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  • Discours et poésie

    Les discours sur l'amour m'ennuient. Tous les discoureurs mentent et mentent mal, en prose ainsi qu'en vers, ce qui serait pire si leurs vers en étaient. Un fonctionnaire, qui faisait des poèmes à la mode pour conquérir des positions institutionnelles, causa lyrisme amour et poésie à tout bout de page et cogna vingt ans sur sa femme. À croire que le calme après les coups lui tenait lieu d'ataraxie de fortune d'où palabrer ces éthèrements de vide garçon. « Si ça a duré aussi longtemps, c’est que cette masse négative générait du positif. » Tu m'étonnes, Ducon. La lutte pour les positions institutionnelles est âpre et notre époque produit à flux tendu ce type de pompe à merde. Le vainqueur de ces joutes pour les prix et les bourses, normalien comme il se doigte en France, fait le délice des amateurs (qu'ils soient ou non à matrice), dont les genoux sont khâgneux à force d'extraire à coups de langue telle substantifique moelle.

    29 février 2024

  • La loi du plus fort 2

    « Beaucoup de mes critiques ont caractérisé ma position comme un pessimisme extrême. Je proteste énergiquement. Au contraire, il s’agirait plutôt d’un optimisme extrême. Il est vrai que ces notions de pessimisme et d’optimisme, je les comprends dans un sens qui n’est pas du tout leur sens vulgaire. Imagine la situation suivante. Notre unité est encerclée par l’ennemi, qui nous est largement supérieur. Un homme déclare que l’ennemi est faible et que nous l’écraserons. Dira-t-on de lui que c’est un optimiste ? Un autre annonce que l’ennemi est beaucoup plus fort que nous et que nous n’avons aucune chance de nous en sortir. Dira-t-on de lui que c’est un pessimiste ? Non, évidemment. Pessimisme et optimisme sont des phénomènes d’ordre psychologique, qui n’ont rien à voir avec la situation décrite. Celui qui dira que nous sommes condamnés et que c’est pourquoi nous devons combattre jusqu’au bout (comme disent les Russes, tant qu’à mourir, il faut le faire en musique), celui-là ne sera pas un pessimiste. Ce sera un optimiste, mais d’une espèce particulière : un optimiste historique. L’optimisme historique signifie qu’on sait la vérité, si cruelle qu’elle soit, et qu’on est déterminé à se battre, quoi qu’il en coûte. L’optimisme historique ne compte sur rien ni personne, sauf sur soi-même et sur la bagarre.

    Mais la bagarre est une affaire sérieuse. Elle a ses lois, sans le respect desquelles elle perd sa grande portée historique. J’en citerai une, à titre d’exemple, une loi qui, à mon sens, est essentielle à notre époque.

    Au cours de mon enfance et de mon adolescence, il m’est souvent arrivé de me battre, et jamais de ma propre initiative : je ne faisais que me défendre. Lorsque mon adversaire était en gros mon égal sur le plan de la force, l’issue de la bagarre tournait parfois à mon avantage, parfois à celui de l’adversaire. Mais si cet adversaire était sensiblement plus fort que moi et que l’attaque fût le fait de plusieurs personnes, alors, de façon générale, je gagnais ou du moins je n’essuyais pas de défaite. Pourquoi ? Ce phénomène à première vue étrange s’explique très simplement, comme on le verra sur cet exemple. Un jour, des garçons d’une rue voisine me tendirent une embuscade. Ils étaient une dizaine, dont beaucoup étaient individuellement plus forts que moi. Je leur annonçai : « Le premier qui me touche, je lui arrache un œil, et ensuite vous pourrez faire de moi ce que vous voudrez ! » Ils me connaissaient et savaient que je tiendrais parole. Ils me laissèrent partir. Cet exemple est très instructif. Ils étaient beaucoup plus forts que moi et c’est pourquoi ils voulaient me rosser, sans avoir pourtant à souffrir. Ils ne voulaient rien perdre. Tandis que moi, je n’avais pas d’autre issue que de me battre par tous les moyens dont je pouvais disposer. J’étais prêt à tout perdre, mais en même temps à porter à mes ennemis tout le préjudice que j’étais capable de leur infliger. Par la suite, je généralisai cette expérience en un principe moral particulier que voici : défends-toi toujours et en toute situation. Si l’ennemi qui t’agresse est beaucoup plus fort que toi, tu as le droit moral d’employer tous les moyens dont tu disposes pour te défendre. Qui plus est, tu dois te battre jusqu’au bout, sans craindre aucune perte et en infligeant à l’ennemi tout le préjudice dont tu es capable. Je crois qu’à notre époque, lorsque l’individu subit le poids écrasant des grandes collectivités humaines et de l’Etat tout entier, ce principe moral va de soi et se justifie par une inégalité des forces. Il s’applique parfaitement aux rapports entre les petits pays et les immenses états qui les surpassent incommensurablement par leur puissance militaire. Etre prêt à subir n’importe quelle perte et à se battre jusqu’au bout, être prêt à infliger de sérieux préjudices à l’ennemi, voilà qui est un facteur important dans la lutte et qui réduit parfois à néant tous les avantages du puissant. Ce facteur n’est efficace qu’en tant que moyen de défense, mais en aucun cas il ne peut servir l’attaque, car il suscite alors une résistance qui le dépasse. »

    Alexandre Zinoviev, Nous et l’Occident, L'Age d'Homme, 1979. Extrait tiré de la lettre à André M, intitulée « La bagarre est une affaire sérieuse ».   

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  • Le mage du Kremlin

    « Cette idée que les hommes publics doivent mener une vie de pauvres types est profondément immorale. L'Etat doit tenir son rang. Ses serviteurs ne peuvent pas être des nuls qui n'ont pas réussi dans le privé : des gens qui se présentent partout la main tendue pour demander la charité. Notre chef d'œuvre a été la construction d'une nouvelle élite qui concentre le maximum de pouvoir et le maximum de richesse. »

    Le personnage Vadim Baranov dans Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli

    J'étais au café du village, où je viens rarement, en train de finir de lire Le mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, quand un inconnu, la cinquantaine bedonnante et mal vêtue, assis un peu plus loin à une table perpendiculaire à la mienne, m'a fait remarquer avec un fort accent étranger, profitant de ce que je levais le nez, que mon livre était vraiment petit, livre pocket. Oui, c'est un livre de poche, ai-je dit. Ah oui, poche, a-t-il répété en s'appliquant. J'ai repris ma lecture. Je me suis dit, si ça se trouve, le gars est ukrainien ; il était déjà là quand je suis arrivé. Un peu plus tard, il a interrompu une digression sur l'espionnage pour me dire que Navalny venait d'être retrouvé mort et que c'était très grave. Il m'a expliqué qu'il écoutait la radio hollandaise avec son téléphone (son accent ne collait pas et pour un touriste hollandais, il faisait pauvre). Je ne lui ai pas montré ce que je lisais. Sinon il aurait sans doute voulu causer et je déteste ça. J'ai fini ma lecture, j'ai quitté ma table en saluant le gars de la tête, et suis parti. (Le plus probable, au vu du trafic routier passant devant le café, est que le gars ait été un chauffeur routier polonais faisant sa pause.)

    Le bouquin se lit comme un roman. Et pourtant, comme roman, c'est plutôt très mauvais (on dirait, forme et fond, une resucée pépère du Limonov d'Emmanuel Carrère). A l'exception, d'ailleurs, du tout premier chapitre, une vraie nouvelle, qui nous laisse croire que la littérature pourrait encore avoir une importance dans ce monde. Mais ensuite, le narrateur rencontre Baranov (dont le modèle est Sourkov) et ce dernier, en fait de roman, improvise une une sorte de conférence autobiographique à base d'anecdotes plus ou moins déjà connues sur Poutine et la Russie, mais rangées dans l'ordre chronologique, et de considérations plus ou moins intéressantes sur le pouvoir. Le narrateur, lui, s'est volatilisé ; il ne fera même plus semblant d'être là, sauf pour conclure proprement les cinq dernières pages qui tentent assez vaguement de se la jouer touchantes.

    L'ensemble est une manière de vulgarisation journalistique (à la Carrère, donc) sur Poutine et la Russie. Après Limonov pour les nuls, Poutine pour les nuls. Son point fort est de donner envie de relire Zamiatine. L'Académie française a fourgué au bouquin son Grand Prix du Roman, ce qui dit en creux pis que pendre du reste de la production des grosses légumes de l'édition. Le style est limpide et plat (c'est de la flotte, ça descend tout seul) et le sujet, quoi qu'on en pense, fascinant ; une perle, tout de même : « Qui sait comment son grand-père avait survécu aux purges du stalinisme, puis au fil du temps le régime avait perdu ses attitudes carnivores. »

    16 février 2024

    Giuliano da Empoli, Le mage du Kremlin, Gallimard 2022

  • Bon appétit

    La poésie, comme le soleil, met de l'or sur le fumier, dit Flaubert. Il fallait bien que la métaphore ne fût point culinaire. 
     
    14 février 2024 

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  • Tout jeter

    Fin (lundi 5) du second nouveau chapitre (agrégat de 17 éléments sur 3 lignes de fuite). Dépressurisation, envie d'arrêter tout, (tout jeter ?) et de commencer autre chose. Une idée nouvelle vient. L'idée d'un nouveau roman, plus simple, plus court, plus facile (apparemment). Je la rumine trois jours sans discontinuer (ni dormir). Puis la tentation me vient d'en faire le chapitre trois. Même si ça n'a (presque) aucun rapport. Pas les mêmes personnages du tout. N'importe quoi. Envie d'argent facile, magique. (Hier, quelqu'un m'a parlé longuement du dernier Marc Levy. Du point de vue du business éditorial.) Ce qu'il faut, c'est une cuite sévère.

    9 février 2024