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divertissement

  • Fahrenheit 451, de Ray Bradbury

    Au milieu de la nouvelle, le vieux professeur Faber casse en quelque sorte le morceau et dit deux choses : que les pompiers pyromanes de l'Etat (l'expression est à prendre au premier des 451 degrés) sont simplement là pour faire du divertissement, du spectacle (ce que la fin corroborera, avec la mort habilement filmée d'un inconnu que l'on fera passer pour le héros Montag) et que les gens ont de toute façon arrêté de lire d'eux-mêmes. Le livre bascule ici, et l'on comprend pourquoi ces pompiers post-hitlériens qui brûlent des livres ne sont pas son réel sujet. Déjà le capitaine Beatty nous avait paru beaucoup trop cultivé (même si l'on admet que tout pompier a eu un jour la tentation de savoir ce qu'il y avait dans les livres, il en sait vraiment trop) ; c'est lui qui parle ici :

    Les classes sont écourtées, la discipline négligée, la philosophie, l'histoire, les langues abandonnées, l'anglais et sa prononciation peu à peu délaissés, et finalement presque ignorés. On vit dans l'immédiat. Seul compte le boulot et après le travail, l'embarras du choix en fait de distractions. Pourquoi apprendre quoi que ce soit, sinon apprendre à presser les boutons, brancher des commutateurs, serrer des vis et des boulons ?

    En 1953, sur un spectre de guerre nucléaire qui ne nous a que brièvement quittés, Bradbury comprend que la démocratisation des drogues et technologies diverses (médecines, sports, musiques d'ambiance permanente, travail répétitif, télévision interactive surtout (sorte de sitcom-jeu vidéo et de pré-internet)) doublée de la tyrannie des minorités qui doit aboutir à la non-expression (et mieux, à la non-formulation mentale) de toute opinion travaille à instituer le bonheur obligatoire pour tous. Lequel a pour corollaire l'évacuation simultanée de la reproduction et de la connaissance (puisque le sens de cette dernière résidait en grande partie dans la transmission de son propre contenu). Le suicide (jusqu'ici plus ou moins raté, du fait de l'intervention de Montag) de Mildred ne laisse en elle aucune trace et lui demeure à elle-même inconnu (non moins que sa rencontre dix ans avant avec son mari : il n'y a plus ni ni quand) ; c'est bien là que se tient le stérile Occident de nos années 2020. 

    12 novembre 2023

    Ray Bradbury, Fahrenheit 451, traduction d'Henri Robillot, Denoël, coll. Présence du futur