Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

claudel

  • Cabane dans un champ de concombres

    Je ne pense pas que le terme roman, qui est désormais essentiellement un marqueur commercial, puisse encore s'appliquer à ce que j'écris. 

    Lu, grâce à Sabine Huyhn, la traductrice d'Ann Sexton, poète que je n'ai jamais lu : « Content dominates, but style is the master.» Drôle d'exécutif bicéphale. A comparer avec cette remarque de Claudel, dans « Sur le vers français", in Réflexions sur la poésie. « L'intelligence n'est pas plus la vertu fondamentale pour un poète que la prudence pour un militaire¹. Elle est nécessaire en seconde ligne. Elle critique ce que tu fais.» [(1) « Ou la probité chez un entrepreneur de travaux publics. »]

    Je donne un nom à un personnage ; aussitôt j'en trouve vingt-deux sur les réseaux. Avec des têtes à vous couper l'imagination. Je trafique le nom, le chosifie.

    Je crois vraiment nécessaire l'alternance dans le même texte de proses ressortissant des «deux éducations ». A la violence manifeste, qui attirera évidemment sur elle l'attention, doit répondre, selon le mot de Leo Strauss, la noble réserve et la calme grandeur. Quitte à ce que ces dernières demeurent incomprises...

    Je ne faisais que peu de différences entre drame et poème, ce qui me valait l'incompréhension des deux sectes. Le roman lui-même, au-delà de sa sclérose contemporaine, me paraît toujours évidemment lié à l'épopée, au chant de la colère d'Achille, ou à cet autre commencement prophétique  : « Votre terre est déserte, vos villes sont brûlées par le feu : les étrangers dévorent votre pays devant vous, et il sera désolé comme une terre ravagée par ses ennemis. Et la fille de Sion demeurera comme une loge de branchages dans une vigne, comme une cabane dans un champ de concombres, et comme une ville livrée au pillage. » Homère, donc. Et Isaïe, ici (I, 7-9) dans la traduction de Le Maître de Sacy. (Notons que le passage cité a donné à Jünger l'idée de donner ce titre ambivalent : La cabane dans la vigne à son journal de guerre des années 1944-1948, qui voient l'Allemagne à son tour détruite, ravagée par le feu, divisée.)

    31 janvier 2024

     

  • Par cœur

    Rien n'est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours trompeurs. Debord, Panégyrique

    J'ai envie de relire Le Passager de Cormac McCarthy, que j'ai fini il y a quelques semaines (et Stella Maris dans la foulée) ; ses toutes premières pages, enregistrées comme simples informations à la première lecture, me troublent à présent.

    Relativement nombreux sont les livres que je relis à présent ; rares sont ceux qu'on relit à peine les a-t-on refermés. Panégyrique avait provoqué plusieurs lectures successives. J'en connais des passages par cœur.

    On n'aime pas nécessairement ce qu'on voudrait aimer, ni ce que sincèrement on dit aimer. Je crois de plus en plus que la poésie qu'on aime, c'est celle qu'on sait par cœur ; pire, c'est ce qu'on sait par cœur, et tant mieux après tout si ce n'est pas de la poésie. (Il ne reste peut-être, à nombre de gens, que quelques fables de La Fontaine, mais c'est beaucoup mieux que tant de choses, pour peu qu'on se mette à les entendre...). Je me demande si l'ami Fred Pougeard serait d'accord (oui et non, j'imagine...).

    Le seul livre sur la poésie auquel je reviens souvent, au point d'en connaître par cœur quelques courts passages, c'est le bref Sur le vers français de Claudel, écrit à Tokio le 7 janvier 1925, qu'on trouve dans ses Réflexions sur la poésie. L'incipit :

    On ne pense pas d'une manière continue, pas davantage qu'on ne sent d'une manière continue ou qu'on ne vit d'une manière continue. Il y a des coupures, il y a intervention du néant. La pensée bat comme la cervelle et le cœur.

    23 octobre 2023