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roman - Page 2

  • Jetables

    Le roman sociologique européen a vécu. Certains auteurs français parmi les moins médiocres s'y échinent encore. Leurs livres sont au mieux prenants, le temps de la lecture. Ils n'en demeurent pas moins jetables : on ne les lira pas deux fois, si même on va au bout. Les lecteurs qui les lisent s'identifient mollement aux personnages un peu falots qui hélas leur ressemblent, et sont plus ou moins politiquement d'accord avec ces auteurs qui, tout de même, exagèrent, les coquins (mais "c'est pour ça, comme Houellebecq, qu'on les aime...").

    (Who ails tongue coddeau, aspace of dumbisilly? Joyce, Finnegans Wake)

    Le roman a donc l'air d'une survivance du XIXème siècle, considérablement affaiblie par ses propres mutations dans le cours du temps, survivance à laquelle nous serions tenus, faute de quoi que ce soit d'autre ; c'est un miracle déjà qu'il ait tenu jusqu'aux années 1960 (sa persistance depuis est un fait de commerce et d'habitude). Chaque succès, chaque publication même, a l'air d'un enterrement au cours duquel on fait l'éloge de la probe originalité du défunt ; mais cet éloge et cette originalité sont également convenus.

    17 octobre 2023

     

  • Relativisons

    La probabilité qu'un roman publié soit mauvais est, disons, de 99,9%. Je devrais donc laisser là le mien. Tout le monde devrait laisser là son livre et aller prendre l'air. Et ne surtout pas se réjouir s'il est publié. Comme si cela ne suffisait pas d'avoir perdu mon temps à l'écrire, je voudrais sans vergogne que d'autres perdent leur argent pour lui.

    Les livres vraiment trop mal écrits ne seront pas publiés : la médiocrité a son plancher ; qui, certes, année après année, descend. Le plafond descend avec, d'ailleurs : ce qui tend à faire que les très bons livres n'ont plus aucune chance d'être publiés ; ni même, désormais, les simplement intéressants. C'est pour ces derniers que c'est le plus embêtant, les très bons livres n'ayant en réalité, au vu de ce qu'auront lu les auteurs, presque aucune chance d'être écrits. Et tout le reste est relativisme.

    21 octobre 2023

  • La peau sur la table, de Marion Messina

    Ce court roman (à maints endroits, on se demande pourquoi Messina n'a pas plutôt écrit un essai socio-politique) s'intéresse à des personnages banals, appauvris et paumés, que la politique et l'économie broient. Il s'y dit en somme que le fascisme revient par le centre de l'échiquier ; et qu'il va vaincre. (Partager partiellement cette opinion m'a certainement permis d'aller au bout du livre.) Les personnages (les "lambdas" comme la présidente de la République) sont bien choisis, avec leur généalogie précise et leur situation fouillée, mais aucun n'est doté d'une intériorité réelle, même croupion (sauf peut-être Paul). Toutes ces silhouettes seront fracassées, sauf la présidente.

    La peau sur la table tient beaucoup du journalisme de qualité (mais qui prophétise ce qui est déjà là) et pas assez du roman. Surtout, c'est trop court (et j'en espère presque que ce soit la faute de l'éditeur) et l'action principale est étouffée : sans vue d'ensemble, politique ou même topologique, la révolte en cours, à moins que ce ne soient les prodromes d'une révolution, ne nous parvient que par bribes, mangée par les généalogies intimes et sociologiques des personnages, ce qui constitue un véritable défaut de composition.

    Cette brièveté est frustrante, et nous ne savons pas comment l'ordurerie politique en cours va continuer, l'auteur se refusant à entrer de plain pied dans l'anticipation. Et cette Christiane qui apparaît à la dernière page, pourquoi n'avons-nous pas eu son parcours ? Comment est-elle arrivée là ? 

    14 octobre 2023

     

    La peau sur la table, Marion Messina, Fayard

     

     

  • Bascule (Jack Barron et l'éternité, de Norman Spinrad)

    Au moment de bascule du roman, Jack Barron a pour ainsi dire en main tous les éléments : un certain nombre de crimes sont directement liés au traitement médical révolutionnaire du milliardaire et fabricant de chefs d'Etat Benedict Howards, traitement que sa compagne et lui-même doivent, et veulent aussi, recevoir. Howards a même tenté de faire assassiner Barron quand il a compris quels liens ce dernier avait établis. Eh bien, sachant tout cela, que fait-il donc, ce Jack Barron ? Il fait la chose la plus stupide, et partant la plus humaine, qui se puisse imaginer : il se rend, au surplus avec sa compagne, recevoir ce traitement et participer ainsi lui-même du crime ignoble qu'il avait découvert. Là tient, je crois, une part du talent de Spinrad (après, tout de même, m'être demandé s'il ne merdait pas un peu, là) : tous les éléments sont en possession du héros, mais, soit que dopé à l'adrénaline il s'embrouille dans son raisonnement, refusant de croire à telle énormité, soit que l'attrait du piège manifeste soit plus fort que sa raison, il court aussi volontairement que stupidement à sa perte ; et il n'y court pas seul.

    4 octobre 2023

     

    Jack Barron et l'éternité, Norman Spinrad, traduction de Guy Abadia, collection Ailleurs et demain, Robert Laffont, 1969

  • 1948

    En 1948, George Orwell écrit 1984, qui sera publié en 1949 ; en 1948 toujours, son ancien professeur de français, Aldous Huxley publie Ape and essence, bientôt traduit par Jules Castier sous le titre, emprunté à Victor Hugo comme celui de l'auteur l'est à Shakespeare, Temps futurs. Une des originalités notoires de ce dernier livre est qu'il se présente, après un bref chapitre relevant du roman, comme un scénario de cinéma. L'extrait qui suit, passage intégral de la voix off, est un merveilleux apologue prophétique :

    "LE RECITANT
    La Morve, mes amis, la Morve - maladie peu commune chez les humains. Mais, n'ayez crainte, la Science peut aisément la rendre universelle. Et en voici les symptômes. Des douleurs violentes dans toutes les articulations. Des pustules sur tout le corps. Sous la peau, des tumeurs dures, qui finissent par se changer en ulcères squameux. Cependant, la muqueuse nasale s'enflamme et dégage une décharge abondante de pus nauséabond. Il se forme rapidement des ulcères à l'intérieur des narines, lesquels rongent l'os et le cartilage environnant. L'infection passe du nez dans les yeux, la bouche, la gorge et les ouvertures bronchiales. Au bout de trois semaines, la plupart des malades sont morts. S'assurer que tous mourront, telle a été la tâche de quelques-uns de ces brillants docteurs ès sciences actuellement au service de votre gouvernement. Et non pas de votre gouvernement seul ; de tous les autres organisateurs, élus ou désignés par eux-mêmes de la schizophrénie collective du monde. Les biologistes, les pathologistes, les physiologistes - les voici, après une journée ardue passée au laboratoire, qui rentrent dans leur famille. Une étreinte de la gentille petite femme. Des ébats avec les enfants. Un dîner tranquille avec des amis, suivi d'un concert de musique de chambre ou d'une conversation intelligente sur la politique et la philosophie. Puis le lit, à onze heures, et les extases familières de l'amour conjugal. Et le lendemain matin, après un jus d'orange et des grapenuts, les voilà qui repartent à leur travail, qui est de découvrir comment un nombre encore plus grand de familles exactement pareilles à la leur pourra être infecté par une souche encore plus mortelle de bacillus mallei."