anticipation de 2023 ou 2033, pour faire sentir la force du contraste entre son langage et la prose française moderne. Plutôt que sur un dramatiste (mot vieilli), le préférant à Saint-Simon (dont l'époque est malgré tout trop une et stable), à Balzac (mais j'aurais pu), à Proust (trop intime malgré que la politique y passe), à De Gaulle (trop César), j'ai arrêté mon choix sur Chateaubriand, aventurier doté d'un sens moral, parce que la fracture qu'il enjambe entre l'Ancien Régime et le monde moderne me semble comparable non seulement au passage du Moyen Âge à la Renaissance dont rend compte Shakespeare, mais aussi au passage de notre époque post-un-peu-tout à l'advenue du monde de l'Intelligence Artificielle. 

    Imagine-t-on François-René de Chateaubriand voler vers Mars, passant dans une capsule métallique à travers l'immensité noire et morte, le silence éternel des espaces infinis ? Après tout, il a vu à vingt-et-un ans la prise de la Bastille, il s'en est allé seul chercher en vain le mythique "passage du Nord-Ouest" et vivait à vingt-trois avec les Indiens d'Amérique une vie à la Fenimore Cooper, avant de revenir pour une guerre perdue d'avance...

    Entre les deux passages déjà cités de la préface à l'édition française du Meilleur des mondes, celui-ci, magnifique :

    "Sans les habitudes appropriées de langage et de pensée, sans la familiarité nécessaire avec une littérature classique, le lecteur ne percevra pas ce que j'appellerai les harmoniques de l'écriture. Car ainsi qu'un son musical évoque tout un nuage d'harmoniques, de même la phrase littéraire s'avance au milieu de ses associations. Mais tandis que les harmoniques d'un son musical se produisent automatiquement et peuvent être entendus de tous, le halo d'associations autour d'une phrase littéraire se forme selon la volonté de l'auteur et ne se laisse percevoir que par les lecteurs qui ont une culture appropriée."

    22 août 2023