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  • Poécrivages

    Je les comprends très bien. Ils ont peur que rien ne reste d'eux après leur mort. Alors ils écrivent des babioles. Mais les gens passent sans s'arrêter. Alors ils se disent d'abord que le temps leur fera bientôt justice, puis comme rien ne vient ni ne change, ils paniquent un peu, et sur la fin, poussent des petits cris aigus pour signaler l'existence de leurs choses, là, là, regardez, c'est bien, c'est de moi. Et les gens passent tout de même. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que ce qui peut leur arriver de mieux, de plus juste, c'est qu'il ne reste rien de leur petit piaillement écrit. C'est plus décent. Les gens passent ; et des meilleures. Et le temps fait justice.

    2 novembre 2023

  • Après Napoléon, par Chateaubriand

    "Retomber de Bonaparte et de l'Empire a ce qui les a suivis, c'est tomber de la réalité dans le néant, du sommet d'une montagne dans un gouffre. Tout n'est-il pas terminé avec Napoléon ? Aurais-je dû parler d'autre chose ? Quel personnage peut intéresser en dehors de lui ? De qui et de quoi peut-il être question après un pareil homme ? Dante a eu seul le droit de s'associer aux grands poètes qu'il rencontre dans les régions d'une autre vie. Comment nommer Louis XVIII en place de l'empereur ? Je rougis en pensant qu'il me faut nasillonner à cette heure d'une foule d'infimes créatures dont je fais partie, êtres douteux et nocturnes que nous fûmes d'une scène dont le large soleil avait disparu. "

    Je copie platement ce bref passage écrit en 1839 des Mémoires d'outre-tombe. C'est au début du Livre vingt-cinquième, chapitre premier, après plus de cinq cents pages consacrées à Napoléon Bonaparte. Un tout petit peu plus loin :

    "En m'exprimant sur notre peu de valeur, j'ai serré de près ma conscience ; je me suis demandé si je ne m'étais pas incorporé par calcul à la nullité de ces temps, pour acquérir le droit de condamner les autres ; persuadé que j'étais in petto que mon nom se lirait au milieu de toutes ces effaçures. Non : je suis convaincu que nous nous évanouirons tous : premièrement parce que nous n'avons pas en nous de quoi vivre ; secondement parce que le siècle dans lequel nous commençons ou finissons nos jours n'a pas lui-même de quoi nous faire vivre. Des générations mutilées, épuisées, dédaigneuses, sans foi, vouées au néant qu'elles aiment, ne sauraient donner l'immortalité ; elles n'ont aucune puissance pour créer une renommée ; quand vous cloueriez votre oreille à leur bouche, vous n'entendriez rien : nul son ne sort du cœur des morts.

    Une chose cependant me frappe : le petit monde dans lequel j'entre à présent était supérieur au monde qui lui a succédé en 1830 : nous étions des géants en comparaison de la société de cirons qui s'est engendrée."

  • Par cœur

    Rien n'est plus naturel que de considérer toutes choses à partir de soi, choisi comme centre du monde ; on se trouve par là capable de condamner le monde sans même vouloir entendre ses discours trompeurs. Debord, Panégyrique

    J'ai envie de relire Le Passager de Cormac McCarthy, que j'ai fini il y a quelques semaines (et Stella Maris dans la foulée) ; ses toutes premières pages, enregistrées comme simples informations à la première lecture, me troublent à présent.

    Relativement nombreux sont les livres que je relis à présent ; rares sont ceux qu'on relit à peine les a-t-on refermés. Panégyrique avait provoqué plusieurs lectures successives. J'en connais des passages par cœur.

    On n'aime pas nécessairement ce qu'on voudrait aimer, ni ce que sincèrement on dit aimer. Je crois de plus en plus que la poésie qu'on aime, c'est celle qu'on sait par cœur ; pire, c'est ce qu'on sait par cœur, et tant mieux après tout si ce n'est pas de la poésie. (Il ne reste peut-être, à nombre de gens, que quelques fables de La Fontaine, mais c'est beaucoup mieux que tant de choses, pour peu qu'on se mette à les entendre...). Je me demande si l'ami Fred Pougeard serait d'accord (oui et non, j'imagine...).

    Le seul livre sur la poésie auquel je reviens souvent, au point d'en connaître par cœur quelques courts passages, c'est le bref Sur le vers français de Claudel, écrit à Tokio le 7 janvier 1925, qu'on trouve dans ses Réflexions sur la poésie. L'incipit :

    On ne pense pas d'une manière continue, pas davantage qu'on ne sent d'une manière continue ou qu'on ne vit d'une manière continue. Il y a des coupures, il y a intervention du néant. La pensée bat comme la cervelle et le cœur.

    23 octobre 2023

     

  • Jetables

    Le roman sociologique européen a vécu. Certains auteurs français parmi les moins médiocres s'y échinent encore. Leurs livres sont au mieux prenants, le temps de la lecture. Ils n'en demeurent pas moins jetables : on ne les lira pas deux fois, si même on va au bout. Les lecteurs qui les lisent s'identifient mollement aux personnages un peu falots qui hélas leur ressemblent, et sont plus ou moins politiquement d'accord avec ces auteurs qui, tout de même, exagèrent, les coquins (mais "c'est pour ça, comme Houellebecq, qu'on les aime...").

    (Who ails tongue coddeau, aspace of dumbisilly? Joyce, Finnegans Wake)

    Le roman a donc l'air d'une survivance du XIXème siècle, considérablement affaiblie par ses propres mutations dans le cours du temps, survivance à laquelle nous serions tenus, faute de quoi que ce soit d'autre ; c'est un miracle déjà qu'il ait tenu jusqu'aux années 1960 (sa persistance depuis est un fait de commerce et d'habitude). Chaque succès, chaque publication même, a l'air d'un enterrement au cours duquel on fait l'éloge de la probe originalité du défunt ; mais cet éloge et cette originalité sont également convenus.

    17 octobre 2023