En 1976, le numéro 26, dirigé par la gentiment déraillée Hélène Cixous, de la trop sérieuse todorovo-genettienne revue Poétique est consacré à Finnegans Wake. On y trouve un texte à peu près intéressant de Jean-Pierre Martin, « la condensation ». Je me suis plus attaché à quelques morceaux du texte de David Hayman, pourtant intitulé « Réseaux infra-structurels dans Finnegans Wake » (je dirais hérétiquement ceci : On y comprend entre les lignes que l'important n'est pas dans la structure, mais qu'il faut tout de même faire comme si ce qui est sous la structure appartenait à la structure. La phrase la plus emblématique de ce qu'il fallait faire entendre aux universitaires-sachant-tout est celle-ci : "Il ne faut jamais sous-estimer les remarques que l'on doit à Joyce lui-même." Tu m'étonnes. Quelle époque que ces années 60 et 70, où l'on a volontairement tout compliqué, pour mieux tout abandonner ensuite et qu'il ne demeure finalement, rien. Après nous le déluge. C'est réussi, pour sûr).
« Dès 1923, Joyce avait composé, à partir de notes personnelles, une série d'épisodes non-narratifs ou séquences narratives minimales, où il mettait en jeu des fragments ou débris soigneusement sélectionnés d'une culture disparue. Après avoir envoyé les manuscrits de ces esquisses à Harriet Weaver, son mécène, il lui écrivait : "... ce ne sont pas des fragments, mais des éléments actifs, et quand il se seront multipliés et auront mûri un peu, on les verra commencer à se fondre ensemble." Il ne faut jamais sous-estimer les remarques que l'on doit à Joyce lui-même. En fait, Finnegans Wake est entièrement édifié sur ces passages anciens, nœuds fondamentaux du livre, qui, en divers styles burlesques, décrivent des moments cruciaux dans le cycle masculin, tout en faisant apparaître un certain nombre d'étapes dans l'histoire de l'Irlande, de l'humanité et de l'individu. »
Un peu plus loin, Hayman, qui vient de détailler ces cinq "nœuds fondamentaux du livre", en arrive à cette conclusion (qu'il contredit immédiatement ensuite) : « Ces fragments ne constituent pas des récits véritables, à moins que l'on élève à la dignité de genre traditionnel le récit sans queue ni tête. » Il est amusant qu'Hayman qui vient de citer Joyce écrivant à Harriet Weaver et de souligner qu'il ne fallait pas sous-estimer les remarques de Joyce, continue de parler de fragments, quand l'auteur dit justement qu'ils n'en sont pas, mais des "éléments actifs". Où Joyce parle de vie, d'une vie en tout cas capable de croître et de se multiplier, Hayman ne peut pas ne pas voir structures et infra-structures."
Pourtant, ce n'est pas pour ses défauts que la contribution d'Hayman est intéressante (je n'avais pas pensé, commençant ce billet, en dire du mal), mais pour ce qu'il soulève justement de la conception joycienne du livre comme élément vivant.
15 janvier 2024